II. Ligne des origines ou téléologique

Le chronotope de la ligne chronologique, biographique et historique est une des figures incontournables du roman. Dans le sillage du roman réaliste et historique du XIXe siècle, l’ordre du récit tend à imiter celui de la vie et du monde, autrement dit un cours que l’on veut « logico-temporel ». Brooks remarque en effet qu’après la disparition progressive de l’intrigue « providentielle », c’est-à-dire d’une explication du monde par des récits d’inspiration religieuse, le XIXe siècle se lance à corps perdu dans la recherche d’autres intrigues/récits (« plot »/» narrative ») :

‘The enormous narrative production of plots of the nineteenth century may suggest an anxiety at the loss of the providential plots: the plotting of the individual or social or institutional life story takes on new urgency when one no longer can look to a sacred masterplot that organizes and explains the world. The emergence of narrative plot as a dominant mode of ordering and explanation may belong to the large process of secularization, dating from the Renaissance and gathering force during the Enlightenment, which marks a falling-away from those revealed plots—the Chosen People, redemption, the Second Coming—that appeared to subsume transitory human time to the timeless251.’

Et il explique ainsi la fascination qu’a connu ce siècle pour les questions d’origine, d’évolution, de progrès, de généalogie et d’histoire ou de récit (« narrative ») : ‘« And this may explain the nineteenth century’s obsession with questions of ’ ‘origin, evolution, progress, genealogy’ ‘, its foregrounding of the ’ ‘historical/narrative’ ‘ as par excellence the necessary mode of explanation and understanding’ »252. Origine, évolution, progrès, histoire, révélation, sont des concepts qui évoquent une ligne temporelle successive et progressive. La ligne de l’histoire semble exemplaire d’un temps maîtrisable à l’image du ‘« temps chronologique’ »253 ou du ‘« temps monumental ’»254 dont parle Ricoeur. Du reste, les expéditions de Marlow et de Voss ne sont-elles pas inspirées par des expéditions réelles ?

Notes
251.

Peter Brooks, Reading for the Plot, op. cit., p. 6.

252.

Ibid., p. 7, c’est moi qui souligne.

253.

Ricoeur parle de « temps chronologique » et de « temps monumental » à propos de Mrs Dalloway : « Cette histoire monumentale, à son tour, secrète ce que j’oserais appeler un temps monumental, dont le temps chronologique n’est que l’expression audible ; de ce temps monumental relèvent les figures d’Autorité et de Pouvoir qui constituent le contre-pôle du temps vif, respectivement vécu par Clarissa et par Septimus [...]. » (Paul Ricoeur, Temps et récit, Tome II, op cit, p. 200).

254.

Ibid.