011II. DE LA « FORME SPATIALE » À « L’ORDRE SPATIAL73 »

Joseph Frank a relancé la polémique inaugurée par Lessing sur le caractère temporel de l’appréhension du livre contrairement à l’appréhension spatiale des oeuvres d’art. La traduction et la publication dans la revue Poétique d’un extrait de son livre The Widening Gyre ont fortement contribué à faire connaître ses thèses en France mais ce concept est resté suspect aux yeux de beaucoup même si les deux articles de Genette sur la question ont permis une plus grande clarification. Revenons aux thèses initiales de Frank pour comprendre ce qu’il entendait par « forme spatiale » : il part de l’observation de la littérature avant-gardiste de son temps (Joyce, Eliot, Pound et Proust) et essaie d’en définir la particularité. Il annonce d’ailleurs l’objet de son étude d’une manière des plus didactiques :

‘The purpose of the present essay is to apply Lessing’s method to modern literature - to trace the evolution of form in modern poetry and, more particularly, in the novel. The first two sections will try to show that modern literature, exemplified by such writers as T.S. Eliot, Ezra Pound, Marcel Proust and James Joyce, is moving in the direction of spatial form. This means that the reader is intended to apprehend their work spatially, in a moment of time, rather than as a sequence 74. ’

Frank suggère ici qu’une « forme spatiale » se reconnaît à ce qu’elle n’a de cohérence que comme un tout considéré globalement et non comme une progression linéaire et orientée. Il constate en effet que de plus en plus d’oeuvres et surtout de poèmes modernes ont une unité qui n’est pas seulement linéaire, un événement de la diégèse en entraînant un autre, une phrase appelant la suivante, comme dans les romans qu’il qualifie d’essentiellement « temporels ». A l’inverse, la cohérence de nombre d’oeuvres modernes est à trouver dans la simultanéité de rapports effectués hors de toute considération de linéarité et de successivité : il les dénomme alors romans à « forme spatiale ».

Notons dès à présent que sa définition se situe au niveau de la perception, de la lecture, pas seulement à celui de l’agencement de l’oeuvre, même si les deux plans sont intimement liés. D’après Frank, une oeuvre à forme spatiale suppose donc de la part du lecteur un effort intense de mémorisation et d’anticipation, qui lui permette de faire les rapprochements nécessaires entre des mots, thèmes, figures ou épisodes qui s’appellent les uns les autres, fussent-ils fort éloignés dans l’ordre du syntagme (c’est-à-dire de la phrase, du paragraphe, du chapitre ou encore du roman). Ces rapprochements ou relations effectués simultanément sont en parfaite contradiction avec les rapprochements purement successifs qu’appelle une lecture du seul syntagme dans sa continuité et son orientation consécutive du passé au présent, du mot précédent au suivant, lecture qui caractérise les romans à structure linéaire comme le roman pré-moderne et plus particulièrement celui du XIXe siècle dont le genre historique est un des meilleurs exemples. Frank reconnaît néanmoins que de telles généralisations sont à nuancer car nombre de romans du XVIIIe comme ceux de Sterne (ou de Diderot, qu’il aurait pu citer) sont en ce sens très proches de ceux du XXe siècle. La « forme spatiale » propre à la modernité n’est donc pas une question de chronologie mais bien de choix de composition et de structure.

Cette structure reste à définir, d’autant que la figure du mythe qui, d’après Frank, est celle du roman et de la poésie modernes, genres qui privilégient la « forme spatiale »–alors que la figure de l’histoire caractérise pour lui le roman pré-moderne qui est à dominante « temporelle »75–semble discutable à bien des égards dès que l’on s’intéresse à d’autres auteurs que ceux qu’il étudie (Proust, Joyce, Pound et Eliot)76. Mitchell résume d’ailleurs les thèses de Frank en insistant non pas sur la structure mythique mais sur l’idée de simultanéité opposée à celle de séquence :

‘Frank’s basic argument is that modernist literary works (particularly by Eliot, Pound and Joyce) are « spatial » insofar as they replace history and narrative sequence with a sense of mythic simultaneity and disrupt the normal continuities of English prose with disjunctive syntactic arrangements77. ’

Le mythe ne serait alors qu’une des nouvelles formes de composition possible, composition dont la caractéristique serait de rompre avec les enchaînements classiques du roman pour lui préférer des rapprochements qui dépendent d’une autre logique que celle de l’enchaînement temporel d’une intrigue. Le terme de « forme spatiale » est défini négativement non pas comme l’opposé de la temporalité en général mais d’une de ses formes bien particulière, une temporalité linéaire et continue : la forme spatiale n’est pas dénuée de temporalité mais celle-ci fonctionne par « disjonctions » et par ruptures que seule une lecture « simultanée » permet d’appréhender correctement. Une telle définition correspond bien à l’appréhension globale et simultanée que requiert la lecture des romans de Conrad, Lowry et White à ceci près que le mythe (« mythic simultaneity ») n’y a pas une place prépondérante. Si l’on définit le mythe à la manière dont le fait Lévi-Strauss en parlant de résolution imaginaire des oppositions, alors Heart of Darkness, Under the Volcano et Voss n’ont que peu d’éléments mythiques à proprement parler puisque, si forme spatiale il y a (rapprochements simultanés d’épisodes éloignés dans l’espace-temps de la diégèse ou de mots appartenant à des contextes différents), elle tend bien plutôt à faire ressortir les oppositions. Ainsi, chez Lowry, les oppositions ne sont jamais figées mais toujours en mouvement, elles n’en « finissent jamais » tout comme l’indique le nom qu’il voulait donner à son oeuvre entière, le « voyage qui n’en finit pas », The Voyage that Never Ends 78. Néanmoins, il est vrai que la composition de Under the Volcano présente une organisation mythique au sens où ‘« l’ordre de succession chronologique se résorbe dans une structure matricielle atemporelle’ 79 » Cette « structure matricielle atemporelle » est celle des grandes figures archétypales telles le ravin/» barranca », symbole de l’Enfer, le jardin à l’abandon du Consul comme paradis perdu, la maison au bord du lac, symbole du paradis regagné, la roue du temps et de la fortune/» the Ferris wheel ». Dans Heart of Darkness, on ne peut pas non plus parler de structuration mythique et les quelques figures mythiques convoquées le sont plutôt à des fins de distanciation comme nous le verrons80. Conrad ne disait-il pas en effet dans un essai de 1906 à propos d’un roman de John Galsworthy, The Man of Property : « ‘In the essentials of matter and treatment it is a book of today. ’ ‘Its critical spirit and its impartial method are meant for a humanity which has outgrown the stage of fairytales, realistic, romantic or even epic’ »81. Le mythe, de même que les contes de fée, semble pour Conrad un retour en arrière, une solution de facilité alors que tout son art vise à éviter les fictions rassurantes et les idéologies confortables, notamment celle de l’impérialisme dans Heart of Darkness. A la résolution imaginaire des oppositions du mythe, il préfère la mise au jour de la contradiction et des oppositions. Quant à Voss et à l’expédition dans le « bush », ils font certes appel à certains mythes comme celui de la conquête en ce qui concerne la bourgeoisie de Sydney, le surhomme nietzschéen pour Voss et les mythes aborigènes d’un monde cyclique, en perpétuelle métamorphose, mais leur juxtaposition même empêche une quelconque « résolution imaginaire des oppositions ». L’opposition entre histoire et mythe avait été revendiquée dès les années vingt avec le célèbre article de T. S. Eliot, « Ulysses, Order, and Myth », contrastant « l’immense panorama de futilité et d’anarchie que repésentait alors l’histoire82 » et la structure mythique de l’oeuvre qui devait la « ‘contrôler, l’ordonner, lui donner forme et sens’ 83 » :

‘I am not begging the question in calling Ulysses a “novel”; and if you call it an epic it will not matter. If it is not a novel, that is simply because the novel is a form which will no longer serve; it is because the novel, instead of being a form, was simply the expression of an age which had not sufficiently lost all form to feel the need of something stricter. [...] The novel ended with Flaubert and with James. It is, I think, because Mr Joyce and Mr Lewis, being “in advance” of their time, felt a conscious or probably unconscious dissatisfaction with the form, that their novels are more formless than those of a dozen clever writers who are unaware of its obsolescence84.
In using the myth, in manipulating a continuous parallel between contemporaneity and antiquity, Mr Joyce is pursuing a method which others must pursue after him. [...] It is simply a way of controlling, of ordering, of giving a shape and significance to the immense panorama of futility and anarchy which is contemporary history. Instead of narrative method, [...] we may now use the mythical method85.’

Néanmoins, la « forme spatiale » n’est pas un artifice qui permet de masquer les ruptures et de substituer aux incertitudes et aux remous de l’histoire (diégèse), et de l’Histoire (contemporaine, référentielle), une vérité et une forme immuables incarnées par le mythe. Attribuer à Joseph Frank de telles visées nous semble relever du procès d’intentions.

Quoiqu’il en soit, si la problématique spatiale est si éclairante pour Conrad, Lowry et White, ce n’est pas parce qu’elle offre un refuge par rapport à une réalité élusive et protéenne mais en tant que fascination pour la forme. Vivre, percevoir, penser, c’est, pour Conrad, White et Lowry, avant tout créer des formes. Parler de « forme spatiale » n’offre pas de modèle explicatif ou « métaphysique » de notre rapport au monde mais nous permet d’en dégager les modalités. Frank n’affirme nulle part qu’une oeuvre spatiale est une oeuvre pleinement réalisée au sens où sa perfection formelle résoudrait toutes les contradictions. Il est vrai qu’une telle position était dans l’air du temps et le critique Terry Eagleton le rappelle ironiquement lorsqu’il souligne que les critiques de la « Nouvelle Théorie américaine », très influents de la fin des années 30 jusqu’aux années 50, avaient tendance à considérer le poème et par extension le roman, comme un « ‘fétiche86 », « un objet autosuffisant, aussi solide et matériel qu’une urne ou une icône’ »87 : ‘« The poem became as a spatial figure rather than a temporal process. ’ ‘Rescuing the text from author and reader went hand in hand with disentangling it from any social or historical context.’ »88 L’oeuvre d’art est bien plutôt cet être paradoxal qui propose des formes en perpétuelle oscillation à la manière des mobiles de Calder. La spécificité des oeuvres « spatiales » réside donc, selon Frank, dans une nouvelle approche du texte littéraire qui suppose de la part du lecteur d’appréhender l’oeuvre de manière simultanée et non pas linéaire.

Paradoxalement, Lessing avait utilisé l’argument opposé pour infirmer la thèse selon laquelle l’écriture faisait partie des arts « spatiaux ». Selon lui, une oeuvre littéraire de même qu’un morceau de musique suppose une perception temporelle et non spatiale, une lecture ou une écoute progressive et linéaire à l’inverse des arts spatiaux dont la perception est immédiate et simultanée à la manière du regard sur une toile ou une sculpture. Mais, comme le fait remarquer Mitchell, ces deux notions ne sont pas parfaitement « étanches » :

‘If we examine our experience of such unquestionably literal spatial forms as paintings, statues, buildings, and landscape gardens, we readily acknowledge that it takes time to experience and « decode » them, that we never apprehend space apart from time and movement89. ’

Une telle opposition est approximative car le regard lui aussi est progressif et successif au sens où il parcourt la toile par différents chemins, même si tout semble donné simultanément. Idéalement, si un livre pouvait se lire aussi rapidement qu’une toile se déchiffre, la différence majeure dans la lecture de l’oeuvre, indépendamment des notions de signifié et de référent, serait que l’inscription du texte se ferait dans l’esprit du lecteur au fur et à mesure de son avancée dans le texte, alors que l’inscription de la toile sur la rétine et dans l’esprit du spectateur se fait dans un ordre non prédéterminé ni orienté, celui de son regard. La différence essentielle serait donc l’ordre et l’orientation de l’exploration du signe, visuel ou verbal.

Cette différence se réduit néanmoins si l’on considère qu’à chaque instant, le lecteur lui aussi effectue des trajectoires en arrière, sur les côtés : il rapproche différents épisodes, différents motifs. Les oeuvres ont alors une unité qui ne se donne pas à lire dans la continuité d’une lecture linéaire mais au sein d’un travail et d’un jeu entre les différentes parties du texte comme si chacune faisait appel à l’autre. Pour concevoir une telle unité, le lecteur doit donc disposer d’une « image » mentale de l’ensemble de l’oeuvre ou du poème de même qu’en musique un thème se dessine au travers des variations successives. A une lecture linéaire et passive que Frank définit comme « temporelle », doit donc succéder une lecture « en tous sens » et dynamique, qu’il décide d’appeler « spatiale ». La « forme spatiale » n’est que l’indication d’une attitude particulière à adopter pour approcher ces différentes oeuvres. Ce qu’on a appelé « delayed decoding »90 à propos de l’écriture de Conrad suppose là aussi une lecture transversale qui vient rectifier la première lecture. Un épisode qui à première vue/lecture semblait incompréhensible s’éclaire ensuite au cours du développement du récit : le lecteur ne peut alors s’empêcher de replonger dans ses premières impressions de lecture et ainsi, il modifie l’« image »91 initiale qu’il s’était forgée.

Une remarque s’impose : Frank et Mitchell restent dans le domaine de la réception de l’oeuvre avant tout. Mitchell, dans sa description de la forme spatiale, reprend d’ailleurs le terme « appréhender » que Frank avait utilisé pour définir ses objectifs premiers à propos de la « forme spatiale » : ‘« [...] the reader is intended to apprehend their work spatially, in a moment of time, rather than as a sequence’ »92. Ce parti pris phénoménologique est fondamental : il explique pourquoi on pourra qualifier une oeuvre construite en surface de manière chronologique et linéaire de « spatiale » du moment que le lecteur est supposé faire tout un travail d’élaboration secondaire.

Prenons Heart of Darkness par exemple : la chronologie de la diégèse est pour ainsi dire toujours respectée et la remontée du fleuve semble une illustration rêvée de la fameuse progression linéaire telle que l’entendait Lessing et pourtant on pourra qualifier le roman de « spatial » car, du point de vue de la narration et de la lecture, les choses ne sont pas si simples. Le foisonnement de témoignages divergents, l’enchâssement des récits, le fait que le récit de Marlow soit une narration a posteriori, tout cela oblige le lecteur à remettre en question tous les éléments dont il dispose au fur et à mesure de sa lecture. Par conséquent, ce qui est important, c’est la façon dont le lecteur est amené à réagencer les différentes parties du roman, que ce soit selon une logique séquentielle et chronologique ou selon une autre logique que l’on qualifiera alors de « spatiale ». On rejoint ici l’approche de Todorov et on la dépasse même un peu. Todorov réduit la différence entre mode temporel et mode spatial du roman à la différence entre un enchaînement structurel des « unités minimales » du roman (parties, paragraphes, phrases, mots) sur le modèle chronologique et logique et un autre enchaînement qui suive un agencement propre à l’oeuvre, imposant par exemple tel ou tel contraste ou parallélisme à tel endroit en dépit de toute nécéssité logique ou chronologique. Todorov résume ainsi la différence entre « l’ordre logique et temporel » et « l’ordre spatial » :

‘Nous distinguerons deux types principaux d’organisation du texte, suivant en cela une suggestion de Tomachevski : « La disposition des éléments thématiques se fait selon deux types principaux : ou bien ils obéissent au principe de causalité en s’inscrivant dans une certaine chronologie ; ou bien ils sont exposés sans considération temporelle, soit : dans une succession qui ne tient compte d’aucune causalité interne » [...] On appellera le premier type l’ordre logique et temporel, le second  que Tomachevski identifie négativement  l’ordre spatial93. ’

Todorov semble considérer qu’il existe d’une part un ordre temporel associé à la logique, c’est-à-dire à une forme de causalité, et d’autre part, un ordre spatial qui lui n’est pas qualifié de « logique ». Or, il semble tout aussi légitime de parler de « logique » spatiale que de logique temporelle à ceci près que dans de multiples oeuvres caractéristiques de l’ordre logique et temporel, la logique qui régit l’agencement et la succession des éléments de la diégèse est calquée sur une logique externe, « réelle » ou du moins référentielle, celle des événements de l’histoire racontée, alors que la logique spatiale est interne au sens où la succession des éléments obéit à une motivation interne comme l’agencement des idées dans l’esprit, la mémoire ou le récit du narrateur ou encore l’agencement des paragraphes, des phrases et des mots sur la page en vue de faire une impression particulière sur le lecteur. Alors que la logique du récit à dominante logique et temporelle est externe et aisément identifiable de par sa prétendue référentialité, la logique spatiale est interne et reste « cachée » mais elle n’est pas pour autant « superficielle ou capricieuse » pour reprendre les propres termes de Blanchot à propos du Tour d’écrou de James, parfait exemple d’un roman à logique spatiale ou « récit à sujet » d’après l’expression de Borgès commentée par Blanchot :

‘Un récit à sujet est donc une oeuvre mystérieuse et dégagée de toute matière : un récit sans personnages, une histoire où le quotidien sans histoire et l’intimité sans événement, ce fonds si commodément disponible, cessent d’être une ressource et en outre une histoire où ce qui arrive ne se contente pas d’arriver par le jeu d’une succession superficielle ou capricieuse [...] mais forme un ensemble uni, rigoureusement ordonné selon une loi d’autant plus importante qu’elle est cachée, comme le centre secret de tout.94

L’absence de référentialité (« sans histoire », « sans événement ») permet a contrario d’échapper à une « succession superficielle et capricieuse » : l’artifice est ici du côté de la ligne logico-temporelle dont l’une des figures de prédilection est bien la successivité (« succession »). Il est à noter que « l’ordre spatial » est défini négativement : il est cette liberté prise par rapport à un modèle logico-temporel mais il recouvre des visées très diverses. En fait, contrairement à ce que la citation de Tomachevski pourrait laisser penser, « l’ordre spatial » tient tout de même compte d’une causalité interne et d’une certaine logique, mais elles lui sont propres et n’ont plus grand chose à voir avec la logique linéaire et temporelle qui structurait le roman traditionnel.

La logique spatiale associe, juxtapose des éléments qui n’ont a priori aucun rapport ni logique ni temporel mais cette présentation simultanée en crée ou en révèle d’autres qui peuvent s’avérer d’autant plus forts, fût-ce dans le contraste. C’est pourquoi Joseph Frank donne pour exemple de forme spatiale le passage de Madame Bovary où trois plans spatiaux et temporels se juxtaposent. La scène de séduction entre Rodolphe et Emma sur fond de comices agricoles présente ainsi simultanément, au mépris de la linéarité temporelle et d’une quelconque causalité, trois plans juxtaposés : Emma et Rodolphe en hauteur, les représentants officiels légèrement au dessous d’eux et la foule tout en bas. Cette composition s’apparente à la méthode cinématographique qui permet au lecteur/spectateur de mettre en relation les éléments présentés même s’ils appartiennent à des plans différents. Dans cette scène de Madame Bovary, le brouhaha de la foule, les phrases pompeuses des autorités officielles et les avances enflammées de Rodolphe ne font bientôt plus qu’un, dans un effet contrapuntique des plus dommageables pour les envolées lyriques de ce dernier. A l’enchaînement logico-temporel se substitue une logique spatiale qui souligne le peu de cas qu’Emma devrait faire des belles paroles de Rodolphe qui ne valent ni plus ni moins que les promesses de politiciens ! La logique spatiale repose donc bien sur une logique autre, ici la symbolique qui traverse tout le roman et que l’on pourrait résumer à grands traits comme suit : les mots ne sont pas à prendre pour argent comptant et la vie n’est pas un roman.

D’une manière similaire, la structure de Heart of Darkness qui juxtapose sans arrêt les colons européens et les indigènes, le point de vue faussement naïf de Marlow, celui des membres de la compagnie belge, celui de Kurtz et celui de son jeune admirateur russe, pour ne citer que les plus frappants, amène dans l’esprit du lecteur une distanciation progressive qui le conduit à déconstruire ses propres préjugés culturels et idéologiques. Dans Under the Volcano, la juxtaposition répétée d’extraits de journaux, de conversations, de films, de pancartes ou de slogans publicitaires95, est censée imiter l’impression de vertige et de chaos que procure le « cauchemar de l’histoire » pour reprendre la célèbre expression de Joyce. Dans Voss enfin, la juxtaposition du point de vue de la bourgeoisie de Sydney, de celui des aborigènes et enfin des deux personnages en marge que sont Voss et Laura (c’est-à-dire d’un discours matérialiste et utilitariste, d’un discours d’inspiration mythique et d’un discours visionnaire et mystique), offre une vision éclatée de la société australienne. La logique spatiale n’est donc pas un but en soi mais plutôt un outil de composition qui permet d’accentuer des rapprochements inattendus, d’intégrer ruptures et discontinuités. Elle n’a par conséquent pas de « sens » particulier, elle est au contraire le plus souvent interrogation sur le sens. C’est là vraisemblablement l’une des raisons qui ont poussé Conrad, Lowry et White à l’utiliser de manière aussi systématique et il faudra réfléchir sur ce que cela révèle de la modernité.

Il est essentiel de souligner dès à présent que ces rapprochements peuvent se faire tant sur un plan symbolique, celui du signifié (parallèles, contrastes entre situations, personnages ou thématiques similaires), que sur un plan purement verbal et textuel, celui du signifiant (échos entre mots, syntagmes, paragraphes), d’autant qu’avec la modernité, les notions d’identité, de prise de position, d’inscription dans le temps et l’espace sont devenues indissociables d’un questionnement sur le langage et le symbolique au sens lacanien du terme. Ainsi Heart of Darkness, Lord Jim, Under the Volcano et Voss peuvent être schématisés comme des variations sur les signifiants « Kurtz », « Lord Jim », « Le Consul », et « Voss » et leurs résonances symboliques96.

A l’évidence, la définition de types littéraires n’a d’intérêt que parce qu’elle est un outil qui permet de mettre à jour des caractéristiques fondamentales des oeuvres. La « forme spatiale » est un modèle purement abstrait dont la valeur est plus explicative que normative ; et il reste évident que chaque oeuvre tient à la fois du mode temporel et du mode spatial. Frank rappelle d’ailleurs dans son article apologétique, « Spatial Form: An Answer to Critics » que dès son premier article paru dans la Sewanee Review, il n’envisageait sa typologie que comme une approche purement formelle :

‘All through the essay, as a matter of fact, I kept indicating that I was setting up what Max Weber called an “ideal type” - now called a “model” - rather than describing what was empirically and literally true in any particular case [...] “This explanation, of course,” I added in the next sentence, “is the extreme statement of an ideal condition rather than of an actually existing state of affairs.”97

C’est donc le terme de « dominante »98 spatiale ou temporelle qu’on devrait utiliser et ceci concernant tel ou tel aspect de l’oeuvre (signifié/signifiant ; diégèse/narration/énonciation) : si Heart of Darkness présente une trame narrative à dominante temporelle, cette même progression temporelle n’est le plus souvent qu’un leurre pour mieux cacher la dynamique à dominante spatiale au travail dans le texte au niveau du symbolisme et de la réception. Todorov s’explique de cette difficulté rencontrée dès qu’il s’agit de définir la structure d’un texte en fonction de ces deux ordres :

‘Seul le mélange de ces ordres se rencontre en fait en littérature. La pure causalité nous renvoie au discours utilitaire, la pure temporalité, aux formes élémentaires de l’histoire (science), la pure spatialité, au logatome lettriste. Ne serait-ce pas là une des raisons des difficultés que l’on rencontre quand on tente de parler de la structure du texte ?99

Si Frank s’est inspiré pour élaborer sa définition de « forme spatiale » de la terminologie de Lessing qui, dans le Laocoon, associait linéarité et temporalité, c’est a contrario qu’il a défini une littérature à dominante « spatiale », c’est-à-dire ni linéaire ni continue, tant sur le plan du signifié que du signifiant, c’est-à-dire tant sur le plan de la narration dont le déroulement temporel n’est plus systématiquement linéaire ni continu, que sur le plan du fonctionnement du signifiant dont les enchaînements ne s’effectuent plus uniquement sur le plan du syntagme mais aussi et surtout sur le plan du paradigme : dans certains passages « poétiques », c’est le rapprochement entre signifiants qui dictera l’exposition et l’enchaînement des phrases. Ceci est particulièrement frappant dans les passages de monologue intérieur, dans Under the Volcano notamment, où la logique associative entre mots et groupes de mots devient plus importante que celle de l’enchaînement des idées initialement présentées.

La différence entre types de romans, « temporel » ou « spatial » au sens où l’entendent Lessing et Frank respectivement, est une différence entre textes pour lesquels l’agencement dans le cadre du syntagme se fait de manière linéaire ou encore logico-chronologique et les autres pour lesquels le syntagme se voit affecté par des disjonctions de « contexture »100 qui correspondent à l’établissement d’une autre logique fondée sur le paradigme. Cette logique qu’on appellera « spatiale » est très proche de ce que Ricoeur cherche à identifier sous le nom de « métaphore vive » ou de « récit101 » : de nouvelles relations dans la chaîne signifiante qui font intervenir un autre fonctionnement au niveau du signifié, une « ‘nouvelle pertinence sémantique par le moyen d’une attribution impertinente ’» pour la métaphore et une ‘« nouvelle congruence dans l’agencement des incidents’ » pour le récit :

La Métaphore vive et Temps et Récit sont deux ouvrages jumeaux : parus l’un après l’autre, ils ont été conçus ensemble. [...la métaphore et le récit] relèvent du même phénomène central d’innovation sémantique. [...] Avec la métaphore, l’innovation consiste dans la production d’une nouvelle pertinence sémantique par le moyen d’une attribution impertinente [...]. Avec le récit, l’innovation sémantique consiste dans l’invention d’une intrigue [...] Dans les deux cas, du nouveau–du non encore dit, de l’inédit–surgit dans le langage : ici la métaphore vive, c’est-à-dire une nouvelle pertinence dans la prédication, là une intrigue feinte, c’est-à-dire une nouvelle congruence dans l’agencement des incidents102.’

Cette évolution va dans le même sens que les tentatives pré-structuralistes des formalistes russes et de Propp en particulier pour « déchronologiser et relogifier »103 le récit mais elle les dépasse en ce que la « relogification », comme nous le verrons plus loin, n’est pas seulement un ensemble de fonctions archétypales et leur articulation, mais aussi une logique symbolique plus complexe qui s’appuie notamment sur les rapprochements signifiants. Les nombreux malentendus et quiproquos à propos de la théorie de Frank ont souvent tenu au manque de clarté et de contours rigoureux de notions comme celles de médium « temporel » ou encore de « forme spatiale ». Si de tels concepts sont désormais a priori clairement définis, il sera plus facile de recourir aux termes saussuriens de syntagmatique et de paradigmatique, d’autant que leur indissociabilité est clairement établie. Frank reconnaît d’ailleurs dans le même article que sa théorie est désormais transposable en termes linguistiques :

‘I merely stated what has since become a platitude -that the synchronic relations whithin the text took precedence over diachronic referentiality, and that it was only after the pattern of synchronic relations had been grasped as a unity that the “meaning” of the poem could be understood104. ’

Pour Frank, une oeuvre à « forme spatiale » est donc une oeuvre qui doit être appréhendée en s’attachant aux éléments qui peuvent se juxtaposer dans l’esprit du lecteur. Une telle oeuvre emploie des images, des situations, des mots, ou encore des points de vue qui se font écho et se juxtaposent, de même que dans un tableau les formes et les couleurs se juxtaposent dans l’espace. Par conséquent, la discrimination qu’opère Lessing entre arts « spatiaux » (peinture, sculpture) et arts « temporels » (écriture) peut être dépassée :

‘Voici mon raisonnement : s’il est vrai que la peinture emploie pour ses imitations des moyens ou des signes différents de la poésie, à savoir des formes et des couleurs étendues dans l’espace, tandis que celle-ci se sert de sons articulés qui se succèdent dans le temps ; s’il est incontestable que les signes doivent avoir une relation naturelle et simple avec l’objet signifié, alors des signes juxtaposés ne peuvent exprimer que des objets juxtaposés ou composés d’éléments juxtaposés, de même que des signes successifs ne peuvent traduire que des objets, ou leurs éléments successifs 105. ’

En d’autres termes, la spécificité des oeuvres du début du XXe siècle, c’est qu’elles brouillent à loisir la continuité et le caractère  « successif » de la diégèse traditionnelle pour mieux en faire ressortir la cohérence totale et l’unité dans la « juxtaposition ». La « juxtaposition » de chapitres, de scènes ou encore de mots dans l’esprit du lecteur, indépendamment de leur présentation successive dans le roman, ne signifie pas une approche « photographique » de l’oeuvre qui la fige en une icône immuable mais plutôt « stéréographique »106, car elle permet, au contraire, aux rapprochements de s’effectuer à tout moment de la lecture et au lecteur d’écouter plusieurs voix en même temps. Deux épisodes, même très éloignés dans l’espace du texte peuvent agir l’un sur l’autre et leur mise en relation peut aboutir à leur transformation respective de même qu’une tache de couleur affectera sa voisine : rien n’est donc acquis pour de bon, tout est réversible et susceptible de transformations ultérieures. Ceci suppose une très grande liberté vis-à-vis de la signification immédiate du mot, de la phrase, du chapitre et l’on retrouve ici l’idée d’un jeu infini des signifiants. Dans Heart of Darkness, Under the Volcano et Voss, le sens s’éloigne et se transforme : ce ne sont pas des romans à thèse ou des romans historiques dont la structure serait révélatrice d’un message idéologique. Il semblerait que non seulement le sens n’arrive pas à s’y fixer mais que si sens il y a, il est à trouver dans la logique interne du texte, indépendamment des « éléments extérieurs » dont parle Piaget. C’est bien cette auto-référentialité des oeuvres modernes que rappelle Joseph Frank :

‘Aesthetic form in modern poetry, then, is based on a space-logic that demands a complete reorientation in the reader’s attitude towards language. Since the primary reference of any word-group is to something inside the poem itself, language in modern poetry is really reflexive: the meaning-relationship is completed only by the simultaneous perception in space of word-groups which, when read consecutively in time, have no comprehensible relation to each other. Instead of the instinctive and immediate reference of words and word-groups to the objects or events they symbolize, and the construction of meaning from the sequence of these references, modern poetry asks its readers to suspend the process of individual reference temporarily until the entire pattern of internal references can be apprehended as a unity107.’

Pour Lessing, la littérature se devait de favoriser les aspects linéaires de l’oeuvre, car c’était là sa caractéristique propre vis-à-vis d’autres médiums comme la peinture ou la sculpture mais aussi parce qu’il prônait la doctrine de la mimésis héritée d’Aristote qui encourageait une représentation du temps comme linéaire et continu, comme une succession d’événements ou encore d’actions108. A l’inverse, non seulement le concept de temporalité s’est complexifié à l’» ère » moderne, reniant l’adéquation temporalité-linéarité, mais l’idée même de l’oeuvre comme nécessairement représentative d’une réalité qui lui serait extérieure a été fortement remise en cause : il ne s’agit plus de rattacher les « mots et groupes de mots aux objets et aux événements qu’ils symbolisent ». Le signifiant s’est émancipé du référent et en partie du signifié au sens où le signifié ne semble plus être premier mais second, c’est-à-dire dépendant du signifiant et non l’inverse. Par conséquent l’oeuvre n’est pas tenue d’adopter des enchaînements similaires à ceux supposés à la réalité comme ceux de la linéarité et de la continuité. Une définition de l’oeuvre « spatiale » comme non linéaire ni mimétique est encore valable aujourd’hui pour le postmodernisme dont c’est bien une des premières caractéristiques. Pour ne pas tomber dans le travers d’une définition qui excluerait toute forme de temps, il convient de voir maintenant en quoi la temporalité dans les romans modernes est indissociable de la spatialité même si elle ne prend plus la forme de la séquence, de la linéarité ou encore de la continuité.

Notes
73.

L’expression « forme spatiale » a été forgée par Joseph Frank (« Spatial Form in Modern Literature », Sewanee Review, vol. 53, 1945, pp. 221-240, pp. 433-456, pp. 643-653). Quant à celle d’» ordre spatial », elle est de Tzvetan Todorov (Qu’est-ce que le structuralisme ?, 2. Poétique, Coll. Point/Essais, Paris : Seuil, 1968, 113p., p. 68).

74.

Joseph Frank, « Spatial Form in Modern Literature », op. cit., p. 225, c’est moi qui souligne.

75.

Frank conclut son article de 1945 sur la « forme spatiale » en disant qu’elle est caractérisée par une juxtaposition entre passé et présent en totale contradiction avec la figure de l’histoire et que cette dernière se voit remplacée par celle du mythe : « By this juxtaposition of past and present, [...] history becomes unhistorical : it is no longer seen as an objective, causal progression in time [...] The objective historical imagination, on which modern man has prided himself, and which he has cultivated so carefully since the Renaissance, is transformed into the mythical imagination for which historical time does not exist [...] ». (« Spatial Form in Modern Literature », op. cit., p. 653). Frank dit aussi qu’à la temporalité de l’histoire (« time-world of history ») se substitue l’atemporalité du mythe (« timeless world of myth ») dont l’expression privilégiée est la forme spatiale (Ibid., p. 653).

76.

Il n’est d’ailleurs pas certain que cette remarque soit toujours convaincante même lorsqu’il s’agit de Proust, Joyce, Pound et Eliot. La structure qui sous-tend les romans de Conrad, Lowry et White est plus complexe que celle du mythe. L’effet de simultanéité tient du questionnement et du dévoilement herméneutiques, d’une narration articulée sur différents points de vue et différentes voix mais aussi des rapprochement thématiques, des associations d’idées et d’une logique essentiellement langagière. On pourrait dire de même de l’Ulysse de Joyce et c’est pourquoi la figure du mythe paraît alors quelque peu réductrice.

77.

W. J. T. Mitchell, « Spatial Form in Literature : Toward a General Theory », Critical Inquiry, vol. 6, 1980, pp. 539-67, p. 541.

78.

« [...I] conceived the idea of a trilogy entitled The Voyage That Never Ends for your firm (nothing else than a trilogy would do) with the Volcano as the first, infernal part [...] » (Lowry, « Letter to Jonathan Cape », op. cit., p. 13).

79.

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris : Plon, 1973, p. 165. Cette « structure matricielle atemporelle » est celle des grandes figues archétypales comme le ravin/» barranca » symbole de l’Enfer, le jardin à l’abandon du Consul comme paradis perdu, la maison au bord du lac, symbole du paradis regagné, la roue du temps et de la fortune/» the Ferris wheel ».

80.

Les figures mythiques des Parques en sont un bon exemple et elles seront étudiées en détail dans la sous-partie consacrée à la ligne de vie ou ligne biographique (pp. 133-134).

81.

Cette déclaration est citée dans Allan Ingram (éd.), Selected Criticism and “The Shadow-line”, Londres & New York : Methuen, 1986.

82.

Cf infra.

83.

Cf infra.

84.

T. S. Eliot, « Ulysses, Order, and Myth », The Dial, 1923, vol. 75, n°1, pp. 480-483, pp. 482-483.

85.

Ibid., p. 483.

86.

« What New Criticism did, in fact, was to convert the poem into a fetish. » (Terry Eagleton, Literary theory, An Introduction (©1983), Oxford : Blackwell Publishers, 1996, 2ème édition, p. 42).

87.

« [...] the New Critics’ attitude to these questions were closely bound up with their urge to convert the poem into a self-sufficient object, as solid and material as an urn or icon. (Ibid., p. 42).

88.

Ibid., p. 42.

89.

Mitchell, « Spatial Form in Literature : Toward a General Theory », op. cit., p. 544.

90.

Ian Watt appelle « delayed decoding » le procédé typiquement conradien qui consiste à décrire une impression sensorielle énigmatique et à n’en donner l’explication que par la suite, ce qui permet au niveau de la lecture un effet de suspense et d’éclaircissement rétroactif : « One of the devices that [Conrad] hit on was to present a sense impression and to withhold naming it or explaining its meaning until later » (Ian Watt, Conrad in the nineteenth Century, Londres : Chatto & Windus Ltd, 1980, p. 175).

91.

Le terme d’» image » est utilisé dans ce développement car Frank affirme s’être fortement inspiré des théories imagistes de l’époque pour forger son concept de « forme spatiale », mais nous verrons qu’un tel terme est finalement inadéquat à représenter la complexité des formes littéraires de par la fixité qu’une telle métaphore suggère. Il serait souhaitable d’utiliser celui de « structure » plutôt que d’» image » pour être parfaitement rigoureux.

92.

Frank, op. cit., p. 225.

93.

Tzvetan Todorov, Qu’est-ce que le structuralisme ?, 2. Poétique, Coll. Point/Essais, Paris : Seuil, 1968, 113p., p. 68.

94.

Maurice Blanchot, Le livre à venir, St Amand : Gallimard, 1959, 374p, p. 175.

95.

Ce procédé est particulièrement frappant au chapitre X du roman.

96.

Ce jeu sur les associations signifiantes à partir du nom des principaux protagonistes des romans sera étudié plus en détail dans la troisième partie.

97.

Frank, « Spatial Form: An Answer to Critics », op. cit., p. 232-233.

98.

Roman Jakobson, dans son article « La dominante » (in Huit questions de poétique, Paris : Seuil, 1977, pp. 77-85), en donne la définition suivante : « La dominante peut se définir comme l’élément focal d’une oeuvre d’art : elle gouverne, détermine et transforme les autres éléments. C’est elle qui garantit la cohésion de la structure. » (p. 77).

99.

Ibid., p. 77.

100.

J’emploie ici le terme de Jakobson qui identifie deux grandes formes d’organisation des énoncés dans son article consacré à deux types d’aphasie : d’une part, la contexture ou ordre de combinaison qui a beaucoup de points communs avec l’écriture « temporelle » ou logico-temporelle et d’autre part, la substitution ou ordre de la sélection qui a plus à voir avec l’écriture spatiale (Jakobson, « Deux aspects du langage et deux types d’aphasie », Essais de linguistique générale, Paris : Éditions de Minuit, 1963, pp. 43-67).

101.

Associer « forme spatiale » et « récit » peut sembler contradictoire eu égard à la définition de Frank qui voit le plus souvent dans le récit un agencement logico-temporel de l’ordre du vraissemblable, et donc l’opposé de ce qu’il appelle forme spatiale. Néanmoins, la définition de Ricoeur qui voit dans le récit une « nouvelle congruence dans l’agencement des incidents » (cf infra) est assez générale pour englober la « forme spatiale » telle que l’entend Joseph Frank du moment que l’intrigue n’est pas uniquement logico-temporelle mais aussi basée sur une logique paradigmatique.

102.

Paul Ricoeur, Temps et récit, Tome I, L’intrigue et le récit historique, Paris : Seuil/Points, 1983, 404p, pp. 9-10.

103.

Roland Barthes, « L’analyse structurale des récits » in L’aventure sémiologique, Paris : Seuil, Points/Essais, 1985, 359p., p. 184.

104.

Joseph Frank, « Spatial Form in Modern literature », op. cit., p. 235.

105.

Gotthold Ephraim Lessing, Laocoon, Paris : Hermann, éditeurs des sciences et des arts, 1997, Trad. Courtin (©1990), 240p, p. 120. C’est moi qui souligne.

106.

Cette expression est de Barthes et il la définit ainsi : « On dira métaphoriquement que le texte littéraire est une stéréographie : ni mélodique ni harmonique (ou du moins non pas sans relais), il est résolument contrapuntique ; il mêle les voix dans un volume, et non selon une ligne, fût-elle double » in Roland Barthes, Le bruissement de la langue, Essais Critiques IV, Paris : Seuil/Points, 1984, 439p, p. 153.

107.

Joseph Frank, « Spatial Form in Modern literature », op. cit., p. 229. C’est moi qui souligne.

108.

Il n’est donc pas étonnant qu’il assigne à la peinture le devoir de s’intéresser à des objets « qui se juxtaposent », des corps, alors que la poésie en son sens le plus général et donc le roman, doivent se contenter d’objets « disposés en ordre de succession », les actions : « Des objets, ou leurs éléments, qui se juxtaposent s’appellent des corps. Donc les corps avec leurs caractères apparents sont les objets propres de la peinture. Des objets, ou leurs éléments, disposés en ordre de succession s’appellent au sens large des actions. Les actions sont donc l’objet propre de la poésie » in Lessing, op. cit., p. 120.