3. Un modèle épisodique et connexionniste : Whittlesea (1987, 1990)

Selon cet auteur, les interprétations extrêmes des modèles de type ’symbolique’ ou des modèles de type ’épisodique’ ne peuvent à elles seules expliquer les phénomènes de mémorisation et de conceptualisation. A travers un ’modèle hybride’, il défend l’idée d’un seul système de mémoire dont la modélisation est proche des modèles épisodiques mais dans une perspective connexionniste : l’architecture de la mémoire est un réseau à l’intérieur duquel l’information au sujet de chaque épisode de traitement est distribuée, activée et récupérée en parallèle.

Whittlesea dépasse la dichotomie sémantique-épisodique en prenant en compte la variabilité de l’encodage. L’information est encodée en fonction de l’expérience, la nature de l’unité de traitement étant influencée par la tâche dans laquelle les stimuli sont traités. Selon les besoins de la tâche, le sujet focalisera son attention sur une dimension particulière ou bien le traitement d’une dimension sera dépendante du traitement des autres dimensions. Ces traitements analytiques ou globaux dépendent du degré d’intégration des dimensions d’une information, ce que Whittlesea appelle « processing integration ». Selon ce processus, un stimulus sera traité comme un tout ou des parties séparées. Les représentations résultantes diffèrent selon l’importance et l’organisation des détails encodés et ne constituent pas différentes formes de mémoire. De même qu’Estes, Whittlesea souligne que dans les modèles épisodiques, les concepts sont distribués dans les traces mais les traces restent distinctes. Dans le modèle qu’il développe, les traces elles-mêmes sont distribuées à travers une matrice de représentation et l’identité unique de chaque trace n’est pas explicitement préservée.

Son modèle est un modèle de type connexionniste PDP (parallel distributed processing=traitement parallèle distribué) qui consiste en un système d’unités de traitement interconnectées. Initialement, le système ne contient pas d’informations et les unités de traitement sont inactives. Sous l’impulsion d’un stimulus externe, elles deviennent actives entraînant la modification des forces de connexion. Lorsque les changements dans les activités des unités et dans les forces de connexion se stabilisent, le schéma d’interconnectivité est modifié, d’où l’apprentissage à l’intérieur du système. Ce schéma d’interconnectivité constitue la représentation interne du stimulus et le traitement de chacun de ses éléments est distribué à travers le réseau entier d’unités. Le modèle construit ainsi une représentation dans laquelle la connaissance de chaque composant d’un stimulus dépend de la connaissance de ses autres composants.

L’originalité des travaux de Whittlesea est d’étudier les effets épisodiques du traitement de l’information dans des tâches de classification perceptuelle qui ne nécessitent pas l’utilisation délibérée de la mémoire. Selon lui, la perception dépend de la mémoire qui ne préserve pas seulement les propriétés particulières d’un stimulus (ses dimensions) mais code aussi les propriétés des expériences particulières de ce stimulus (l’organisation de ses dimensions). Ce codage est fonction du traitement exigé par la tâche.

Par exemple, dans certains de ses travaux (Whittlesea & Brooks, 1988) il était demandé aux sujets d’identifier des lettres seules ou à l’intérieur de pseudomots. Les résultats démontrent que le type de tâche dans une phase d’apprentissage détermine les performances dans la phase test : le fait de demander aux sujets de copier les stimuli dans la phase d’apprentissage permet une meilleure identification des lettres à l’intérieur des pseudomots que des lettres seules alors que le fait de leur demander de copier les lettres seules permet une meilleure performance sur l’identification des lettres seules. Ainsi, la perception des sujets est influencée par la tâche d’apprentissage (copier les stimuli comme un tout ou composant par composant). Elle dépend des caractéristiques spécifiques des expériences particulières qui sont mémorisées. Des expériences similaires de comparaison de mots naturels vs des lettres et de phrases vs des mots (Whittleasea & Brooks, 1988) ont donné des résultats similaires. Les auteurs en concluent qu’une perception optimale des composants d’un stimulus dépend de la réinstallation du contexte d’origine dans lequel ils ont été traités et que ce contexte est déterminé par le type de traitement exigé par la tâche.

Il a introduit dans son modèle une variable de traitement nommé VISA (variable d’intégration et attention sélective) dont les valeurs diffèrent selon le type de tâche et l’unité de traitement. VISA est un mécanisme d’attention sélective qui détermine quelles sont les dimensions d’un stimulus qui sont traitées avec le plus d’attention et si ces dimensions sont traitées intégralement ou de façon analytique.

Cette variable présente trois types d’entrées possibles : un stimulus nominal comme par exemple une série de lettres, la réponse demandée comme par exemple le nom du stimulus ou d’une partie du stimulus et un focus attentionnel.

Elle est divisée en deux sous-systèmes de traitement qui diffèrent selon le type d’entrée : un sous-système répond aux amorces concernant le stimulus nominal, l’autre sous-système répond aux amorces concernant la réponse demandée.

Chaque sous-système est constitué de deux couches d’unités : la première couche est une couche de communication qui reçoit l’énergie de l’extérieur et la communique à la seconde couche. La seconde couche est une couche d’association qui reçoit l’énergie de la couche de communication et des indices qui déterminent l’attention sélective.

Cette énergie se communique d’un système à un autre à travers leurs couches d’association réciproques durant l’apprentissage, ce qui permet au modèle de construire une représentation combinée des dimensions du stimulus et de la réponse demandée. Sur les essais test, cette représentation détermine la réponse du système qui correspond à un schéma d’activité des unités d’association du sous-système de réponse. Sur les essais d’apprentissage, les unités d’association reflètent l’activité de leurs unités de communication respectives, ces dernières étant inactives sur les essais test dans la mesure où il n’y a pas de réponse demandée. Quoi qu’il en soit, la présentation du stimulus active les unité du sous-système d’association et ces unités activent les unités de réponse à travers les interconnexions construites durant l’apprentissage. La réponse du système dans les essais test dépend de ce que le système apprend au sujet du stimulus et de la réponse demandée dans les essais précédents.

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Figure 6. Modèle VISA (Whittlesea, 1990)

Le modèle distingue trois modes d’attention :

Ces trois modes d’attention ont permis à la variable VISA de modéliser le degré d’intégration du traitement que les sujets humains manifestent dans les expériences citées ci-dessus.

Au niveau informatique, chaque composant est représenté par quatre éléments, différentes configurations représentant différents composants. Ce choix de quatre unités est arbitraire mais suffisamment large pour permettre de multiples configurations. Chaque composant prend une valeur allant de 0 (les unités du système sont inactives) à 1 (les unités du système sont actives). Par exemple, un stimulus A est représenté par la configuration 1111, un stimulus composé AA par 11111111, un stimulus A suivi d’un blanc par 11110000. Les instructions concernant l’attention sont encodées de façon similaire, le code 1 signifiant accorder de l’attention à telle information, le code 0 signifiant ignorer telle information. Ainsi, une commande du système sur un essai d’apprentissage est représentée par une configuration complète. Par exemple, la configuration 11111111 11110000 11110000 11111111 signifie que le stimulus AA est couplé avec la pré-instruction « n’accorder de l’attention qu’à la lettre de gauche », que la réponse demandée est le A suivi d’un blanc couplé à l’instruction « accorder de l’attention à toute la réponse. Pour simuler le traitement parallèle sur un ordinateur, le modèle répète des cycles à travers les couches de ses sous-systèmes avec de petits ajustements sur chaque composant jusqu’à ce qu’il atteigne une activité stable.