4. Une architecture distribuée de la mémoire : conclusion

L’architecture connexionniste reprend le concept de diffusion de l’activation dans un réseau du modèle sémantique de Quillian (1969) et défend l’idée d’un seul système de mémoire comme dans les modèles épisodiques. Cependant, elle ne postule pas l’existence de concepts stockés en mémoire et ne garde pas une trace séparée de chaque représentation comme dans les modèles vus précédemment. Les unités mnésiques sont de plus bas niveau et les représentations en mémoire émergent de leur activation en parallèle. De ce fait, la nature des unités mnésiques est dépendante de leur architecture car elle ne prend son sens qu’à l’intérieur d’une organisation en réseau. La mémoire est un système unique mais distribué sur plusieurs structures cérébrales. A travers le principe d’ajustement des poids des connexions, cette modélisation rend compte de la plasticité de nos connaissances et de la capacité d’apprentissage d’un système à mémoire. En ce sens, elle est une alternative intéressante aux impasses du paradigme cognitiviste. Elle tente de réconcilier au sein des sciences cognitives les données de la psychologie et des neurosciences, d’où le grand intérêt qu’elle suscite ces dernières années. En effet, au vu de l’expansion des sciences qui étudient le fonctionnement mental, il apparaît difficile d’interpréter les données de la psychologie si elles sont incompatibles avec les principes du fonctionnement cérébral. Les concepts d’émergence, d’auto organisation, d’adaptation et de plasticité sont incontournables dans l’étude des grandes fonctions mentales.

Le modèle de Whittlesea (1987, 1990) est un modèle de mémoire intéressant car il dépasse les interprétations extrêmes des modèles abstractionnistes et des modèles épisodiques qui ne peuvent à aux seuls rendre compte des phénomènes de mémorisation. Si l’encodage automatique de l’information abstraite ne peut fournir une interprétation satisfaisante du traitement de l’information, l’encodage exclusif des exemples particuliers ne le peut non plus.

Comme nous l’avons vu précédemment, ces deux types de modèles ont en commun de considérer que l’information stockée en mémoire est localisée. Cette perspective, au vu des propriétés plastiques de notre système nerveux est une impasse que l’architecture connexionniste permet de dépasser.

De ce fait, le modèle de Whittlesea a l’avantage d’être un modèle épisodique qui intègre une architecture connexionniste. La mémoire est un seul système qui code chaque épisode de traitement sur un mode distribué, ce qui lui confère de multiples propriétés comme une grande flexibilité, des capacités d’adaptation et d’apprentissage, une sensibilité au contexte, etc.

Dans cette perspective, l’abstraction de l’information générale n’est pas un processus automatique mais le produit de traitements inhérents à certaines tâches. De même, l’information concernant des évènements particuliers est encodée en fonction de l’expérience de ces évènements et l’unité de traitement de l’information varie avec la tâche dans laquelle les stimuli sont traités. Ainsi, la variabilité de l’encodage est un argument pertinent contre les interprétations extrêmes des modèles abstractionnistes et des modèles d’exemples. Elle permet de rendre compte d’une variété de phénomènes mentaux à travers la préservation d’expériences particulières. Cependant, contrairement aux modèles épisodiques vus plus haut, les unités mnésiques ne sont pas des traces qui s’accumulent mais des unités distribuées dont le format diffère selon les circonstances (traitement global ou analytique). Le modèle répond à la variabilité du contexte grâce à la flexibilité de l’attention et au processus d’intégration, à son traitement parallèle et à ses représentations distribuées. Il est capable de simuler la sensibilité humaine et suggère une compréhension de la mémoire en termes de système dynamique et interactif.

Ses travaux de 1987 ont démontré que l’utilisation de représentations abstraites n’est pas automatique. Cette utilisation dépend des demandes de la tâche et de la structure du matériel et la représentation est dépendante du contexte dans lequel a lieu le traitement. Whittlesea interprète ces résultats non pas en termes de différences entre informations stockées ayant différents impacts sur la performance mais en termes de différences dans l’encodage et la récupération qui dépendent des attentes du sujet, des exigences de la tâche, de la similarité entre la situation présente et les situations passées et de la nature du matériel.