1.2. Le modèle de contexte généralisé ou GCM de Nosofsky (1988, 1991), Nosofsky et Palmieri (1997)

Le modèle de 1988 est une version améliorée du modèle de contexte de Medin et Schaffer (1978) qui intègre avec la similarité le rôle de la fréquence d’un stimulus dans la structure des catégories gradées.

Dans le modèle de contexte, les décisions de classification sont basées sur des comparaisons entre le stimulus amorce et les exemples stockés en mémoire. Nosofsky propose deux interprétations alternatives à ce postulat :

Les exemplaires sont vus comme des « types » ou exemplaires types : les multiples présentations du même stimulus correspondent à une seule représentation en mémoire. C’est une interprétation insensible à la fréquence.

Les exemples sont vus comme des « tokens » ou indices : les multiples présentations du même stimulus correspondent à de multiples représentations en mémoire. C’est une interprétation sensible à la fréquence.

Selon Nosofsky, la façon dont les variables similarité et fréquence interagissent dans la formation des catégories doit être interprétée dans le cadre du modèle de contexte sensible à la fréquence. Son but est de tester un modèle mathématique à l’intérieur duquel on peut interpréter le rôle conjoint de la similarité et de la fréquence. A l’équation de Medin et Schaffer (1978), il rajoute un paramètre Ni qui correspond à la fréquence relative avec laquelle chaque exemple est présenté.

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Le GCM étudie la façon dont ces variables interagissent en manipulant la fréquence avec laquelle des items de degrés de similarité variés sont présentés durant une tâche d’apprentissage de catégories. A travers des expériences de catégorisation, Nosofsky (1988) a démontré que la présentation fréquente d’un stimulus augmente la fréquence avec laquelle ce stimulus est stocké en mémoire. Il s’agit ici d’une fréquence relative à une catégorie donnée, c’est-à-dire à l’estimation subjective du nombre de rencontres d’un stimulus en tant qu’exemplaire d’une catégorie donnée et non à la familiarité de ce stimulus.

Cependant, Nosofsky souligne que le modèle se limite à prendre en compte le rôle conjoint des variables fréquence et similarité dans la classification perceptuelle et que la question de la généralisation de ces résultats dans le domaine de la catégorisation conceptuelle reste ouverte.

Ses travaux de 1991 apportent quelques modifications. Il intègre comme dans le GCM le rôle de la fréquence d’un stimulus et de l’attention sélective dans la classification et la reconnaissance et fait les suppositions suivantes : la force de mémorisation des exemples est proportionnelle aux fréquences avec lesquelles ces exemples ont été présentés durant une phase d’apprentissage. L’attention sélective modifie les similarités entre les exemples, l’idée étant que les sujets peuvent modifier le poids attentionnel des différentes dimensions d’un stimulus dans les décisions de classification et de reconnaissance.

Nosofsky propose une autre formalisation du modèle : le modèle repose sur la définition préalable d’un espace psychologique multidimensionnel dans lequel les items à mémoriser sont définis sur un nombre variable de dimensions. L’espace psychologique est un espace dans lequel les objets sont représentés par des points, ce qui permet de les représenter graphiquement sur chaque dimension. Plus les objets sont dissemblables, plus la distance entre les points qui leur correspondent est grande. Dans un tel espace, les axes correspondent aux propriétés des objets.

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Figure 3. Espace psychologique de Nosofsky (1991)

Dans cette perspective, une trace mnésique est un point dans un hyperespace. La définition de cet hyperespace se fait grâce à la technique des échelles multidimensionnelles (Multi Dimensional Scaling ou MDS). Cette technique permet lorsque l’on ne connaît pas la métrique des stimuli de reconstituer les dimensions sur lesquelles ils sont définis ainsi que leurs valeurs sur chacune d’elles. Le recueil des données peut se faire en demandant par exemple aux sujets de juger de la dissemblance ou de la similarité entre stimuli. Le choix du nombre de dimensions qui peuvent représenter les stimuli nécessite la mise en oeuvre de techniques de calculs complexes.

Soit a (x1, x2, x3,..., xm) un point dans l’hyperespace où m est le nombre de dimensions. La distance entre les exemplaires i et j, notée Dij est calculée comme suit :

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Dans l’espace psychologique de dimension m, la valeur de l’exemplaire i sur l’axe m est notée xim. Les paramètres wm sont des poids attentionnels portant sur chacune des dimensions.

La similarité Sij entre les exemplaires i et j est obtenue grâce à une fonction exponentielle de la distance.

Sij = exp (-Dij)

L’activation des exemplaires en mémoire est calculée de la façon suivante :

Aij = MjSij M étant une constante qui correspond au poids de la trace

Nosofsky suppose qu’un format de représentation commun sous-tend les jugements de classification (catégoriser un exemplaire donné dans une catégorie particulière plutôt que dans une autre) et de reconnaissance (identifier un exemplaire donné parmi un ensemble d’autres exemplaires) mais que différentes règles de décisions influencent la performance dans les deux tâches.

Son paradigme expérimental reprenait celui de Reed’s (1972) dans lequel les stimuli étaient des visages schématiques variant sur quatre dimensions : la hauteur des yeux, la distance entre les yeux, la longueur du nez et la longueur de la bouche. Chaque dimension pouvait prendre trois valeurs (petite, moyenne, grande) et 34 stimuli étaient construits à travers les trois valeurs possibles des quatre dimensions.

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Figure 4. Stimuli du paradigme expérimental de Nosofsky (1991)

Cette expérience étudiait les relations entre classification et reconnaissance.

Dans une phase d’apprentissage composée de 12 blocs de 10 essais, les stimuli étaient présentés aux sujets qui devaient les classer dans la catégorie 1 ou 2. Chacun des visages était présenté une seule fois dans chaque bloc et la réponse des sujets était suivie d’un feedback. La phase expérimentale était composée de 2 blocs de 34 essais chacun, chaque visage étant présenté une seule fois dans chaque bloc. Sur chaque essai, les sujets devaient juger si les visages appartenaient à la catégorie 1 ou 2 et juger si les visages avaient déjà été présentés durant la phase d’apprentissage en les classant comme des stimuli anciens ou nouveaux. Dans cette phase, les réponses des sujets n’étaient pas suivies d’un feedback.

Le modèle prédisait des changements dans les probabilités de classification et de reconnaissance en fonction de la manipulation de la fréquence et un effet interactif de la fréquence et de la similarité. Les résultats démontraient des effets complexes de la fréquence et de la similarité sur les performances, les effets de fréquence étant plus faibles sur la reconnaissance dans les deux expériences.

Bien que les deux tâches réfèrent à des règles de décision différentes et que leurs performances soient généralement peu corrélées, Nosofsky interprète les données quantitatives par le fait qu’identification, reconnaissance et catégorisation reposent sur un même processus automatique inhérent au fonctionnement de la mémoire : la comparaison de similarité aux exemples stockés. Le modèle souligne l’importance de l’attention sélective, les résultats démontrant que les sujets distribuaient leur attention sur les différentes dimensions psychologiques en fonction de la tâche pour optimiser leurs performances.

Ainsi, Nosofsky considère que la mémoire contient des exemplaires, c’est-à-dire des informations spécifiques, contextualisées et multidimensionnelles. Chaque exemplaire est représenté par un point dans un espace multidimensionnel, les composantes des exemplaires étant ainsi plus intégrées que dans le modèle de Medin et Schaffer. Il s’intéresse particulièrement au rôle de la fréquence des informations, c’est-à-dire au fait qu’il peut exister plusieurs traces en mémoire du même exemplaire, comme le supposent les modèles à traces multiples.