011Introduction

Ecrire n’a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, même des contrées à venir1.

Le rapprochement de trois auteurs aussi différents que Conrad, Lowry et White autour du thème de l’espace et de l’écriture, ou encore de la quête herméneutique, peut sembler audacieux. Il est néanmoins indéniable qu’ils ont tous trois été fascinés par la problématique du déplacement et du positionnement, au sens propre comme au figuré. Lorsque l’on se penche sur leur biographie, ce vif intérêt se traduit par un goût prononcé pour les voyages et les lieux. Ces trois romanciers ont connu l’exil, qu’il soit librement choisi ou bien rendu nécessaire par la force des choses.

Conrad a ainsi dû subir l’exil forcé et contraint lorsqu’enfant il dut suivre son père en exil en Russie2 et puis lorsqu’il se retrouva orphelin à l’âge de 11 ans et fut élevé par sa grand-mère maternelle avant d’être confié à son tuteur, l’oncle Tadeusz Bobrowski. Il connut enfin l’exil volontaire lorsqu’il partit à Marseille en 1874 et ensuite sur les mers en tant que matelot pendant presque 20 ans, avant de finalement s’installer à Londres, de s’y stabiliser et d’y embrasser la carrière plus sédentaire d’écrivain à partir de 1894.

Après une enfance et une adolescence passée en Angleterre, Lowry succombe lui aussi à l’appel de la mer et embarque en 1927 à l’âge de 18 ans sur le bateau S.S. Pyrrhus, un cargo à destination de Yokohama. En 1932, il quitte définitivement sa famille et enchaîne, en l’espace de quelques années, Londres, Paris, Grenade, New York, Cuernavaca, Oaxaca, Acapulco, Vancouver et enfin Dollarton (de 1932 à 1940). Même si Dollarton devient alors un point d’ancrage fixe, il continue de beaucoup voyager jusqu’à la fin de sa vie.

Le cas de Patrick White est un peu différent dans la mesure où il a choisi le retour aux sources plutôt que l’exil. Il est né à Londres de parents australiens et a passé son enfance entre Angleterre et Australie. En 1929, il retourne en Australie pour y travailler comme « jackaroo » (gardien de troupeau) pendant deux ans sur les terres de l’un de ses oncles. Il repart alors pour l’Angleterre, s’installe à Londres, se met à écrire, passe deux ans au service de la « Royal Air force Intelligence » en Grèce et au Moyen-Orient, retourne à Londres mais décide alors que l’exil n’est pas une solution pour lui en tant qu’artiste3, et regagne l’Australie définitivement en 1948. De ce point de vue, contrairement à Conrad et Lowry, il choisit plutôt la terre nourricière que l’exil, l’enracinement4 plutôt que l’errance. Il déclare d’ailleurs à cette époque : « ‘So, amongst the rewards, there is the refreshed landscape, which even in its shabbier, remembered versions has always made a background to my life’ 5 » Il relie aussi explicitement son retour en Australie à une nécessité créatrice, à un désir de se ressourcer :

‘Demobilisation in England left me with the alternative of remaining in what I then felt to be an actual and spiritual graveyard, with the prospect of ceasing to be an artist and turning instead into that most sterile of beings, a London intellectual, or of returning home, to the stimulus of time remembered. [...] So I came home. I bought a farm at Castle Hill, and with a Greek friend and partner, Manoly Lascaris, started to grow flowers and vegetables, and to breed Schnauzers and Saanen goats.
The first years I was content with these activities, and to soak myself in landscape6. ’

Il achète donc cette vieille maison à Castle Hill, à la périphérie de Sydney, et s’y installe avec son compagnon Manoly Lascaris.

Conrad, Lowry et White partagent par conséquent ce goût du déplacement et de la quête d’une forme de « terre promise » même si pour Conrad et Lowry, celle-ci devait rester en un sens une terre d’exil, comme en témoigne l’épigraphe du tout premier roman de Conrad : « ‘Qui de nous n’a eu sa terre promise, son jour d’extase et sa fin en exil’ 7 ? »

Cette soif d’espaces neufs et de mobilité s’est traduite dans leurs romans respectifs par une thématique spatiale très présente. Si l’on prend l’exemple de Conrad, c’est tout-à-fait frappant et ceci à la simple lecture du titre de ses principaux romans. Ainsi, son tout premier roman s’intitule Almayer’s Folly, A Story of an Eastern River. L’ancrage spatial est fort puisqu’il est fait référence à un lieu spécifique, la rivière (« eastern river »), même si cet ancrage est affaibli par la référence à la folie, qui est aussi déliaison, puis par l’épigraphe qui évoque l’exil8. Puis il y aura An Outcast of the Islands, The Nigger of the Narcissus–A Tale of the Sea, Heart of Darkness, Nostromo– A Tale of the Seaboard, The Mirror of the Sea, Twixt Land and Sea–Tale, Within the Tides–Tales, Victory–An Island Tale, The Shadow-Line–A Confession, The Rescue–A Romance of the Shallows. A la simple lecture de ces différents titres, le lecteur est frappé par le désir qu’éprouve le romancier d’ancrer ses récits dans un lieu, un espace particulier : îles, mer, ténèbres, ligne d’ombre.

Le premier roman de Lowry, Ultramarine, est aussi centré sur une thématique spatiale, celle du voyage maritime, récit d’initiation et de formation. Il est d’ailleurs dédié aux marins, ces voyageurs de « métier » :

‘Let who will speak against Sailors; they are the glory and safeguard of the Land. And what would have become of old England long ago but for them ?
Samuel Richardson9

Son second roman Under the Volcano est articulé autour de repères spatiaux tels que le ravin (« barranca »), le jardin (celui du Consul et le jardin d’Eden), la forêt (celle des environs de Quaunahuac et celle, littéraire, de Dante), les différentes roues de manège (la « Ferris Wheel », la « Máquina Infernal »), les diverses maisons et « cantinas »10 et bien sûr avant tout les deux volcans séparés à jamais et symboliques à la fois du désir d’élévation du Consul (associé à son désir de gravir le sommet du volcan « Popocatepetl ») et de sa chute annoncée dès le titre (Under the Volcano ou la descente aux enfers, « sous le volcan »). Nombreuses sont aussi ses nouvelles au nom évocateur de voyages et de traversées : « The Bravest Boat », « Outward Bound », « Through the Panama », « The Forest Path to the Spring11 ».

Quant à White, la plupart de ses romans s’intéressent aux liens entre identité et déplacement, ou inversement entre identité et ancrage spatial. Seul son roman The Living and the Dead se situe exclusivement ailleurs qu’en Australie. Ses quatre premiers romans sont Happy Valley, The Living and the Dead, The Aunt’s Story et The Tree of Man. Dans chacun de ces romans, le lieu est essentiel : il a une influence mortifère et délétère dans Happy Valley et The Living and the Dead, une fonction libératrice dans The Aunt’s Story et une valeur emblématique du rapport de l’homme au monde dans The Tree of Man. The Aunt’s Story est ainsi divisé en trois parties centrées chacune sur un lieu, l’Australie, puis le sud de la France, et pour finir les États-Unis. The Tree of Man est construit en quatre parties qui correspondent à quatre étapes de la vie, « ‘l’innocence, l’expérience, la mort et la réconciliation’ 12 » et quatre saisons, le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. A Fringe of Leaves s’intéresse aussi à l’évolution d’une jeune femme qui change de milieu social puis de repères culturels après avoir fait naufrage et s’être retrouvée à vivre dans une tribu aborigène. Dans The Vivisector, Hurtle Duffield se voit également partagé entre plusieurs mondes, celui modeste, voire misérable de ses parents, et celui, opulent de ses parents adoptifs, les Courtney, à qui ses parents se sont résignés à le vendre ! Dès que possible, il quitte néanmoins le cocon étouffant de sa famille adoptive pour s’engager dans l’armée durant la première guerre mondiale. Puis il se déplace au gré de ses rencontres et de ses désirs de peintre.

Mais s’il s’était agi pour nous de comparer l’ensemble de l’oeuvre des trois auteurs, outre que tous leurs romans ne sont pas forcément centrés sur une problématique spatiale, nous n’aurions pas disposé d’assez de temps ni de pages pour faire à chaque roman une place satisfaisante et convaincante. En effet, s’intéresser à la problématique de l’écriture et de l’espace chez trois auteurs qui couvrent une période qui va du milieu des années 1890 à la fin des années 1980, de la fin de l’ère victorienne, en passant par le modernisme puis le postmodernisme, nécessitait de considérer chaque auteur dans sa spécificité culturelle, historique et esthétique. Il nous a donc semblé qu’en centrant notre analyse sur un ouvrage majeur de chaque romancier qui soit tout particulièrement structuré autour d’une problématique spatiale, il serait possible de contraster trois approches bien différenciées en gardant une analyse ancrée dans le texte des romans, évitant ainsi l’écueil de grands rapprochements dont la généralité atténuerait la portée.

Heart of Darkness, Under the Volcano et Voss présentaient tous trois la particularité d’être considérés comme l’une des oeuvres maîtresses de chaque auteur tout en étant des romans où espace, écriture et herméneutique sont essentiels. Ce qui est frappant tout particulièrement dans ces trois romans, c’est que le « sujet », au sens d’histoire mais aussi d’être psychologique, se traduit presque toujours en termes de déplacement, de traversée d’espaces. Cette prédilection pour une thématique spatiale est d’autant plus frappante dans ces trois oeuvres qu’il s’agit là de trois expéditions au sens propre ou figuré. Heart of Darkness est le récit d’un voyage sur le fleuve Congo à la recherche de Kurtz, employé d’une compagnie belge aux visées colonialistes, qui s’est, semble-t-il, dangereusement égaré dans la « wilderness »13. Under the Volcano s’apparente à une sorte de pèlerinage, ou plutôt chemin de croix, de plusieurs personnages en quête d’identité : le lecteur les suit tour à tour dans le dédale des rues et des « cantinas » de Quaunahuac, au bord du ravin qui longe la ville (la « barranca »), dans les profondeurs d’un bois ensorcelé et jusqu’à leur destination finale : la ville de Parian. Voss enfin est le compte-rendu d’une expédition dans le « bush » australien. Dans ces trois romans on peut affirmer, comme le fait Jean-Yves Tadié à propos de Conrad, que « l’aventure est dans l’espace » :

‘L’aventure est dans l’espace, dans le lieu, dans le voyage, qui est la visite de la différence. C’est pourquoi de nombreux récits de Conrad sont, comme Jeunesse, l’histoire, ou plutôt la chronique, d’un « voyage », de ces voyages « qui semblent conçus pour illustrer la vie, qui pourraient symboliser l’existence »14.’

Tadié rejoint ici l’étymologie du mot aventure (ad-venire) qui évoque les problématiques spatiales de déplacement et d’arrivée à destination, et donc de voyage. Mais si l’aventure est une des formes privilégiées du genre romanesque au XIXe siècle, l’esprit du XXe siècle propose un autre aspect de la thématique spatiale : non plus la quête d’un trésor ou d’une personne comme c’est souvent le cas dans les romans d’aventure traditionnels (ce qui suppose un déplacement de lieu en lieu), ni une quelconque reconnaissance sociale telle qu’on la trouve dans le roman d’apprentissage (ce qui implique là encore un déplacement, aussi métaphorique soit-il, le long de l’échelle sociale) mais quête d’un sens et d’une identité devenus problématiques, qui semblent en perpétuel « ad-venir »15, d’où l’apparition d’une véritable thématique spatiale du déplacement et du décentrement.

Le XXe siècle est un siècle où espace rime avec espacement, c’est-à-dire déplacement, perte de repères, mobilité : « ‘The disappearance of familiar places and the proliferation of a more and more limited set of uniform places have caused a peculiarly modern malaise called placelessness’ 16 ». Ce siècle voit en effet la remise en cause des notions de vérité, d’identité et d’existence avec les nouvelles interrogations herméneutiques issues de la rupture épistémologique au tournant du siècle, l’avènement du questionnement psychanalytique puis l’émergence de l’existentialisme et de la phénoménologie, autant de questions qui étaient déjà en germe du temps de Conrad, contemporain de Nietzsche, l’un des grand précurseurs de la modernité. Comme le rappelle Althusser, le XXe siècle a vu naître un décentrement fondamental, celui du sujet :

‘Freud nous découvre à son tour que le sujet réel, l’individu dans son essence singulière, n’a pas la figure d’un ego, centré sur le « moi », la « conscience », ou l’» existence », –que ce soit l’existence du pour-soi, du corps-propre, ou du comportement, – que le sujet humain est décentré, constitué par une structure qui elle aussi n’a de « centre » que dans la méconnaissance imaginaire du « moi », c’est-à-dire dans les formations idéologiques où il se « reconnaît »17.’

A ce décentrement du sujet humain s’ajoute la mobilité de son statut social. En effet, dès 1869, John Stuart Mill souligne cette nouvelle tendance qui allait s’accentuer au siècle suivant. D’après lui, il était caractéristique de son époque que les hommes n’y naissent plus à la place qui sera la leur dans la société : « ‘[...] human beings are no longer born to their place in life [...] but are free to employ their faculties, and such favourable chances as offer, to achieve the lot which may appear to them most desirable’ 18. » Walter Houghton commente cette nouvelle conception du « statut » en soulignant les causes économiques d’une telle mobilité :

‘This breakdown of the old conception of status owed something to democratic ideas about the rights of man, but its primary cause was economic. The development of commerce, drawing men off from the land and opening new and independent careers to talent, had been the main instrument in dissolving the feudal nexus of society19.’

Le troisième bouleversement du XXe siècle, c’est le brouillage voire la perte des repères qu’offraient les figures d’autorité telles que l’Église, l’État, la patrie. Lorsque Nietzsche cite les propos fictifs d’un fou qui cherche Dieu en plein jour et allume une lanterne car il ne le voit plus, il souligne avant tout la désorientation de ce dernier qui s’écrie :

‘Qu’avons-nous fait quand nous avons détaché la chaîne qui liait cette terre au soleil ? Où va-t-elle maintenant ? Où allons-nous nous-mêmes ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous côtés ? Est-il encore un en-haut, un en-bas ? N’allons-nous pas errant comme un néant infini ? Ne sentons-nous pas le souffle du vide sur notre face20 ?’

Cette perte de repères est à la fois très proche du trouble de Marlow qui, dans Heart of Darkness, ne sait plus très bien s’il existe « ‘encore un en-haut’ » et « ‘un en-bas’ 21 », de l’équilibre précaire du Consul qui semble en « ‘train de tomber sans cesse’ 22 » et de Voss qui se prend lui-même pour la lumière divine23.

Par ailleurs, la thématique spatiale au niveau de la diégèse et du parcours herméneutique se double d’une stratégie textuelle « spatiale » telle que l’a définie le critique Joseph Frank au début du siècle, y voyant une caractéristique propre au XXe siècle24. Il la définit par un agencement des mots, paragraphes et parties, des images et des symboles, non selon un axe syntagmatique qui correspondrait au déroulement de l’action ou au courant de conscience mais selon une logique purement réflexive et interne à l’oeuvre :

‘[...the] chapters are knit together, not by the progress of any action–either physical action, or, as in a stream-of-consciousness novel, the act of thinking–but by the continual reference and cross-reference of images and symbols which must be referred to each other spatially throughout the time-act of reading25.’

Il suggère que les oeuvres modernistes doivent être lues comme des poèmes dans leurs rapports simultanés et non dans une séquence. Il est le précurseur d’une école critique qui s’est intéressée dès lors à cette forme de structuration narrative et poétique qu’il a dénommée « forme spatiale »26.

Le paradoxe du roman, c’est qu’il n’est, a priori, soumis à aucune règle concernant le temps ou l’espace27. Cette liberté totale pourrait nous amener à penser qu’il existe autant de types d’espaces de la représentation ou de la narration que d’auteurs, voire de livres ! Il est cependant intéressant de voir en quoi l’écriture du roman à l’aube puis au cours du XXe siècle a radicalement transformé l’approche du temps et surtout de l’espace en littérature. Il reste à savoir sous quelle forme apparaissent les représentations spatiales, ainsi que les enjeux d’une écriture « spatiale » dans nos romans.

Notes
1.

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris : Minuit/ Critique, 1980, p. 11.

2.

Apollo Korzeniowski est déporté avec sa femme et son fils Józef Teodor Konrad (Conrad) à Vologda en Russie, en 1962, pour ses activités politiques. Conrad est alors âgé de quatre ans.

3.

« All through the war in the Middle East there persisted a longing to return to the scenes of childhood, which is, after all, the purest well from which the creative artist draws. Aggravated further by the terrible nostalgia of the desert landscapes, this desire was almost quenched by the year I spent stationed in Greece [...] » (Patrick White, « The Prodigal Son » [©Australian Letters, I, Avril 1958] in Patrick White Speaks : The Collected Essays, Articles and Speeches of the Nobel Prize Winning Novelist, Londres : Jonathan Cape, 1990, p. 14).

4.

Dans un entretien accordé à Ingmar Björksten en 1962, il disait à ce propos ne pas croire aux vertus du déracinement : « It was eighteen years before I dared to come back to Australia for the third time. But I couldn’t do without the countryside out here. I don’t believe in a final break with the place one originates from. Only in a temporary break...to get perspective ; you are shaped by the place you have your roots in ; it has become part of you. Outside places don’t shape you in the same way. » (cité dans Ingmar Björksten, Patrick White : A General Introduction, trad. du suédois par Stanley Gerson, St Lucia [Queensland] : University of Queensland Press, 1976, p. 6.

5.

Patrick White, « The Prodigal Son », Ibid., 1990, p. 16.

6.

Ibid., p. 14.

7.

Cette épigraphe à Almayer’s Folly est une citation du journal d’Amiel.

8.

cf supra.

9.

Il s’agit de la deuxième épigraphe au roman.

10.

C’est un nom espagnol désignant une taverne ou un bar mais comme il apparaît toujours en espagnol dans le roman, nous ne le traduirons pas. Ni Stephen Spriel ni Jacques Darras ne le traduisent non plus (Au-dessous du volcan, trad. de l’anglais par Stephen Spriel et Clarisse Francillon, Paris : Gallimard/Folio, 1973 [©Le Club français du livre, 1959] et Au-dessous du volcan, nouvelle traduction et présentation de Jacques Darras, Paris : Gallimard/Folio, 1998).

11.

Notons au passage la récurrence des prépositions exprimant le mouvement ou le déplacement dans ses titres de romans.

12.

Ingmar Björksten, op. cit., p. 47.

13.

Ce terme de « wilderness » n’est pas traduit ici ni par la suite, étant donné que les équivalents français de « sauvagerie » (traduction Aubier 1980, p. 107), « brousse » (Aubier, p. 189, p. 219) ou encore « brousse sauvage » (Aubier, p. 211) paraissent réducteurs eu égard à la riche polysémie du mot anglais. Formé à partir de l’adjectif « wild » dont les nombreuses acceptions découlent de la négation de ce qui est civilisé, connu, contrôlé, il est assez proche de ce que Freud appelle « l’inquiétante étrangeté » (Freud, « L’inquiétante étrangeté » in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris : Gallimard, 1985, 342p.(©Das Unheimliche, 1919). En ce sens, la « wilderness » est l’espace autre, le lieu de la différence, autant de thématiques spatiales qu’on ne peut qu’affaiblir par l’utilisation d’un terme aussi banal que celui de « jungle ».

14.

Jean-Yves Tadié, Le roman d’aventures, Paris : PUF, 1982, p. 153.

15.

Todorov souligne ainsi que dans Heart of Darkness, l’aventure s’est déplacée : « Si aventure il y a, elle n’est pas là où on croyait la trouver : elle n’est pas dans l’action mais dans l’interprétation que l’on acquerra de certaines données, posées depuis le début. [...] l’aventurier de Conrad—si on veut encore l’appeler ainsi—a transformé la direction de sa quête : il ne cherche plus à vaincre mais à comprendre. Coeur des ténèbres est un récit de connaissance. » in Tzvetan Todorov, « Connaissance du vide », Nouvelle Revue de Psychanalyse, « Figures du vide », n°11, Printemps 1975, pp. 145-154, p. 146.

16.

Leonard Lutwack, The Role of Place in Literature, Syracuse, New York : Syracuse University Press, 1984, p. 183. Aussi intitule-t-il son chapitre sur la littérature du XXe : « Placelessness : The Concern of Twentieth-Century Literature », pp. 182-245.

17.

Louis Althusser, « Freud et Lacan » (©La Nouvelle Critique, n° 161-162, Décembre 64-Janvier 65), in Écrits sur la psychanalyse, Freud et Lacan, Paris : Stock/Imec, 1993, pp. 23-48, p. 47.

18.

John Stuart Mill, « The Subjection of Women » (1869) dans On Liberty, Representative Government, the Subjection of Women, Londres : World’s Classics, 1912, p. 445.

19.

Walter Houghton, The Victorian Frame of Mind 1830-1870, New Haven et Londres : Yale University Press, 1957, p. 4.

20.

Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, Paris : Gallimard/ Folio/ Essais, trad. de l’allemand par Alexandre Vialatte, 1988 (©Gallimard, 1950), 373p, p. 166.

21.

« [...] I had to deal with a being to whom I could not appeal in the name of anything high or low. I had, even like the niggers, to invoke him–himself–his own exalted and incredible degradation. There was nothing either above or below him, and I knew it. [...] and I before him did not know whether I stood on the ground or floated in the air. » (HD, p. 107)

22.

Le protagoniste principal, le Consul, est un personnage qui est sans cesse au bord de l’évanouissement et de la syncope, étant en état d’ébriété continue. Une expression qui devient un véritable leitmotiv dans le roman est l’adverbe « downhill » qui ouvre d’ailleurs le chapitre huit, chapitre crucial d’après Lowry.

23.

Laura fait en effet la remarque suivante à son propos : « It is the terrible Sun that he is imitating. That is what I must believe. It is a play. For anything else would be blasphemy. » (V, p. 371).

24.

Joseph Frank, « Spatial Form in Modern Literature », Sewanee Review, vol. 53, 1945, pp. 221-240, pp. 433-456, pp. 643-653.

25.

Ibid., p. 439.

26.

L’élucidation des tenants et aboutissants d’une telle notion sera l’objet de notre premier chapitre qui tentera de faire un tour d’horizon de la question depuis les thèses de Joseph Frank jusqu’à nos jours.

27.

Michel Raimond met en évidence cette difficulté à définir le roman : « Le roman est bien un peu comme l’homme de la philosophie existentialiste : son existence précède son essence. Il paraît a priori difficile de lui assigner des règles, puisqu’il n’est soumis à aucune nécessité de temps et d’espace, et qu’il peut, en droit, aborder n’importe quel sujet, de n’importe quelle manière. » (La crise du roman, Paris : Corti, 1985 [© 1966], p. 138).