c.011Dépassement d’une écriture de la séquence

Une écriture de la séquence suppose une progression, une successivité197 d’une action à la suivante, d’un épisode au suivant. Le problème chez Conrad, Lowry et White est qu’il est très difficile, comme nous l’avons vu, d’isoler un point précis dans le temps, point de l’action proprement dite, ou encore « fonction » au sens où l’entendaient les formalistes ou encore Barthes. A une écriture de la séquence fondée sur l’enchaînement logique et temporel entre passé, présent et futur, vient se substituer la figure de la stase, tout particulièrement frappante chez Conrad. Le temps se fige et s’arrête, et plus grave encore, il n’est plus possible de le diviser en unités clairement identifiables : il devient une matière informe dont on ne peut se dépétrer. On n’en est que la victime, comme si le temps était bloqué. Certains lieux ont alors une connotation de temps arrêté et sont synonymes d’un temps compact ou encore « spatial » :

‘Le temps spatial, en effet, appartient au monde de la matière et de la quantité. L’univers de Joseph Conrad est un univers de la qualité et de l’intemporel, où l’individuel s’absorbe dans le symbolique, où les apparences, les phénomènes sont affectés d’une puissante surcharge affective, où nous voyons des consciences heurtées, fragmentées, dépossédées par le choc d’une réalité inassimilable, inexplicable et brutale. Le génie de Conrad excelle à exprimer la résistance organique des choses à l’effort de l’organisme humain pour rationaliser le contact : une consistance, une qualité irréductible de l’air, de l’eau font buter contre l’insolite, l’impraticable198. ’

Il est très significatif que nombre de moments cruciaux soient aussi des non-moments où l’individu « s’englue »199 dans un monde et un temps dont seule la monstrueuse matérialité transparaît. L’épisode de la fuite de chez le Rajah dans Lord Jim  en est un des exemples les plus nets et les plus amusants, en ce que le saut salvateur qu’il lui faut effectuer n’est qu’un redoublement parodique du saut qui avait précipité sa perte lorsqu’il avait abandonné les pèlerins à leur sort à bord du Patna. Le chronotope du saut conformément à celui du seuil devrait permettre une évolution de l’intrigue et une précipitation des événements puisqu’il est le ‘« chronotope de la crise, du tournant d’une vie ’»200. Or ici, il n’en est rien et il est même en parfaite contradiction avec la définition qu’en donne Bakhtine :

‘Le terme du « seuil » a déjà acquis, dans la vie du langage (en même temps que son sens réel) un sens métaphorique ; il a été associé au moment de changement brusque, de crise, de décision modifiant le cours de l’existence (ou d’indécision, de crainte de « passer le seuil »). [...] En somme, dans ce chronotope le temps apparaît comme un instant, comme s’il n’avait pas de durée, et s’était détaché du cours normal du temps biographique201.’

En fait, le premier saut de Jim, s’il correspond bien à un « tournant de sa vie », n’est pas assumé par ce dernier. Il semble qu’il l’ait subi plus que voulu : ‘« ‘“I had jumped ...” ’ ‘He checked himself, averted his gaze ...“It seems,” he added’ » (LJ, p. 125). Le temps n’apparaît pas « comme un instant » mais il a tout simplement disparu : l’instant du saut s’est volatilisé dans la conscience de Jim, il a disparu dans les oubliettes du refoulement. L’utilisation du plus-que-parfait (« I had jumped ») au lieu d’un passé simple souligne la distanciation de Jim par rapport à l’événement d’autant que le référent dans le passé qui devrait servir de repère pour le plus-que-parfait n’est pas précisé et reste dans le flou. La temporalité introduite par le plus-que-parfait est en complète contradiction avec le « passé narratif »202 ou encore passé simple dont parle Barthes, maillon essentiel d’un « système de sécurité des Belles-Lettres », dont la fonction consiste avant tout à « unir le plus rapidement possible une cause et une fin ». Avec le plus-que-parfait au contraire, l’événement (le saut) est vécu comme discontinuité pure, irruption de l’arbitraire et absence totale de logique causale ou téléologique puisque le syntagme au passé qu’il est censé précéder n’est pas actualisé mais tout simplement éludé.

Lors de son deuxième saut, celui de sa fuite hors du royaume du Rajah, le chronotope du seuil n’est pas non plus caractérisé par un « changement brusque » mais une progression très lente, une continuité plus qu’une « crise » véritable et l’absence totale de « décision » ! Au lieu d’apparaître « comme un instant, comme s’il n’avait pas de durée »203 ou encore de se réduire à ce « verbe mince et pur sans densité, sans volume, sans déploiement »204, le temps du saut est cette fois-ci non plus éludé mais interminable :

‘[... Jim] landed on the other side with a fall that jarred all his bones and seemed to split his head. He picked himself up instantly. He never thought of anything at the time; all he could remember–he said–was a great yell; the first houses of Patusan were before him four hundred yards away; he saw the creek, and as it were mechanically put on more pace. The earth seemed fairly to fly backwards under his feet. He took off from the last dry spot, felt himself flying through the air, felt himself, without any shock, planted upright in an extremely soft and sticky mudbank. It was only when he tried to move his legs and found he couldn’t that, in his own words, “he came to himself”. (LJ, p. 230, c’est moi qui souligne) ’

Paradoxalement, tout se passe comme si Jim n’arrivait littéralement pas à se désengluer d’un temps spatial au ralenti, et comme s’il n’arrivait pas à vivre le moment de l’action autrement qu’en décalé. C’est en effet une impression de passivité qui ressort de tout le passage puisque tous ses mouvements sont mécaniques (« mechanically ») et qu’il a l’impression que c’est la terre qui bouge sous ses pieds et non l’inverse. De même, il se sent « voler dans les airs » (« felt himself flying through the air ») puis retomber dans la vase (« felt himself [...] planted upright in an extremely soft and sticky mudbank ») mais ne semble pas maître de ses mouvements. Il reste alors coincé dans la vase pendant un laps de temps indéterminé, comme si les distinctions entre l’avant et l’après-saut demeuraient indécidables. Les sauts sont à peu près les seuls moments d’action de tout le roman et pourtant ils font figure de faux-semblants et de simulacres.

En effet, si la figure du saut est récurrente, elle est néanmoins systématiquement entachée de valeurs contraires aux idéaux chevaleresques et héroïques de Jim : lorsque Jim doit sauter pour sauver des camarades, il ne le fait pas, alors que lorsqu’il devrait à bord et ne pas sauter pour ne pas abandonner son navire, il le fait. Ainsi, dans le premier chapitre, alors que Jim n’a cessé de rêver de plonger dans l’action, il tarde à sauter dans le canot de sauvetage lorsque l’occasion se présente de sauver des camarades dont le bateau est entré en collision avec une goélette. Lorsqu’il est prêt à rejoindre le canot de sauvetage et à sauter, le canot est déjà loin :

‘Jim felt his shoulder gripped firmly. ‘Too late, youngster.’ The captain of the ship laid a restraining hand on that boy, who seemed on the point of leaping overboard, and Jim looked up with the pain of conscious defeat in his eyes. The captain smiled sympathetically. ‘Better luck next time. This will teach you to be smart.’ (LJ, pp. 48-49) ’

Là encore, Jim semble en décalage avec le temps de l’action puisqu’il ne se décide pas assez vite et la forte modalisation du passage suggère un décalage entre l’action (l’inaction en l’occurrence) et la volonté de Jim : ‘« [he] seemed on the point of leaping overboard ’»205. De la même façon, lors de la désertion du Patna, Jim pense avoir sauté : ‘« ‘“I had jumped ...” ’ ‘He checked himself, averted his gaze ...“It ’ ‘seems’ ‘,” he added ’»206. On peut donc parler ici non seulement d’un temps « spatial » au sens que lui donne Jean-Jacques Mayoux, un temps non maîtrisable ni assimilable si ce n’est sur le mode de l’après-coup et de l’incertitude, mais aussi d’un temps « troué », non divisible en instants : ‘« ’ ‘Nostromo’ ‘ is, like ’ ‘Lord Jim’ ‘, the interrogation of a hole in time, an act whose innermost instant falls away—proving thus at once irrevocable and impossible, a source of scandal and an aporia for contemplation’ 207 ». On n’est pas loin des apories de Saint Augustin sur le temps : ‘« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me pose la question, je sais ; si quelqu’un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus208.’ »

Par ailleurs le saut à Patusan est dévalorisé par l’évocation d’un autre saut qui est tout le contraire d’une décision modifiant le cours d’une existence, puisqu’il s’agit du saut d’un des juges du Rajah, au désespoir de parvenir à une décision :

‘[...] the deliberations upon Jim’s fate went on night and day [...] Several times the council was broken up, and the advisers made a break helter-skelter for the door and out on to the verandah. One – it is said – even jumped down to the ground – fifteen feet, I should judge – and broke his leg. (LJ, pp. 228-229)’

Le saut pathétique de Jim est ici répété sur un mode parodique par l’un des conseillers comme s’il cherchait à échapper à la prise de décision. Le saut de Jim est aussi une parodie en bonne et due forme d’une des scènes-phare du roman d’aventures traditionnel, l’épisode de la fuite. Au lieu d’un enchaînement rapide d’actions et de lieux, c’est l’engluement dans la vase qui est souligné. L’initiative du saut ne semble pas assumée par le personnage et elle n’entre pas dans une économie logico-temporelle mais elle semble revenir à une logique spatiale au sens où c’est le lieu qui paraît intimer à Jim la nécessité de s’enfuir :

‘They did actually bring out to him a nickel clock of New England make, and out of sheer unbearable boredom he busied himself in trying to get the alarm to work. He dropped the thing – he says – « like a hot potato », and walked out hastily, without the slightest idea of what he would, or indeed could, do. He only knew that the position was intolerable. He strolled aimlessly beyond a sort of ramshackle little granary on posts, and his eyes fell on the broken stakes of the palisade; and then – he says – at once, without any mental process as it were, without any stir of emotion, he set about his escape as if executing a plan matured for a month. (LJ, p. 229, c’est moi qui souligne)’

C’est tout d’abord parce qu’on lui confie une pendule (« clock of New England ») qu’il semble réaliser que son temps est compté et qu’il devient urgent (« hastily ») de faire quelque chose même s’il ignore encore quoi. Sa seule certitude est que sa « position » est désormais intenable : un terme spatial vient ici remplacer la logique causale et temporelle qui aurait dû se mettre en place. De même, la dynamique téléologique est écartée puisqu’il affirme n’avoir pas eu d’objectif (« aimlessly ») et que l’absence de préméditation, voire même d’émotion et de sensation est soulignée à plusieurs reprises. Quant à la logique temporelle, elle est une fois de plus parodiée : c’est la vue d’un élément spatial, la palissade endommagée, qui la relance ! L’image de la vase est emblématique d’une logique « spatiale » au niveau diégétique en totale contradiction avec l’ordre logique et temporel de la ligne de l’intrigue traditionnelle.

Cette impression d’impuissance et d’engluement n’est pas sans rappeler les tourments d’une autre forme d’acte, l’écriture. C’est ainsi que Conrad résume quelques années plus tard l’état d’esprit dans lequel il se trouve au cours de la rédaction de Nostromo : ‘« Je n’apprends rien, je ne pense à rien, je ne réfléchis à rien, je m’isole et avec tout cela c’est tout juste si j’arrive à aller de l’avant, ou plutôt à continuer à me traîner d’un misérable récit au suivant, sans cesse plus profondément enfoncé dans la vase [...]’ »209. L’image de la « vase » est ici directement opposée à une logique de la progression (« aller de l’avant »), de la successivité et de la continuité (« continuer à me traîner d’un récit au suivant »). La vase est, comme l’» argile » dont parle Bachelard, une métaphore de la ‘« lente et difficile conquête de la forme matière rebelle ’»210, qu’il s’agisse de la forme de ses actes pour Jim, ou de celle de sa création pour l’auteur Conrad211. L’image d’une matière amorphe primitive qui échappe à la formalisation du discours et de la conceptualisation apparaît aussi dans Heart of Darkness. Les mêmes figures d’indifférenciation surgissent : la boue (« mud », HD, p. 41), la vase (« slime », HD, p. 41). L’entreprise spatialisante des colons impérialistes est vouée à l’échec puisque la jungle ou « wilderness » reste dépourvue de forme (« formless », p. 41), de traits distinctifs (« featureless », p. 39), et même de sens au propre et au figuré (« senseless », p. 40). L’indifférenciation est telle que vie et mort se mêlent (« death in life ») :

‘[...] all along the formless coast bordered by dangerous surf, as if Nature herself had tried to ward off intruders; in and out of rivers, streams of death in life, whose banks were rotting into mud, whose waters, thickened into slime, invaded the contorted mangroves, that seemed to writhe at us in the extremity of an impotent despair. (HD, p. 41, c’est moi qui souligne).’

L’image de l’eau est bien ici celle d’un élément qui « délie »212 : c’est elle qui dissout les contours des berges qui « pourrissent » et sont réduits à de la boue. La jungle/» wilderness » est, tout comme la glaise ou la mer dans Lord Jim, l’élément qui vient contrarier l’enchaînement logico-temporel du récit traditionnel : Marlow semble s’enfoncer avec son bateau à vapeur dans la jungle mais pas progresser véritablement.

On retrouve dans Voss ce même monde de la matière informe et de l’entre-deux qui englue les personnages à un moment où leur progression dans le désert est bloquée. Les protagonistes du roman ne sont pas tant prisonniers de leur passé, comme c’est le cas pour Jim, que d’un présent qui ne « décolle » pas de la matière inerte du non-événement ou du pré-événement, emblématisée par un univers en pleine liquéfaction. Avec l’arrivée de la saison des pluies, le paysage désertique frappé par la sécheresse et l’aridité se transforme en un monde intermédiaire fait de terre déliquescente et de « lumière liquide » (Voss, p. 282) qui s’apparente à la vision de l’homme comme « pâte » chez Michaux213. Dans une très belle description de l’aube, intervalle indéterminé entre nuit et jour, on voit bien se dessiner un paysage de l’entre-deux, caractéristique, nous semble-t-il, de l’état de semi-léthargie qui touche les membres de l’expédition condamnés à attendre que la pluie cesse pour reprendre leur progression :

‘About the same hour, Voss went to the mouth of the cave. If he was shivering, in spite of the grey blanket in which he had prudently wrapped himself, it was not through diffidence, but because each morning is, like the creative art, the first. So he cracked his fingerjoints and waited. The rain was withdrawn temporarily into the great shapelessness, but a tingling of moisture suggested the presence of an earth that might absorb further punishment. First, an animal somewhere in the darkness was forced to part with his life. Then the grey was let loose to creep on subtle pads, from branch to branch, over rocks, slithering in native coils up on the surface of the waters. A protoplast of mist was slowly born, and moored unwillingly by invisible wires. There it was, gently tugging. The creator sighed and there arose a contented little breeze, even from the mouth of the cave. Now, liquid light was allowed to pour from great receptacles. The infinitely pure white light might have remained the masterpiece of creation, if fire had not suddenly broken out. For the sun was rising, in spite of immersion. It was challenging water, and the light of dawn, which is water of another kind. In the struggle that followed the hissing and dowsing, the sun was spinning, swimming, sinking, drowned, its livid face, a globe of water, for the rain had been brought down again, and there was, it appeared, but a single element. (V, p. 282, c’est moi qui souligne)’

Comme chez Conrad, deux logiques s’opposent : celle de la matière informe (« shapelessness »), de l’indétermination (« grey »214), cette ‘« réalité inassimilable, inexplicable et brutale ’»215 dont parle Mayoux et que Marlow qualifie de « ‘vision of greyness without form ’» (HD, p. 113) et celle de l’événement par laquelle l’homme agit et tente de lui donner un sens, une forme. Mais le plus souvent, la première logique l’emporte au sens où la matière se refuse à être « motiv-ée », « in-formée », « model-ée ». En d’autres termes, elle échappe à l’entreprise spatialisante de la pensée ou de l’action telle que l’entend Bergson qui consisterait à la réduire à un « motif », une « forme », un « modèle ». C’est pourquoi dans nos trois romans, on trouve souvent des figures de l’entre-deux, qui illustrent l’hésitation entre matière et forme, perception immédiate et médiation de la pensée, ou encore entre deux éléments : à l’image de la glaise primordiale dans Lord Jim correspond celle de la « lumière liquide » dans Voss reflétant un même processus d’hybridation ou de « combinaison »216 entre différents éléments, l’eau et la terre ou bien l’air et l’eau. L’eau étant l’élément le plus ‘« favorable pour illustrer les thèmes de combinaison des puissances’ »,217 il n’est pas étonnant que l’on trouve dans le passage cité plus haut la combinaison de l’air et de l’eau sous la forme de la brume (« a protoplast of mist »), du feu et de l’eau comme « ‘soleil noyé dans son [blanc] qui se fige’ »218 (« liquid light » et « the light of dawn, which is water of another kind »), ou encore de la terre et de l’eau dans les images de « soupe grisâtre » et d’un ‘« monde gélatineux’ »219. Il semble que l’eau absorbe toutes les formes et même tous les éléments pour ne faire plus qu’un unique élément ainsi que le veut l’imagination matérielle qui vise à ce que ‘« son élément favori imprègne tout [...] qu’il soit la substance de tout un monde ’»220. L’eau a cette particularité d’être à la fois ce qui lie et ce qui délie : « ‘[...] l’eau est rêvée tour à tour dans son rôle émollient et dans son rôle agglomérant. Elle délie et elle lie’ »221. Comme dans Lord Jim, l’image de la pâte ou de la glaise est essentielle car, comme le rappelle Bachelard, elle est ‘« le schème du matérialisme vraiment intime où la forme est évincée, effacée, dissoute ’»222. C’est cet état de la matière avant toute formalisation qui est souligné ici. La terre y perd ses contours (« shapelessness »), son ancrage (« loose »). Perte des contours, perte de l’ancrage, on a bien ici une esthétique de la « dis-location ». Cette dislocation s’inscrit dans une perte de l’ancrage temporel ainsi que spatial mais plus fondamentalement dans la perte de l’ancrage qu’offre la pensée spatialisante qui s’évertue à créer des formes et des liens, les fameuses relations qui pour James exigent de l’artiste des dons de géomètre223. A cette imagination formelle, Bachelard oppose l’imagination matérielle que l’on trouve chez Conrad comme chez White. Dans Heart of Darkness comme dans Voss, les liens qu’impose la forme ont du jeu : à l’adjectif « tugging » qualifiant la rosée dans le désert australien et par la contiguité de l’hypallage, Voss lui-même (« ‘a protoplast of mist was slowly born, and moored unwillingly by invisible wires. ’ ‘There it was, gently tugging’ », V, p. 282), correspond l’adjectif « loose » pour définir la position de Kurtz ‘« he had kicked himself loose of the earth’ » (HD, p. 107). De plus, la même image d’une indistinction entre terre et ciel apparaît : ‘« He had kicked himself loose of the earth. Confound the man! He had kicked the very earth to pieces. He was alone, and I before him did not know whether I stood on the ground or floated in the air’ » (HD, p. 107). Une telle fascination chez ces deux auteurs pour des relations en suspens, flottantes, qui seraient comme des amarres224 fragiles et temporaires, tient peut-être à ce que les formes s’achèvent et non pas les matières car ‘« [l]a matière est le schème des rêves indéfinis’ »225. La forme chez Conrad et White est semblable à une amarre au bord de la rupture et en ce sens elle participe de ce « rêve indéfini » de la matière car jamais elle ne peut être dite « finie ».

En outre, si ces deux passages de Lord Jim et de Voss respectivement sont aussi intéressants, c’est du fait qu’ils sont une forme de réécriture de la Genèse, moment on ne peut plus « logico-temporel ». En effet, la Genèse marque dans la Bible un véritable départ et l’avènement de la forme, alors que dans ces deux passages, la forme n’arrive pas à émerger de l’indéterminé, de l’indifférencié. Dans Voss, une telle vision n’est pas sans rappeler les conceptions aborigènes d’une forme de « temps spatial »226 au sens où ce qui compte ce sont les transformations, les métamorphoses dans un espace-temps donné plutôt que la séquence à partir d’un point-origine :

‘[...] contrairement à la Genèse chrétienne ou aux grands mythes fondateurs d’autres sociétés du monde, [les mythes australiens] n’expliquent pas vraiment l’origine des choses. En effet, la plupart de ces récits se situent temporellement non dans l’émergence à partir de l’indifférence mais dans une phase de métamorphoses227.’

Dans les mythes australiens, il y a du « toujours-déjà-là », une forme de permanence atemporelle qui s’incarne différemment selon le totem choisi qui lui-même évolue dans l’espace-temps.

Chez Lowry, dans Under the Volcano, on trouve aussi une forme de « spatialisation » du temps sous la forme de la stase. Comme dans Lord Jim, les moments d’action déterminants (le naufrage pour Jim) sont subis plus que vécus et ils le sont sur le mode du plus-que-parfait. De même que Jim dit du naufrage qu’il avait apparemment sauté (« I had jumped, ...[...] it seems », LJ, p. 125), il est dit à propos des retrouvailles ratées du Consul et d’Yvonne et du véritable « naufrage » de leur étreinte, que le Consul se demande après coup ce qu’il avait bien pu faire (« what had he done ? ») :

‘This was the moment then, yearned for under beds, sleeping in the corners of bars, at the edge of dark woods, lanes, bazaars, prisons, the moment when–but the moment, still-born, was gone : and behind him the ursa horribilis of the night had moved nearer. What had he done ? Slept somewhere, that much was certain. Tak : tok : help : help : the swimming pool ticked like a clock. (UV, p. 70) ’

Or il s’agit ici de l’étreinte du Consul et d’Yvonne, celle-là même qu’il appelait de tous ses voeux et qui avait la valeur de l’» Objet » dans une logique greimassienne. Cette action (ou absence d’action) n’est pas vécue sur le mode du présent mais du plus-que-parfait : « What had he done ? Slept somewhere, that much was certain ». Deleuze parle à propos du Consul de l’effet d’» extraordinaire induration du présent » suscité par l’alcool avec un « présent durci » qui entoure un « centre mou » fait de souvenirs et de projets, autrement dit de révolu et de possible :

‘L’alcoolisme n’apparaît pas comme la recherche d’un plaisir mais d’un effet. Cet effet consiste principalement en ceci : une extraordinaire induration du présent. On vit dans deux temps à la fois, on vit deux moments à la fois, mais pas du tout à la manière proustienne. L’autre moment peut renvoyer à des projets autant qu’à des souvenirs de la vie sobre ; il n’en existe pas moins d’une toute autre façon, profondément modifié, saisi dans ce présent durci qui l’entoure comme un tendre bouton dans une chair endurée. En ce centre mou de l’autre moment, l’alcoolique peut donc s’identifier aux objets de son amour, « de son horreur et de sa compassion », tandis que la dureté vécue et voulue du moment présent lui permet de tenir à distance la réalité228.’

Le présent n’est jamais vécu pour lui-même, il est toujours tendu vers cet autre moment que sont les souvenirs et les projets. Il n’est donc pas vécu comme mouvement du passé vers le futur mais comme « présent durci », c’est-à-dire présent déjà passé, déjà figé. Vivre dans deux temps à la fois revient pour le Consul à ne pas vivre le présent autrement que sur le mode d’un autre temps, passé ou futur (ou plutôt irréel). De même que le temps de prédilection de Jim semblait être celui du plus-que parfait et non le présent, celui du Consul est le passé composé ou le futur antérieur, autrement dit des temps du discours, d’une implication si forte du sujet qu’il ne peut ni se transporter dans le passé ni dans le futur. Il ne peut vivre les moments passés et futurs que sur un mode de « présent durci ». Dans Under the Volcano, le temps apparaît non pas sous la forme spatiale de la pâte ou encore de la glaise mais sous celle de la solidification, de la pétrification, autrement dit celle du cristal ou du granit : « le présent s’est fait cercle de cristal ou de granit, autour du centre mou, lave, verre liquide ou pâteux »229. Le temps est aussi bloqué mais il n’est pas tant celui de l’engluement que celui de la répétition et de la circularité et les images récurrentes ne sont plus celles de la matière informe mais d’une mécanique qui tourne en rond ou bien qui rippe, déraille ou se bloque : le temps s’actualise ici dans des formes dynamiques mais celles-ci ont une connotation tragique. Alors que chez Conrad et Lowry on pouvait parler d’un « temps spatial » de la stase, il s’agit davantage pour Under the Volcano de figures de la circularité et de la rupture. A une logique séquentielle emblématisée par les rails tout tracés qu’il suffirait de suivre du début à la fin, se substitue une logique du déraillement.

Si l’on peut aussi parler de stase, il ne s’agit pas comme dans Lord Jim, Heart of Darkness et Voss, de stase dans le temps présent de l’indétermination mais de stase dans le passé tragique du révolu : « ‘Spatial form in Lowry’s hands creates a narrative stasis that suggests the claustrophobia of a mind unable to transcend the past’ »230. Chez Lowry, on a un constant mouvement de va-et-vient entre temps et espace, mouvement et stase. Le Consul semble incapable de vivre le temps présent autrement que sur le mode de la « suspension », de la rémission avant la mort. C’est cette image qui sous-tend la description du Consul à bord d’une nacelle d’un manège au nom programmatique, la « Máquina Infernal » :

‘The Consul’s own cage hurled up again with a powerful thrusting, hung for a moment upside down at the top, while the other cage, which, significantly, was empty, was at the bottom, then, before this situation had been grasped, crashed down, paused a moment at the other extremity, only to be lifted upwards again cruelly to the highest point where for an interminable, intolerable period of suspension, it remained motionless–the Consul, like that poor fool who was bringing light to the world, was hung upside down over it, with only a scrap of woven wire between himself and death. (UV, p. 222, c’est moi qui souligne)’

Le temps dans Under the Volcano est un temps bloqué, celui de la tragédie. Le Consul se trouve d’ailleurs exactement dans la position tragique d’Antigone qui, selon l’expression de Lacan, est dans « une zone limite, entre la vie et la mort », espace intermédiaire auquel il donne un nom : « l’entre-la-vie-et-la mort »231. Le temps n’est pas tant arrêté qu’» à bout de course » comme les personnages tragiques de Sophocle232. Le temps du roman est « celui de l’agonie », un temps qui ne s’inscrit ni dans les actes ni dans la chronologie : « ‘Ce qui compte, ce ne sont pas les actes, mais la tragédie qui les contient tous à l’avance. La chronologie disparaît au profit du temps intérieur–celui de l’agonie–, que commandent les puissances supérieures’ »233. En un sens, le temps dans Under the Volcano est celui de la négation de l’action et de la séquence : ‘« Under the Volcano is the story of life anesthesized, of activity enervated, of time halted, of the future annihilated—of physical and spiritual death’ »234. Le « nerf » de l’action a été arraché (« activity enervated »), le déroulement linéaire de la vie « anesthésié ». Quant à la séquence, elle nécéssiterait un ancrage dans le présent comme tourné vers l’avenir mais ici le temps s’est arrêté (« time halted ») et l’avenir a disparu (« future annihilated »). Il semblerait que le temps de la progression soit bloqué par un passé mythique où tout est déjà joué comme dans une tragédie. Le Consul dit d’ailleurs dans son poème que le monde des regards inquisiteurs refuse de le considérer autrement que sur le mode du passé simple :

Some years ago he started to escape
......... has been ... escaping ever since
..................................................................................
Hounded by eyes and thronged terrors now the lens
Of a glaring world that shunned even his defense
Reading him strictly in the preterite tense
[...] this poor foundered soul
Who once fled north ... (UV, p. 330)

Or le passé simple ou prétérit (« Reading him strictly in the preterite tense ») est justement le temps de la coupure ou rupture avec le moment d’énonciation, avec le présent. Il instaure une discontinuité entre moment d’énonciation présent et actions passées. Deleuze parle de « présent durci » et on pourrait dire aussi présent « figé », figé par un passé qui fait que le présent ne se vit que sur le mode du « present perfect » (« has been escaping ever since »), c’est-à-dire d’un présent « sous influence », l’influence d’un passé qui toujours revient. Le poème débute et se termine non sur un présent ou un futur mais sur un prétérit, ce moment de rupture par rapport au présent, temps de la fuite (« started to escape ») et temps du départ pour le Nord (« who once fled North ») qui sont les mêmes.

Le roman présente donc une écriture de « déroulement » mais aussi d’» enroulement »235 : toute incursion/déroulement dans le passé des personnages ne vise pas à expliquer leur conduite, leur évolution possible, mais à les présenter avant le drame comme si les six premiers chapitres n’étaient qu’une longue analepse d’exposition. De même les pseudo excursions/déroulements dans le futur proche ou imaginé sont présentés comme condamnés à l’avance comme si tout déroulement finissait en enroulement, comme si la tension d’un immense ressort narratif condamnait chaque épisode du passé, du présent ou du futur à revenir s’enrouler autour d’un point ni temporel ni spatial, celui du « toujours déjà trop tard », de la fatalité, de la tragédie. Le chapitre IV est emblématique d’un tel enroulement autour du noeud tragique qu’est la mort et la « barranca » : si le temps présent est celui d’une chevauchée romantique de deux anciens amants, Hugh et Yvonne, tournés vers un hypothétique avenir de projets et de romance, l’escapade ne débouche pas moins sur le ravin, figure symbolique de la mort du Consul et par contagion métonymique de la mort d’Yvonne puiqu’elle sera tuée par un cheval libéré par le Consul juste avant sa mort. Le temps présent et futur est donc déjà celui de la fatalité. C’est pourquoi le temps de prédilection de Under the Volcano est le plus-que-parfait. Hugh, l’homme d’action, n’agit que sur le mode du révolu et de même que Jim, il « saute » dans l’action sans l’avoir choisi ni prémédité mais comme happé par la situation. Dans l’arène, les tergiversations n’en finissent pas quant à savoir qui va monter le second taureau après l’échec du premier torero et c’est alors que se produit l’événement attendu mais sur un mode rétrospectif :

‘ A man down below wearing an enormous sombrero had shouted for silence and paddling his arms was addressing them from the ring. They were being appealed to, either for their continued patience, or for a rider to volunteer.
Yvonne never found out which. For something extraordinary had happened, something ridiculous, yet with earth-shattering abruptness–
It was Hugh. Leaving his coat behind he had jumped from the scaffolding into the arena and was now running in the direction of the bull [...] (UV, pp. 274-275)’

L’action n’a pas lieu dans le présent mais dans un temps de l’après coup signalé par le plus-que-parfait (« something extraordinary had happened », « he had jumped »). A cette idée de déroulement d’un destin tout tracé et qu’on ne découvre que rétrospectivement s’ajoute une vision du futur comme retour aux origines, une fois retrouvé le Paradis perdu, une fois construite la petite maison au bord du lac.

Le futur est donc envisagé comme un passé à retrouver : « [...] on représente comme ayant déjà été dans le passé, ce qui, en réalité, peut ou doit se réaliser seulement dans le futur, ce qui, en substance, se présente comme un but, comme un impératif, et aucunement comme une réalité du passé »236. Ceci est très frappant dans toute la symbolique du roman qui a des allures d’allégorie avec des références répétées au Paradis perdu et imaginairement retrouvé dans les rêves d’Yvonne, avec l’image de la petite maison auprès d’un lac où elle et le Consul pourraient vivre heureux. On peut appliquer à Under the Volcano la remarque suivante de Bakhtine :

‘On est plutôt prêt à surélever l’actualité (le présent) le long d’une verticale qui monte et qui descend, qu’à avancer le long d’une horizontale du temps. Peu importe si ces superstructures verticales se réclament de « l’au-delà », idéales, éternelles, intemporelles, cette intemporalité, cette éternité, sont conçues comme contemporaines du moment présent, de l’actualité, autrement dit, le contemporain, ce qui est déjà là, vaut mieux que le futur qui n’est pas encore venu, qu’on n’a jamais vu237. ’

Ce désir de « surélever l’actualité (le présent) le long d’une verticale qui monte et qui descend » plutôt que d’» avancer le long d’une horizontale du temps » se présente d’une manière assez différente dans Voss puisqu’elle correspond à la vision de Voss mais qu’elle est réfutée dans l’expérience de l’expédition elle-même. En effet, aux yeux de Voss, c’est le moment présent vécu comme écartelé entre transcendance et purgatoire qui importe, et non son insertion dans une séquence passé-présent-futur. Cependant le temps de l’expédition est bien celui du présent et Veronica Brady parle d’ailleurs d’un « présent continu » et non d’un écartèlement entre présent et futur idéalisé : « in his handling of time White respects reality, resisting the temptation to soar above past, present, and future to live instead in the continuous present, the time dear to Romantics, in which the past is dead and the future represented only by desire »238. C’est pourquoi le roman s’achève non pas sur une fin téléologique mais un culte du moment présent, ainsi que que le fait remarquer Laura dans sa réponse à M. Ludlow :

‘‘Oh, yes, a country with a future. But when does the future become present ? That is what always puzzles me.’
‘Now.’
‘How now ?’ asked Mr Ludlow.
‘Every moment that we live and breathe, and love, and suffer, and die.’ (V, p. 448)’

Néanmoins, cette fin plus optimiste et plus humaine que l’ensemble du roman reste à nuancer puisque le futur pour Voss et Laura a toujours été présenté comme prédéterminé. De même, dans Under the Volcano, le destin des personnages semble défini par un Dessein supérieur qu’ils n’ont pas forcément choisi mais auquel ils se plient. Lors d’un dialogue avec M. Badgery, Laura reconnaît ne pas être maîtresse de son destin :

‘ ‘That is all very well,’ said the surgeon, ‘and sentimental, and stoical. The past is desirable, more often than not, because it can make no demands, and it is in the nature of the present to appear rough and uncharitable. But when it comes to the future, do you not feel that chances are equal ?’
[...]
‘I feel,’ she said slowly, and was already frightened at what she was about to admit, ‘that the life I am to live is already utterly beyond my control.’ (V, p. 328)’

Cette dimension proprement mythique de Voss et de Under the Volcano les inscrit en porte-à-faux vis-à-vis du temps historique qui informait nombre de romans au XIXe siècle. On pourrait leur appliquer la remarque de Reilly sur la prédilection du modernisme pour le moment et l’éternité plutôt que l’histoire :

‘Modernism kicks hard against history. Its twin opposing temporal categories are the moment and eternity, permutated in strange combinations, throughout its texts. These quite fill the narrative space which, in the nineteenth century realist novel, had been the ostensible site of dramatisation of that now apparently excluded middle term, historical time239.’

Au temps de l’histoire, ils préfèrent celui du moment, de l’instant ou de l’éternité perçue comme ce qui est écrit d’avance, comme ce discours mythique qui n’a plus qu’à se déployer et se répéter, discours tragique dans Under the Volcano et discours d’inspiration religieuse et mystique dans Voss. Le passé et le futur sont fréquemment utilisés dans les mythes car ils peuvent être plus facilement réappropriés par la conscience qui les fige. Ainsi Laura s’interroge-t-elle sur la validité des représentations imaginaires que l’on se fait du passé ou du futur. L’identité qu’elle croit avoir eue par le passé n’est-elle pas une reconstruction aussi mythique que le destin qu’elle projette dans le futur sous la forme de Voss ?

‘How strong one was, how weak one always is ! Was the firm, upright, reliable character one seemed to have been, a myth ?...[...]
It would seem that the human virtues, except in isolated, absolved, absurd, or oblivious individuals are mythical. Are you too, my dearest, a myth, as it has been suggested ? ... (lettre de Laura à Voss, V, p. 329)’

En conclusion, dans Heart of Darkness, Lord Jim et certains passages de Voss, le temps de l’action et de l’événement est redéfini comme temps de l’hésitation, de la latence, dans toute son épaisseur et son mystère. Le temps n’y semble pas maîtrisé mais opaque. Dans Under the Volcano, le temps de l’action ne semble tout simplement plus accessible, mais bloqué, révolu, définitif. Dans tous ces romans, le temps progressif de l’histoire est remplacé par un temps de la stase. Mais on voit aussi apparaître une autre figure temporelle, celle de la circularité, qui va, elle aussi, venir contredire une écriture de la séquence.

L’écriture séquentielle se veut non seulement progressive mais aussi pourvue d’un début et d’une fin clairement identifiables. Pourtant, comme le fait judicieusement remarquer Frank Kermode, les hommes ne vivent jamais que des états intermédiaires (« in the middest ») et l’origine et la fin ne sont que des « fictions concordantes » rassurantes (« fictive concords »)240. Or Heart of Darkness, Under the Volcano et Voss sont des romans circulaires à bien des aspects : leur fin n’est qu’un retour au point de départ. Le texte même de Heart of Darkness n’est qu’une étape « intermédiaire » (« in the middest ») entre l’obscurité initiale annoncée par le titre et développée dans les premières pages et reprise dans les tous derniers mots du roman qui sont exactement similaires à ceci près que l’adjectif « immense » s’est interposé entre « heart » et « darkness », comme si non seulement le clair-obscur déployé tout au long du roman n’arrivait pas à se dissiper mais qu’il s’était étendu :

‘Marlow ceased, and sat apart, indistinct and silent, in the pose of a meditating Buddha. Nobody moved for a time.‘We have lost the first of the ebb,’ said the Director, suddenly. I raised my head. The offing was barred by a black bank of clouds, and the tranquil waterway leading to the uttermost ends of the earth flowed sombre under an overcast sky–seemed to lead into the heart of an immense darkness. (HD, p. 121, c’est moi qui souligne)’

La circularité du roman semble totale, d’autant que les mêmes images et les mêmes termes sont repris : la comparaison de Marlow à une « idole »241 au début du roman annonce l’image du Bouddha (« in the pose of a meditating Buddha », HD, p. 121), l’expression « the uttermost ends of the earth » répétée au début et à la fin du roman (HD, p. 28, p. 121) et la présence du Directeur.

De surcroît, la circularité temporelle dans Heart of Darkness est soulignée par le retour de la marée qui symbolise « au quotidien » une mécanique impérialiste qui tourne en rond mais aussi dans une perspective plus vaste, sur le plan de « l’évolution », un cours de l’Histoire, des origines jusqu’au temps présent, qui en est réduit à se mordre la queue : « ‘But the turn of the tide is also a reminder of the endless and apparently meaningless circularity of the physical and the human world on every time scale, from that of the daily round to that of ’ ‘evolutionary’ ‘ history’ »242. Au temps progressif et orienté hérité de Hegel ou de Darwin, succède une vision de l’Eternel Retour telle que Nietzsche l’entendait. On pourrait faire une analyse similaire de l’omniprésence de la lune dans Lord Jim qui suggère un temps cyclique plus que progressif et linéaire, un ‘« temps qui est rythme, alternance, danse périodique’ »243. Ce temps est récurrent dans les romans de Conrad où le bateau, dont la progression est une métaphore de la destinée humaine, poursuit sa route cyclique en totale contradiction avec les espoirs des hommes à son bord :

‘The passage had begun; and the ship, a fragment detached from the earh, went on lonely and swift like a small planet. Round her the abysses of sky and sea met in an unattainable frontier. A great circular solitude moved with her, ever changing and ever the same, always monotonous and always imposing. [...] The smiling greatness of the sea dwarfed the extent of time. The days raced after one another, brilliant and quick like the flashes of a lighthouse, and the nights, eventful and short, resembled fleeting dreams. (NN, p. 21)’

Le temps de l’événement est noyé ici dans le pluriel indistinct des nuits et le caractère vague et générique de l’adjectif « eventful ». Le temps lui aussi semble englouti dans l’abîme (« abysses ») du ciel et de la mer ou bien effacé, pour ainsi dire « écrasé » (« dwarfed ») par la majesté gracieuse de la mer. Dans Lord Jim, la circularité des éléments, du soleil notamment, vient contrarier la progression du Patna et des hommes. A mesure que l’on s’approche de « l’épisode » du Patna, on assiste à une disparition progressive des notations temporelles et une prolifération des notations spatiales de stase et circularité :

‘Every morning the sun, as if keeping pace in his revolutions with the progress of the pilgrimage, emerged with a silent burst of light exactly at the same distance astern of the ship, caught with her at noon, pouring the concentrated fire of his rays on the pious purposes of the men, glided past on his descent, and sank mysteriously into the sea evening after evening, preserving the same distance ahead of her advancing bows. [...] Such were the days, still, hot, heavy, disappearing one by one into the past, as if falling into an abyss for ever open in the wake of the ship; and the ship, lonely under a wisp of smoke, held on her steadfast way black and smouldering in a luminous immensity, as if scorched by a flame flicked at her from a heaven without pity.
The nights descended on her like a benediction. (LJ, pp. 54-55, c’est moi qui souligne)’

Deux parcours temporels sont présentés en parallèle, celui des hommes, en l’occurrence celui du Patna, et d’autre part, celui de l’univers marqué par le trajet du soleil et l’alternance jour/nuit. L’avancée du bateau est parodiée par le caractère cyclique et répétitif des révolutions solaires (« revolutions/every morning/evening after evening/one by one »). De plus, la progression du navire (« progress ») associée à l’idée d’un pèlerinage (« pilgrimage ») et d’une visée religieuse (« pious purposes ») nous renvoie à une image biblique de la vie comme chemin et comme progression vers l’au-delà au sens où l’entendait Bunyan dans The Pilgrim’s Progress. Cette idée est fortement remise en cause par les pluriels itératifs (« the days/ the nights ») et l’impression d’un engloutissement progressif de la chronologie dans une durée interminable (« immensity ») et dévoratrice (« abyss »). La récurrence de termes en apposition exprimant un mode irréel renforce encore l’impression d’impuissance et de désarroi : « as if keeping pace », « as if falling into an abyss », « as if scorched ». Par ailleurs, deux mouvements contradictoires se dessinent, l’un de verticalité pour ce qui est de l’univers, de l’alternance jour/nuit et du rythme du soleil (« emerged », « pouring », « sank », « descended ») et l’autre d’horizontalité en ce qui concerne le cheminement humain, le sillage et la progression du navire (« wake », « her steadfast way »). La téléologie que pourrait comporter l’allusion au pèlerinage (« pilgrimage ») est contredite par une parodie de transcendance, celle d’un Dieu dont la lumière ne guide pas l’embarcation des pèlerins sur le chemin d’une rédemption, mais foudroie, tel un Zeus capricieux, les ambitions des hommes : comme si le bateau était brûlé vif et son avancée arrêtée tout net, par la flamme que le Ciel lui envoie, sans pitié, d’un revers négligent de la main (« as if scorched by a flame flicked at her from a heaven without pity »). Ce passage de Lord Jim est très proche de l’analyse que fait Annah Arendt du temps humain ou encore temps de la « vie individuelle » d’une part, et temps du cosmos ou temps de la « vie biologique » d’autre part :

‘[...] la vie individuelle, la « bios » avec sa biographie reconnaissable de la naissance à la mort [...] se distingue de toutes les autres par le cours rectiligne de son mouvement qui, pour ainsi dire, coupe en travers les mouvements circulaires de la vie biologique. [...] Chaque fois que des hommes poursuivent leurs buts [...] ils coupent en travers un mouvement qui est sans but et tourne à l’intérieur de soi244.’

L’univers paraît ici contrarier l’avancée du navire comme s’il venait démentir les prétentions humaines, comme si la « coupe en travers » horizontale qu’essayaient d’effectuer les hommes était réduite à néant, comme engloutie dans les « mouvements circulaires » et verticaux de la vie du cosmos et de l’univers. L’homme « poursuit un but » (« pious purposes of men ») dans un univers qui, pour sa part, est pris dans un « mouvement sans but ». Ce chronotope d’un « mouvement qui est sans but et tourne à l’intérieur de soi » est aussi très présent dans Under the Volcano et notamment au moment de la mort d’Yvonne qui devrait marquer l’aboutissement téléologique de sa « vie individuelle », « avec sa biographie reconnaissable de la naissance à la mort ».

En effet, le passage qui précède la mort d’Yvonne piétinée par un cheval, décrit « les mouvements circulaires de la vie biologique » qui contredisent la linéarité de la vie humaine. Ainsi, la révolution des étoiles et des galaxies est-elle explicitement contrastée avec l’optique téléologique d’une ligne de vie humaine :

‘And the earth itself turning on its axis and revolving around that sun, the sun revolving around the luminous wheel of this galaxy, the countless unmeasured jewelled wheels of countless unmeasured galaxies, turning, turning, majestically, into infinity, into eternity, through all of which all life ran on–all this, long after she herself was dead [...] would [the constellations] not, too, still be asking the hopeless eternal question: to what end? What force drives this sublime celestial machinery? (UV, p. 322, c’est moi qui souligne)’

La prolifération des mouvements circulaires accentuée par la répétition des mêmes termes (« turning, revolving, wheel ») s’accompagne d’un déficit de sens, de finalité, de réponse eschatologique : « to what end ? ». Dans Under the Volcano, Lowry utilise également tout au long du livre une figure spatiale du temps circulaire, celle de la roue : ‘« [...] the very form of the book [...] is to be considered like that of a wheel, with twelve spokes, the motion of which is something like that, conceivably, of time itself ’»245. Chez Lowry, on n’a pas de fin et donc le voyage est infini : il comptait d’ailleurs intituler l’ensemble de son oeuvre The Voyage that Never Ends. Sherrill Grace souligne en effet que le voyage n’a pas de but et que la seule certitude que l’on ait est qu’il faut continuer d’avancer :

‘The voyage is a quest without a final goal—except for the knowledge that the voyaging must continue [...] Lowry believed that in no positive sense could the voyage end; the only “ends” in Lowry’s works are dead ends, abysses, hells of despair, hatred, and distorted perception246. ’

Il serait cependant trompeur d’y voir une victoire de l’espace sur le temps. C’est au contraire parce que Lowry a peur de l’espace et de s’y enfermer que la quête doit continuer à se dérouler dans le temps. L’espace est pour lui, comme pour Bergson, synonyme de mort et d’étouffement. C’est pourquoi l’image du cercle est prédominante en ce qu’elle évoque à la fois la répétition et l’enfermement (« enclosure ») :

‘The single most important symbol in Lowry’s work is—more important even than the sea which is a pervasive Lowryean symbol of life and motion—is the circle. He used the circle deliberately as temporal cycle, as circular structure, as globe, as wheel, or as enclosure, delighting in the rich ambivalence of its symbolism247.’

D’ailleurs la « Máquina Infernal », qui est un motif récurrent, est aussi appelée « looping-the-loop machine » (p. 221) : on a bien là une vision circulaire voire ouroborique248 de la vie mais aussi, par extension, de l’écriture du Volcan. Le fil serpentin de la diégèse se mord la queue : on commence par le rappel de la mort du Consul et on finit sur elle. Le fait qu’il ait choisi d’appeler cette grande roue la « Máquina Infernal » n’est pas anodin ; ses connotations diaboliques rappellent étrangement le court texte qui sert de prologue à La machine infernale de Cocteau : « ‘Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d’une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel’ »249.

Dans Voss, le temps est également circulaire et répétitif, et il se double d’une forme d’atemporalité. Les jours et les nuits se suivent sur un mode qui tient presque du rituel. Le mouvement lui-même, habituellement synonyme de changement et de forte implication temporelle, devient une progression pour ainsi dire mécanique : « ‘The sceptics would ride on, however, because they were committed to it, and because by now their minds and limbs had accepted a certain ritual of inspired motion’ » (V, p. 194). L’emploi récurrent du modal « would » à valeur fréquentative brouille les repères entre la description d’une matinée particulière ou bien celle de toutes les matinées :

‘An eternity of days was opening for the men, who would wake and scramble up [...] After breakfast, which was similar to other meals [...] Voss, attended by Judd, would take readings from their instruments, and attempt to assess their current position. Judd would bring out from their cloths those trembling devices in glass and steel and quicksilver. [...Voss] would sit with the large notebook upon his knees, recording in exquisite characters and figures, in black ink, the legend. Sometimes similarly black, similarly exquisite spiders replete from their dew-feast, would trample in his hair, and have to be brushed off. These small insects could affront him most severely. By this time the air was no longer smelling of dew ; it had begun again to smell of dust. (V, p. 194, c’est moi qui souligne).’

Ceci est d’autant plus net qu’il s’agit de la description du moment où Voss essaie de déterminer leur position, et au lieu de situer cette position dans une perspective d’avancée et de progrès de l’expédition, cette dernière est noyée dans un temps circulaire de la répétition et de l’éternité (« eternity ») : le réveil, le petit déjeuner semblable aux autres repas, la mesure de la position, la rédaction du journal, les araignées semblables elles aussi d’un jour à l’autre, l’air empli de rosée puis, à nouveau l’air empli de poussière. Le temps se perd ici dans l’espace250 : c’est l’odeur de poussière qui semble marquer l’écoulement temporel (« it had begun again to smell of dust »). Stase, circularité, dissolution du temps dans l’espace, autant de figures spatiales qui contredisent une écriture de la séquence. Néanmoins, une certaine forme de téléologie est présente et la ligne logique et narrative fait place à la ligne des origines ou ligne téléologique même si elle apparaît sous une forme détournée, voire parodique, qu’il s’agisse d’une ligne chronologique ou encore d’une ligne biographique.

Notes
197.

Ricoeur dit de la succession qu’elle signifie le « refoulement de l’événement » : « [...] la conception du temps comme succession marque paradoxalement le premier refoulement de l’événement en tant qu’incidence, soudaineté. Dire que quelque chose prend place dans le temps, conçu comme l’ordre de l’avant-après selon le nombre [...] c’est déjà émousser la force d’irruption, voire de rupture de l’événement. » in Paul Ricoeur, « Événement et sens », op. cit., p. 11. On pourrait dire que, de même que la succession peut être une façon de refouler l’événement, elle est une façon de refouler l’unicité, la spécificité du vécu, du regard et de la conscience. Refuser l’écriture de la séquence, c’est donc réinstaurer une approche phénoménologique de l’événement et de la perception sans émousser leur « force d’irruption, voire de rupture ».

198.

Jean Jacques Mayoux, Vivants Piliers, Le roman anglo-saxon et les symboles, Paris : Julliard, 1960, p. 152. C’est moi qui souligne.

199.

Je reprends le terme de Mayoux : Conrad s’efforce de « suggérer un monde où l’individu est englué sans espoir » (op. cit., p. 152). L’image de la glu est d’ailleurs explicitement utilisée dans Lord Jim pour décrire les moments qui ont précédé le second « saut » de Jim : « his feet were glued to that remote spot » (p. 119). Il n’est pas inintéressant de remarquer que cet engluement est explicitement lié au fait que Jim n’arrive pas à ordonner ses pensées en une chaîne symbolique cohérente : « [h]is feet remained glued to to the planks as if his thoughts were knocking about loose in his head ». (p. 122).

200.

« Abordons encore un chronotope imprégné de grande valeur émotionnelle, de forte intensité : le chronotope du seuil. Il peut s’associer au thème de la rencontre, mais il est notablement plus complet : c’est le chronotope de la crise, du tournant d’une vie. » (Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris : Gallimard, 1978, traduction française de l’édition russe Khoudojestvennaïa Literatoura, Moscou, 1975, p. 389).

201.

Ibid.

202.

Cette expression et les suivantes sont tirées de Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Paris : Seuil, 1972 (©1953), pp. 26-27.

203.

Bakhtine, op. cit., p. 389.

204.

Barthes, op. cit., p. 26.

205.

C’est moi qui souligne.

206.

LJ, p. 125, c’est moi qui souligne.

207.

Fredric Jameson, The Political Unconscious, op. cit., p. 264. Jameson associe la question de la valeur éthique à accorder au saut de Jim à une interrogation sur ce que sont un acte et un instant temporel : « My argument is, then, that the questions raised in Jim’s apparent quest for self-knowledge–whether he was a coward and why [...] these ethical questions which turn around the nature of freedom are in fact [...] something like a structural pretext for the quite different examinations of what an act and a temporal instant are : when does the act happen, how much preparation is necessary, how far do you have to go in it before it suddenly “takes” and becomes irrevocable, is it then infinitely divisible like the sprint-lengths of the hare, or of Zeno’s arrow, and if not, then, (the other face of Zeno’s paradox) how could that single hard ultimate indivisible atom which is the instant of action ever come into being in the first place ? » (Ibid., pp. 261-262).

208.

Saint Augustin, Confessions, Livre XI, 14, 17.

209.

Lettre de Conrad à John Galsworthy, citée par Sylvère Monod dans l’Introduction au tome II des Oeuvres de Joseph Conrad, Pléiade, p. XXII.

210.

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, Paris : Le livre de poche/ Biblio Essais, 1994 (©Librairie José Corti, 1942), 221p., p. 129.

211.

La vase et d’ailleurs emblématique de la perte du sens en général, comme en témoigne la citation suivante de Joseph Conrad : « Of course reason is hateful,–but why? Because it demonstrates (to those who have the courage) that we, living, are out of life,–utterly out of it. The mysteries of a universe made of drops of fire and clods of mud do not concern us in the least [...] Life knows us not and we do not know life. » (G. Jean Aubry, Joseph Conrad: Life and Letters, Garden City, N. Y. : Doubleday, Page, 1927, vol. 1, p. 222, c’est moi qui souligne)

212.

« [...] l’eau est rêvée tour à tour dans son rôle émollient et dans son rôle agglomérant. Elle délie et elle lie », Ibid., p. 122.

213.

« [...] l’humain et la pâte si pareils, si remarquablement pareils [...] » in Henri Michaux, Chemins cherchés. Chemins perdus. Transgressions, Paris : Gallimard, 1981, p. 25.

214.

Le gris est-il autre chose que l’hésitation entre le blanc et le noir, le refus des oppositions binaires simplificatrices, autrement dit la couleur du neutre tel que l’entend Louis Marin ? La récurrence d’adjectifs négatifs chez Conrad est peut-être à mettre au même compte, un refus de catégoriser : « La négation à l’intérieur du signifiant nominal utopie « n’instaure-t-elle pas, non point au delà ou en deçà de l’affirmation et de la négation, mais entre elles, un espace, une distance qui leur interdit d’épuiser les possibles de la vérité ? Ni oui, ni non, ni vrai ni faux, ni l’un ni l’autre : le neutre. » (Louis Marin, Utopiques : jeux d’espace, op. cit., p. 20)

215.

cf supra, note 198.

216.

« L’imagination matérielle, l’imagination des quatre éléments, même si elle favorise un élément, aime à jouer avec les images de leurs combinaisons. Elle veut que son élément favori imprègne tout, elle veut qu’il soit la substance de tout un monde [...] L’imagination formelle a besoin de l’idée de composition. L’imagination matérielle a besoin de l’idée de combinaison » in Gaston Bachelard, op. cit., p. 109.

217.

Ibid., p. 109.

218.

Nous nous permettons ici d’utiliser un vers du célèbre poème de Baudelaire, Harmonie du soir : « Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige ». Mais à la couleur rouge-» sang » se substitue une « lumière blanche » qui évoque évoque davantage le liquide amniotique, liquide de l’indifférenciation s’il en est.

219.

Il est question à la suite du passage que nous avons cité d’un « gelatinous, half-created world » (V, p. 282) qui lui rappelle la soupe préparée par Judd la veille. Paysage gélatineux et soupe sont même identifiés un peu plus loin lorsque le narrateur parle de la « shiny grey soup of the prevailing flood » (V, p. 283).

220.

Bachelard, op. cit., p. 109.

221.

Ibid., p. 122.

222.

Ibid., p. 122.

223.

Nous faisons référence à la citation que nous avons donnée dans le premier chapitre. Elle est tirée de la préface de Roderick Hudson de Henry James : « Really, universally, relations stop nowhere, and the exquisite problem of the artist is eternally but to draw, by a geometry of his own, the circle within which they shall happily appear to do so » (cf supra, note 64).

224.

Dans les deux passages précédemment cités, il est effectivement question d’» amarres » : « A protoplast of mist was slowly born, and moored unwillingly by invisible wires. There it was, gently tugging. » (V, p. 282, c’est moi qui souligne). Quelques pages après la constatation que Kurtz a largué les amarres (« kicked himself loose »), Marlow ironise sur tous ceux dont les amarres sont ancrées bien fermement : « Their bearing, which was simply the bearing of commonplace individuals going about their business in the assurance of perfect safety, was offensive to me like the outrageous flauntings of folly in the face of a danger it is unable to comprehend », (HD, pp. 113-114).

225.

Nous paraphrasons ici Bachelard, p 131.

226.

Le « temps spatial » en ce sens est tout l’inverse de ce que Mayoux entend par « temps spatial », un temps de la matière et de la quantité vécu comme ce contre quoi l’homme vient buter, un temps tragique au sens où il se refuse justement à la transformation, à la métamorphose. Néanmoins, même dans les mythes australiens et dans Voss, l’homme n’est pas à l’origine de ces transformations : il les subit avant tout.

227.

Barbara Glowczewski, Du rêve à la loi chez les Aborigènes. Mythes, rites et organisation sociale en Australie, Paris : PUF, 1991, pp. 64-65.

228.

Cette citation est tirée du chapitre « Vingt-deuxième série, porcelaine et volcan » consacré à Under the Volcano dans Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris : Minuit/Critique, 1969, pp. 184-5. C’est moi qui souligne.

229.

Ibid., p. 185.

230.

Sherrill Grace, « The Creative Process: An Introduction to Time and Space in Malcolm Lowry’s Fiction », Studies-in-Canadian-Literature, Fredericton, New Brunswick, 1977, vol. 2, p. 65.

231.

« Ne remarquez-vous pas ceci ? S’il y a un trait différentiel de tout ce que nous appelons du Sophocle, mis à part OEdipe roi, c’est la position à bout de course de tous les héros. Ils sont portés sur un extrême, que la solitude définie par rapport au prochain est très loin d’épuiser. Il s’agit d’autre chose – ce sont des personnages situés d’emblée dans une zone limite, entre la vie et la mort. Le thème de l’entre-la-vie-et-la-mort est d’ailleurs formulé comme tel dans le texte, mais il est manifeste dans les situations. » (Jacques Lacan, L’Éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 317).

232.

Ibid.

233.

Tony Cartano, Malcolm Lowry, Essai, Saint-Amand-Montrond (Cher) : Henri Veyrier, 1979, collection Essais Singuliers, p. 107.

234.

Sherrill Grace, « Under the Volcano: Narrative Mode and Technique », Journal of Canadian Fiction, Spring, 1973, p. 60.

235.

Ces termes sont de Tony Cartano : « Techniquement, il n’y a pas de progression dans ce roman. On assite à une espèce d’enroulement ou de déroulement–comme on voudra–à partir du prologue écho ou harmonique de l’intrigue » (Malcolm Lowry, Essai, op. cit., p. 109).

236.

Cette citation est tirée de l’ouvrage de Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 294. Bakhtine parle ici d’une caractéristique propre au roman antique mais qu’il dit retrouver de manière prévalente dans les formes littéraires qui ont suivi. Il dénomme cette particularité « inversion historique » : « Essentiellement, il s’agit de ceci : la pensée mythologique et littéraire localise dans le passé des catégories telles que le but, l’idéal, l’équité, la perfection, l’état harmonieux de l’homme et de la société. Les mythes du paradis, de l’âge d’or, de l’époque héroïque, de l’antique Vérité, les notions plus tardives sur l’état de nature, sur les droits naturels et autres, sont des expressions de cette inversion historique. » (p. 294).

237.

Ibid., p. 295.

238.

Veronica Brady, « The Novelist and the New World: Patrick White’s Voss », TSLL (USA : University of Texas Press), vol. 21, n°2, été 1979, p. 179.

239.

Jim Reilly, Shadowtime, History and Representation in Hardy, Conrad and George Eliot, Londres : Routledge, 1993, p. 28.

240.

« Men, like poets, rush ‘into the middest’, in medias res, when they are born ; they also die in mediis rebus, and to make sense of their span they need fictive concords with origins and ends, such as give meaning to lives and to poems. » (Frank Kermode, The Sense of an Ending, Studies in the Theory of Fiction, New York : OUP, 1967 [©1966], p. 7)

241.

« Marlow sat cross-legged right aft, leaning against the mizzen-mast. He had sunken cheeks, a yellow complexion, a straight back, an ascetic aspect, and, with his arms dropped, the palms of hands outwards, resembled an idol. », p. 28.

242.

Ian Watt, Conrad in the Nineteenth Century, op cit., p. 253.

243.

On pourrait dire à propos de Lord Jim, qui a certains des traits de l’Utopie, ce que dit Louis Marin du texte utopique : « Le texte utopique, avons-nous dit, est, dans sa structure, un tissu de récit et de description, de lisible et de visible, de temps et d’espace. [...] Le rejet du mauvais extérieur et l’inclusion du bon extérieur à l’intérieur comme un vide plein dessinent un autre temps que le temps linéaire et progressif où les événements s’accumulent, en produisant un temps qui est l’autre du temps irréversible, un temps qui est rythme, alternance, danse périodique. La lune « croissante «, qui est la figure de l’île utopienne est en même temps le dessin de son temps qui s’affirme autre dans la répétition, même et autre à la fois dans les phases de la lune » (Louis Marin, Utopiques : jeux d’espace, op. cit., p. 141).

244.

Hannah Arendt, La crise de la culture, Paris : Gallimard/Folio Essais, 1972 (©1954), p. 59.

245.

Lowry, « Letter to Jonathan Cape », op. cit., p. 18.

246.

Sherrill Grace, « The Creative Process : an Introduction to Time and Space in Malcolm Lowry’s Fiction », op. cit., p. 62.

247.

Ibid., p. 64.

248.

L’ouroboros est une figure symbolique qui souligne un parcours sans commencement ni fin : c’est un « serpent qui se mord la queue et symbolise un cycle d’évolution fermée sur elle-même » (Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris : Laffont, 1982, p. 716).

249.

Jean Cocteau, La machine infernale, Paris : Grasset, 1934, p. 15. Cocteau a intitulé ce substitut de prologue « La Voix » comme s’il avait tenu à assimiler voix du destin et fatalité.

250.

Cette vision du temps est très proche de celle des aborigènes pour qui le temps n’a de réalité qu’en relation avec l’environnement mais nous y reviendrons (cf infra, p. 104).