011Chemin de vie

Le chronotope du chemin de vie que Bakhtine repère dans le roman d’aventures et de moeurs antique est devenu un véritable topos romanesque et ses analyses sont donc tout aussi valables et éclairantes pour le roman moderne :

‘« Choisir sa route » c’est décider de la direction de sa vie. La croisée des chemins, c’est toujours un tournant pour l’homme du folklore [...] Les signes le long de la route, sont ceux du destin, etc. [...] L’espace devient concret et saturé d’un temps plus substantiel, empli par le sens réel de la vie, entrant dans un rapport essentiel avec le héros et son destin304.’

Bergson parle de cette métaphore du chemin et de la ligne en termes sévères, il estime qu’elle fait partie d’un « symbolisme grossier »305 au sens où elle permet aux déterministes d’affirmer que l’homme n’est pas libre et à leurs adversaires d’affirmer le contraire306. Il ne faut pas représenter le libre arbitre ‘« sous forme d’oscillation dans l’espace ’» car un ‘« tel symbolisme mécaniste’ » ne peut aboutir qu’à des conclusions mécanistes307.

Dans Under the Volcano, le chapitre VI s’ouvre sur la phrase suivante : ‘« Nel mezzo del bloody cammin di nostra vita mi ritrovai in’ » (UV, p. 150). Or, c’est aussi la première phrase de L’Enfer de Dante, à ceci près que Lowry y ajoute l’adjectif « bloody » : « ‘Nel mezzo del camin di nostra vita/ mi ritrovai per una selva oscura, ché la diritta via era smarrita’ 308 ». Le chapitre VI est justement au milieu du chemin de vie du Consul (« camin di nostra vita ») puisque le roman compte 12 chapitres. Mais le Paradis ne semble pas en vue puisque le chapitre se termine sur l’évocation de la carte d’Yvonne qui représente justement un chemin, une autoroute plus exactement, mais un chemin qui ne mène nulle part, qui relie non pas un Enfer à un Paradis en passant par un Purgatoire mais un désert à un autre désert et qui ensuite disparaît : ‘« Hugh turned the card over. ’ ‘There was a picture of the leonine Signal Peak on El Paso with Carlsbad Cavern Highway leading over a white fenced bridge between desert and desert. The road turned a little corner in the distance and vanished’ »309 (UV , p. 193). L’image du chemin est donc vidée de ses potentialités salvatrices : tout au plus mène-t-il vers le désert du purgatoire que sera Lunar Caustic. Néanmoins, lorsque le Consul évoque l’image du chemin au premier chapitre, il semble hésiter entre salut ou damnation :

‘And this is how I sometimes think of myself, as a great explorer who has discovered some extraordinary land from which he can never return to give his knowledge to the world: but the name of this land is hell.
It is not Mexico of course but in the heart. [...] But this is worst of all, to feel your soul dying. I wonder if it is because to-night my soul has really died that I feel at the moment something like peace.
Or is it because right through hell there is a path, as Blake well knew, and though I may not take it, sometimes lately in dreams I have been able to see it ? [...] I seem to see now, between mescals, this path, and beyond it strange vistas, like visions of a new life together we might somewhere lead. I seem to see us living in some northern country, of mountains and hills and blue water ; our house is built on an inlet [...] (UV, p. 36) ’

Deux figures contradictoires du chemin de vie apparaissent ici : d’une part celle du purgatoire et de l’Enfer (le Consul se voit comme « explorateur » d’une terre infernale) et d’autre part un chemin (« path ») qui doit le mener à une forme de Cité Céleste sur le mode de l’irréel, la petite cabane au bord du lac, topos emblématique du Paradis qui doit conclure la quête du protagoniste. Le passage est très fortement modalisé du fait de l’utilisation récurrente de l’expression « I seem to see » et de la présence de modaux tels que « may » et « might », ce qui met en évidence le caractère imaginaire, voire irréel, du salut du Consul. On pourrait dire du « sentier qui traverse l’Enfer » (« through hell there is a path ») et qui mène à la maison au bord du lac, qu’il « rejoint l’immédiat à l’éventuel, le présent au futur et la réalité au rêve par l’aiguisement du désir »310. Néanmoins, comme le confirme la fin du premier chapitre, le chemin restera en Enfer :

‘Suddenly, from outside, a bell spoke out, then ceased abruptly : dolente... dolore!
Over the town, in the dark tempestuous night, backwards revolved the luminous wheel———————————————————–– (UV, p. 42)’

En effet, les sons de la cloche, « dolente » et « dolore », font référence à l’inscription sur la porte de l’Enfer dans L’Enfer de Dante :

Per me si va ne la città dolente,
Per me si va ne l’etterno dolore,
Per me si va tra la perduta gente311.

Terminer le chapitre sur l’entrée dans l’Enfer est d’autant plus significatif qu’il s’agit du premier chapitre et qu’au lieu d’ouvrir sur le futur et la possibilité d’une rédemption comme le fait l’image traditionnelle du chemin, le chapitre se clôt sur une autre image, circulaire cette fois, celle d’un temps révolu : au lieu de pointer vers l’avenir, la roue du temps s’apprête à reculer un an plus tôt, de même que les onze chapitres suivants vont dérouler un chemin de vie qui a déjà été parcouru, d’un enfer, la « barranca », à un autre enfer, cette même « barranca ». Lowry était tout-à-fait conscient de la valeur symbolique du chronotope du chemin de vie, comme il le déclare dans une nouvelle intitulée « The Forest Path to the Spring » :

‘There has always been something preternatural about paths, and especially in forests–I know now for I have read more–for not only folklore but poetry abounds with symbolic stories about them: paths that divide and become two paths, paths that lead to a golden kingdom, paths that lead to death [...]312. ’

Il a d’ailleurs amplement utilisé cette symbolique, notamment pour la composition du roman. Le Consul prend un chemin tandis que Hugh et Yvonne en prennent un autre mais cette fois-ci, tous deux mènent à la mort. Dans la nouvelle « The Forest Path to the Spring », il utilise l’image du chemin (« path ») pour signifier la continuité de la vie, ce qui permet de conjurer la mort et la stérilité. En effet, dans la nouvelle, le chemin est celui qui mène à la source et donc à l’eau, source de vie (« The Forest Path to the Spring », c’est moi qui souligne). Le chemin est aussi source d’inspiration puisque, après avoir entendu une histoire sur des personnes qui disparaissent en chemin, le personnage principal et sa femme écrivent un récit autour de ce thème avec, à l’inverse, une fin heureuse et les retrouvailles des deux amoureux (« a story along those lines », FPS, p 269). Ce qui est intéressant ici, c’est le lien entre le chemin et le fait de raconter une histoire. De même, un peu plus tard, un feu se déclare et brûle leur maison ainsi que la symphonie écrite par le protagoniste principal. S’il n’arrive pas à retrouver l’inspiration initiale pour sa symphonie, le reste de sa musique lui revient néanmoins en retournant sur le chemin, comme si « chemin de la source » et source d’inspiration étaient intimement liés :

‘[Our] house burned down three years later and all the music I had written burned with it, but we built another house ourselves, [...] And the music got itself rewritten too somehow, in a way that was more satisfactory, for I had only to come back to the path to remember parts of it. (FPS, pp 270-271).’

Le chemin a une forte valeur symbolique en ce qu’il permet, après l’épreuve purgatoire du feu, de retrouver la source d’inspiration et donc les morceaux de musique qui avaient brûlé. Lowry avait prévu d’écrire trois volets de son « épopée », Under the Volcano comme Enfer, Lunar Caustic comme Purgatoire et In Ballast to the White Sea comme Paradis 313. Même si ce dernier ouvrage a véritablement brûlé, « The Forest Path to the Spring » en donne vraisemblabement un bon aperçu, puisque la crique dans laquelle vivent les deux protagonistes est présentée comme un paradis.

Le chemin est donc emblématique d’une ligne de vie qui est inspirée de la Bible : éviction du jardin d’Eden dans Under the Volcano, purgatoire et désorientation dans Lunar Caustic et retour au Paradis dans « The Forest Path to the Spring ». Le chemin est par conséquent une façon qu’a l’homme de « configurer » son expérience temporelle pour reprendre les termes de Ricoeur, c’est-à-dire de résoudre les apories temporelles posées par Augustin grâce à la continuité de la conscience314 qui permet d’avoir à l’esprit les choses passées sous le mode de la mémoire, les choses présentes sous celui de la vision, et les choses futures sous celui de l’attente comme nous l’avons vu plus haut315. Mais dans Under the Volcano, le chemin de vie n’arrive pas à se former dans l’esprit du Consul car mémoire, vision et attente démultiplient leurs lignes, leurs tracés, comme s’il était incapable de se situer sur une ligne de conduite, une ligne de vie :

‘La voie droite s’est perdue dans la forêt obscure, comme au début de la Divine Comédie de Dante, dont Au-dessous du Volcan, au dire même de son auteur, se veut une sorte de version moderne et ivrogne.
Au milieu du chemin de notre vie je me retrouvai dans une forêt obscure, car la voie droite s’était perdue : cette perte de la voie droite ne vient pas de ce que les chemins soient venus à manquer dans l’esprit du Consul, mais au contraire de ce qu’ils y pullullent, de ce qu’ils ont investi toute la réalité, une réalité qui n’est plus qu’un infini entrecroisement de routes, une impénétrable forêt de chemins316.’ ‘Le paradoxe de la réalité tient à cette « nécessité où elle est d’être toujours signifiante : aucune route qui n’ait un sens (le sien), aucun assemblage qui n’ait une structure (la sienne), aucune chose au monde qui, même si elle ne délivre aucun message lisible, ne soit du moins précisément déterminée et déterminable317. ’

De même, Yvonne ne sait quel chemin choisir lorsqu’elle se trouve devant une bifurcation :

‘ They had reached the limit of the clearing, where the path divided into two. Yvonne hesitated. Pointing to the left, as it were straight on, another aged arrow on a tree repeated : a la Cascada. But a similar arrow pointed away from the stream down a path to their right : a Parián.
Yvonne knew where she was now, but the two alternatives, the two paths, stretched out before her on either side like the arms—the oddly dislocated thought struck her, of a man being crucified.’

L’alternative entre deux directions, deux chemins, devrait symboliser une alternative entre choix et liberté d’une part et déterminisme et fatalité d’autre part et pourtant, quel que soit le chemin qu’emprunte Yvonne, il mène tout droit à la damnation puisque Parián est un endroit de perdition comme le confirmera le parcours du Consul, et le chemin qui mène aux « cascades » évoque la chute biblique puisque le terme « Falls », évoque celui de « Fall ». Une telle imprégnation biblique dès qu’il s’agit de la métaphore du chemin de vie se retrouve chez Patrick White mais avec des valeurs différentes.

The Tree of Man et Voss sont deux romans publiés à deux ans d’intervalle et dont la métaphore centrale est celle du chemin de vie comme le rappelle le critique Colmer :

The Tree of Man and Voss (1957) are both based on the metaphor of life as a journey, a favourite metaphor in much Australian writing for obvious historical and geographical reasons. In The Tree of Man Stan Parker’s journey is through time; in Voss the hero’s journey is through space. In both novels, the temporal and spatial voyages are in essence spiritual ones, although the actual details of Stan’s pioneering life and Voss’s blundering but heroic exploration are rendered with absolute fidelity to physical fact and sensuous experience318.’

Chez White, le chemin de vie est souvent un chemin de croix, d’apprentissage de l’humilité par la souffrance. D’ailleurs, dans The Tree of Man, Stan Parker affirme dans une révélation finale que s’il croit au « chemin de vie », c’est avant tout en tant que chemin parsemé d’embûches et d’épreuves (« cracks in the path ») :

‘I believe, he said, in the cracks in the path. On which ants were massing, struggling up over an escarpment. But struggling. Like the painful sun in the icy sky. Whirling and whirling but struggling. But joyful. So much so, he was trembling. The sky was blurred now. As he stood waiting for the flesh to be loosened on him, he prayed for greater clarity, and it became obvious as a hand. It was clear that One, and no other figure, is the answer to all sums. (TM, p. 477, c’est moi qui souligne)’

Stan ne croit pas tant au destin comme ligne de vie toute tracée qu’au destin comme série d’ornières dans le chemin de vie : « ‘I believe [...] in the cracks in the path’ ». Dans Voss, Palfreyman qualifie le voyage de l’expédition de voyage de « poussière, de mouches et de chevaux agonisant » (« ‘[a journey of] of dust, and flies, and dying horses’ », V, p. 107). Quant à Le Mesurier, il rappelle la nécessité de la souffrance et de l’effort (« struggle ») : « ‘The mystery of life is not solved by success, which is an end in itself, but in failure, in perpetual struggle, in becoming’ .» (V, p. 271) Cette même notion d’effort informe Under the Volcano dont l’une des épigraphes, tirée du Faust de Goethe, affirme :

Wer immer strebend sich bemüht, den können wir erlösen.
Whosoever unceasingly strives upward...him can we save.

Cependant, au lieu de suivre un chemin de vie ou de destinée, d’un point à un autre, il semble que les protagonistes dans Voss préfèrent souvent suivre des chemins qui les ramènent toujours au même point. Faute de ligne de conduite, de tracé prédéterminé, le « path » n’est plus tant l’image d’une progression historique ou spirituelle, une « visite de la différence »319 que celle d’un repli. Il ne mène pas de la maison à un espace autre mais l’altérité même est récupérée pour redevenir « maison » à laquelle les chemins reviennent comme un cordon ombilical : « ‘The white men rode home, which was what the cave had become. ’ ‘Paths now wound from its mouth’ », (V, p. 285). Seul Voss semble accomplir un véritable purgatoire qui le mène à l’humilité et Laura interprète son chemin de vie comme un chemin de croix : ‘« How it is important to understand the three stages. ’ ‘Of God into man ; Man. And man returning into God [...] When man is truly humbled, when he has learnt that he is not God, then he is nearest to becoming so. In the end, he may ascend.’ » (V, pp. 386-387). Les images christiques sont très présentes dans Voss comme dans Under the Volcano mais elles insistent plus sur le caractère problématique du chemin de vie que sur la promesse de rédemption ou de révélation finale. Dans Heart of Darkness, le chronotope du chemin n’est pas tant associé à la voie de la rédemption sur un plan individuel qu’à celle du progrès que doit apporter le chemin de fer à ce que prétend la propagande impérialiste sur un plan collectif. Si portion de chemin de vie il y a pour Marlow, elle est celle des illusions perdues et d’une prise de distance vis-à-vis du discours et des métaphores du colonialisme.

L’image du chemin est particulièrement présente dans Heart of Darkness lors de l’épisode où Marlow explore le campement de la Compagnie. Mais au lieu de mener comme le chemin de Platon dans le mythe de la caverne, des ténèbres à la lumière et des ombres aux objet réels, la progression de Marlow sur le sentier équivaut à une plongée aux enfers. Son parcours s’inscrit ainsi en porte-à-faux par rapport au pèlerinage tel qu’il est décrit dans The Pilgrim’s Progress de la Cité de la destruction à la Cité Céleste. Par ailleurs, plutôt que de se déployer dans l’ordre logico-temporel qui mènerait du début à la fin de la quête, une fois l’objet de la quête obtenu, le chronotope du chemin (« path ») subit des transformations successives qui en démentent les implications téléologiques. Le « path » ne cesse de changer de valeur : de sentier objectif et existant, de sentier dénoté, il va devenir métaphore filée, réseau de connotations. Le thème est annoncé, en mode mineur pour ainsi dire, avec le chronotope de la route. Marlow discute en effet avec un capitaine belge qui lui parle d’un homme qui s’est pendu sur la route alors qu’il était sur le point de rentrer à la métropole :

‘“Fine lot these government chaps–are they not ?” he went on, speaking English with great precision and considerable bitterness. “It is funny what some people do for a few francs a month. I wonder what becomes of that kind when it goes up country ?” I said to him I expected to see that soon. “So-o-o !” he exclaimed. He shuffled athwart, keeping one eye ahead vigilantly. “Don’t be too sure,” he continued.“The other day I took up a man who hanged himself on the road. (HD, pp. 41-42)’

Le chronotope de la route est donc ici contredit par la fracture la plus radicale qui soit, le suicide. Ce chronotope va se poursuivre avec l’évocation d’un sentier (« path ») sur lequel s’engage Marlow. Marlow commence à gravir ce chemin qui doit le mener au campement. Il tombe alors sur un wagon de chemin de fer les « quatre fers en l’air » : le chemin de fer (« railway ») est une première transformation du motif du chemin et comme par hasard, sa vocation utilitaire de conduire d’un point à un autre se voit contredite, d’autant que le chemin de fer est encore en construction :

‘‘I came upon a boiler wallowing in the grass, then found a path leading up the hill. It turned aside for the boulders, and also for an undersized railway-truck lying there on its back with its wheels in the air. The thing looked as dead as the carcass of some animal [...] To the left a clump of trees made a shady spot, where dark things seemed to stir feebly. I blinked, the path was steep. [...] They were building a railway. The cliff was not in the way or anything; but this objectless blasting was all the work going on. (HD, p. 42, c’est moi qui souligne)’

Les images linéaires du sentier (« path ») et du chemin de fer (« railway ») sont contredites par le fait que le wagon a justement déraillé, qu’il a quitté la ligne droite et cette déviance par rapport à la ligne est, de surcroît, associée à l’idée de mort puisque le wagon évoque le cadavre d’un animal. L’allusion inquiétante aux choses sombres tapies dans l’ombre ‘(« a shady spot, where dark things seemed to stir feebly’ ») sera explicitée plus tard et fait elle aussi référence à la mort qui rode : encore une déviance par rapport au sentier puisqu’il faut détourner le regard sur la gauche pour l’apercevoir. La phrase suivante est d’une ironie dramatique flagrante puisque Marlow, comme aveuglé par cette masse sombre (« I blinked ») préfère retourner à son sentier : « I blinked, the path was steep ». Le chemin remplit bien ici le rôle de symbole idéologique qui permet à Marlow de fermer les yeux sur la réalité de l’impérialisme en pratique : l’exploitation et la mort. Une troisième occurrence de l’image du sentier coïncide avec l’évocation d’une autre figure spatiale, celle d’une file indienne de six hommes engagés sur cette voie et à partir de là, l’image linéaire et progressive du chemin laisse place à d’autres images linéaires comme celles de la ligne que forment les hommes en file indienne (« file »), leurs corps comparés à des cordes entrecoupées de noeuds (« ropes »), la chaîne qui les relie (« chain ») :

‘Six black men advanced in a file, toiling up the path.[...] I could see every rib, the joints of their limbs were like knots in a rope ; each had an iron collar on his neck, and all were connected together with a chain whose bights swung between them, rythmically clinking. (HD, pp. 42-43, c’est moi qui souligne)’

Les connotations du chemin par contamination avec celles de la ligne des esclaves deviennent alors ambivalentes, voire franchement négatives. Sachant que l’une des métaphores de prédilection de la propagande de l’époque est celle du chemin du progrès que les nouvelles découvertes technologiques comme le chemin de fer, le téléphone, les lignes maritimes sont chargées de propager320, l’image de la ligne des esclaves prend une dimension ironique voire subversive. La série des transformations des figures du chemin et de la ligne continue avec l’évocation des tuyaux d’assainissement dont pas un n’est resté intact (HD, p. 44) : « ‘I discovered that a lot of drainage-pipes for the settlement had been tumbled in here. ’ ‘There wasn’t one that was not broken. It was a wanton smash-up’ » (HD, p. 44). Dans le même temps, Marlow décrit des « formes noires » qui agonisent : ‘« Black shapes crouched, lay, sat between the trees [...] ’ ‘And this was the place where some of the helpers had withdrawn to die’ » (HD, p. 44). Il s’agit là encore d’une ligne coupée net, la ligne de vie de ces esclaves noirs. Puis vient l’ultime avatar des figures de la ligne, celle des colonnes de chiffres que le comptable aligne sans égard aucun à la réalité qui l’entoure :

‘He was amazing, and had a penholder behind his ear.
‘I shook hands with this miracle, and I learned he was the Company’s chief accountant, and that all the book-keeping was done at this station. [...] but in the great demoralization of the land he kept up his appearance. That’s backbone. (HD, pp. 45-46, c’est moi qui souligne)’

Les colonnes de chiffres, la colonne vertébrale (« backbone »), tout semble en ordre, dans les rangs, et c’est « rassurant » comme le dit George Perrec avec tout ce qu’il faut d’ironie :

‘Les comptables alignent des colonnes de chiffres. Les apprentis patissiers fourrent de crème au beurre des rangées de petits choux. Les pianistes font leurs gammes. Assis à leur table, médidatifs et concentrés, les écrivains alignent des mots.
Image d’Epinal. Espace rassurant321.’

Or Conrad ne veut justement pas d’une écriture rassurante qui donnerait bonne conscience aux hérauts du progrès et de l’impérialisme. Et une série d’associations de mots et d’idéees vient miner cette « image d’Epinal ». Comme l’a très bien montré Reynold Humphries322, la référence à la colonne vertébrale (« backbone ») au sens figuré est d’autant plus significative qu’elle a des ramifications des plus macabres en ce qu’elle évoque à la fois l’os et l’ivoire et la continuité, la linéarité, l’alignement. En effet il est question quelques lignes plus haut d’un homme mourant dont la tête tombe sur la poitrine : ‘« [...] after a time [he] let his woolly head fall on his breastbone’ » (HD, p. 45, c’est moi qui souligne). Par ailleurs, un autre esclave est décrit comme portant autour du cou un « fil blanc » (« white thread », HD, p. 45) et un peu plus loin il est question de file d’esclaves (« strings of dusty niggers », HD, p. 46). La colonne de chiffres, la colonne vertébrale, tissent des liens avec le champ sémantique de l’os (mort) et de l’ivoire (appât du gain) ainsi que du fil (« thread »), de la file (« string »). Et le dernier coup porté à l’image linéaire du progrès apporté par l’impérialisme est la juxtaposition macabre du flux de marchandises et du flux humain (HD, p. 46). Il est intéressant de noter que cette image du flux ou « fleuve » est justement ce qui caractérise le chronotope du temps historique d’après Bakhtine. Il voit effectivement chez Goethe, l’un des écrivains les plus accomplis du temps historique, ‘« un théâtre de l’événement historique dans son activité, une frontière fermement tracée du lit où coule, dans l’espace, le fleuve du temps historique’ »323.

‘C’est à l’intérieur d’un système vivant, visible, sensible, constitué par les eaux, les montagnes, les vallées, les frontières et les voies de communication que s’inscrit l’homme-bâtisseur dans son activité historique–il assèche les marécages, il construit des voies qui traversent les monts et les fleuves, il exploite les entrailles de la montagne et travaille la vallée irriguée, etc324. ’

A cette image constructive du flux/fleuve du temps historique se substitue dans Heart of Darkness une dénonciation on ne peut plus claire ni plus poignante de l’impérialisme et du capitalisme sous-jacent, qui assimilent tous deux les hommes à un flux de marchandises par l’utilisation de la même métaphore de la ligne-corde (« strings ») ou de la ligne-flux (« stream of manufactured goods », « precious trickle of ivory ») : ‘« ’ ‘Strings’ ‘ of dusty niggers with splay feet arrived and departed ; a ’ ‘stream’ ‘ of manufactured goods, rubbishy cottons, beads, and brass wire sent into the depths of darkness, and in return came a precious ’ ‘trickle’ ‘ of ivory.’ » (HD, p. 46). Le système impérialiste n’a qu’une idée en tête : éviter tout ce qui pourrait troubler le flux des biens et des richesses, la ligne des mots, les colonnes de chiffres325. Reynold Humphries va jusqu’à voir dans cette récurrence de l’image linéaire une preuve de la manipulation avisée qu’opère l’impérialisme sur la figure de la ligne par excellence, celle de la chaîne verbale (« verbal chain »), c’est-à-dire celle du discours et de l’idéologie, qui néanmoins risque de se voir « trouée », contredite par l’irruption de signifiants refoulés :

‘On the axe of substitution, “thread” could be replaced by “string,” and the text obliges with a metaphorical use of this word : “Strings of dusty niggers”. As we already know that the blacks are moved from one place to the another in single file, the figure of speech is also metonymic, the natives being tied together–by a rope or a chain, either standing in for “thread”–in a line that cannot but evoke the verbal chain itself, where meaning in its narrative form comes into being on the axe of combination too, bound into a certain order to create a meaning that the metonymy of desire can both reinforce (the reader moves along the signifying chain to fix meaning retroactively) and compromise. The repressed signified can suddenly insist if the reader remembers, when reading “strings”, the substitute signifier “thread” and its signified, linked by however “hasardous” an association of ideas to what cannot be openly admitted326.’

Une fois le lecteur attentif à l’insistance de l’image de la ligne, il la repère dès qu’il est question de capitalisme et de son avatar, l’impérialisme, qui sont effectivement présentés comme tentaculaires. L’image du chemin (« path ») devient celui alors de l’oppression :

‘Paths, paths, everywhere; a stamped-in network of paths spreading over the empty land, through long grass, through burnt grass, through thickets, down and up chilly ravines, up and down stony hills ablaze with heat; and a solitude, a solitude, nobody, not a hut. (HD, pp. 47-48)’

Cette oppression est telle qu’elle semble chasser la vie : « personne, pas une case » (« nobody, not a hut »). De même, dans Nostromo, les rails et les télégraphes sont des signes de l’impérialisme triomphant :

‘[...] the sparse row of telegraph poles strode obliquely clear of the town, bearing a single, almost invisible wire far into the great campo–like a slender, vibrating feeler of that progress waiting outside for a moment of peace to enter and twine itself about the weary heart of the land. (N, p. 162)’

A l’image traditionnelle du chemin de vie vient donc se substituer une vision cauchemardesque des rêts du capitalisme, de ses tentacules dévoratrices, des lignes qu’il trace pour mieux faire passer les flux de marchandises, d’argent. Le passage se clôt comme il avait commencé, sur l’évocation de l’appât du profit : à l’interrogation “It is funny what some people do for a few francs a month. I wonder what becomes of that kind when it goes up country ?” correspond ‘« I couldn’t help asking him once what he meant by coming there at all. “To make money, of course. What do you think ?”’ » (HD, p. 48). L’argent, l’exploitation, la mort apparaissent ici comme la face cachée de l’impérialisme, comme l’envers de la ligne téléologique du progrès. Il ne reste plus à Marlow comme seule alternative, qu’à se faire le complice de ces « agissements nobles et justes »327, ou bien à « prendre la tangente », quitter le droit chemin tout tracé de l’impérialisme et témoigner de ce qu’il trouve sur les bords, non pas un chemin ou un beau tracé linéaire mais un « cercle infernal » : ‘« At last I got under the trees. ’ ‘My purpose was to stroll into the shade for a moment ; but no sooner within than it seemed to me I had stepped into the gloomy circle of some Inferno’ » (HD, p. 44). L’image du cercle vient remplacer celle du chemin du progrès et de la civilisation. De surcroît, il ne s’agit pas de n’importe quel cercle mais d’un des cercles des enfers décrit par Dante comme le laisse supposer la majuscule.

Dans Lord Jim, un autre chronotope du chemin est dénoncé, celui du libre arbitre et de la validité du récit que l’on fait a postériori d’une série d’actions. Jim affirme ne pas s’être projeté dans le futur ni avoir réfléchi lorsqu’il a sauté du Patna. Il insiste donc sur la possibilité de moments d’absence dans sa ligne de conduite. Et Marlow remarque que Jim semble souligner que la vie n’est qu’un réseau de chemins en surface alors qu’en réalité elle est tout autant faite de précipices : ‘« He had advanced his argument as though life had been a network of paths separated by chasms. ’ ‘His voice sounded reasonable ’» (LJ, p. 138). Mais si le chronotope du chemin de vie, de la ligne de conduite maîtrisée du début à la fin, n’est qu’une fiction confortable, il n’en reste pas moins qu’elle est nécessaire à la procédure judiciaire. Même si l’intention de Jim lorsqu’il a sauté n’était pas de sauver sa vie, et quand bien même, quelques instants plus tard, il se serait trouvé dans la même situation sans avoir déserté le Patna et aurait alors consciemment désiré sauver sa vie, il n’en reste pas moins qu’il a failli à son devoir en fuyant son navire. Jim souligne ici un paradoxe analysé par Bergson qui est celui de représenter le temps par de l’espace, l’activité psychique par un « chemin », une « figure » :

‘[...] on aperçoit la succession sous forme de simultanéité, on projette le temps dans l’espace, et on raisonne, consciemment ou inconsciemment, sur cette figure géométrique. Mais cette figure représente une chose et non pas un progrès ; elle correspond, dans son inertie, au souvenir en quelque sorte figé de la délibération toute entière et de la décision finale que l’on a prise : comment nous fournirait-elle la moindre indication sur le mouvement concret, sur le progrès dynamique, par lequel la délibération aboutit à l’acte ? Et pourtant, une fois la figure construite, on remonte par imagination dans le passé, et l’on veut que notre activité psychique ait suivi précisément le chemin tracé par la figure 328.’

Une fois le chemin tracé, une fois la figure du saut effectuée, les juges cherchent à découvrir le cheminement de pensée qui a abouti à l’acte de sauter et l’assimilent à celui de la lâcheté mais Jim affirme quant à lui ne pas avoir sauté par lâcheté mais sans raison, de manière automatique. Il remarque que le Patna aurait sombré dans la minute qui suivait et qu’alors il aurait agrippé une « rame », une « bouée de sauvetage » ou un « caillebottis329 » pour « être sauvé » alors que ce désir d’être sauvé ne lui avait même pas traversé l’esprit lorsqu’il avait sauté :

‘‘“Suppose I had not–I mean to say, suppose I had stuck to the ship ? Well. How much longer ? Say a minute–half a minute. Come. In thirty seconds, as it seemed certain then, I would have been overboard; and do you think I would not have laid hold of the first thing that came in my way–oar, life-buoy, grating–anything? Wouldn’t you?”
‘“And be saved,” I interjected.
‘“I would have meant to be,” he retorted. “And that’s more than I meant when I ”... he shivered as if about to swallow some nauseous drug...“jumped,” he pronouced with a convulsive effort [...] (LJ, p. 138)’

Ce raisonnement de fin casuiste souligne la contradiction d’un système judiciaire qui condamne l’homme qui a eu un moment d’absence, en l’occurrence Jim, mais qui considérerait son acte comme légitime dans un cas d’extrême nécéssité quelques minutes plus tard, alors que d’un point de vue purement éthique et non plus juridique, sa réaction serait effectivement purement égoïste et réfléchie. Par ailleurs, Lord Jim remet en cause une autre implication du chronotope du chemin de vie, celui de la « transformation morale d’un personnage ». Paul Ricoeur y voit la prolongation de l’idée d’intrigue au XXe siècle mais on touche là les limites de la notion même d’intrigue :

‘Une nouvelle source de complexité est apparue, au XXe siècle principalement, avec le roman du flux de conscience [...] La notion d’intrigue paraît ici définitivement mise à mal. Peut-on encore parler d’intrigue, quand l’exploration des abîmes de la conscience paraît révéler l’impuissance du langage lui-même à se rassembler et à prendre forme ? [...] Par action, on doit pouvoir entendre plus que la conduite des protagonistes produisant des changements visibles de la situation, des retournements de fortune, ce qu’on pourrait appeler le destin externe des personnes. Est encore action, en un sens élargi, la transformation morale d’un personnage, sa croissance et son éducation, son initiation à la complexité de la vie morale et affective330.’

Jim paraît étonnamment statique malgré sa nouvelle vie à Patusan : sa « transformation morale », « sa croissance et son éducation, son initiation à la complexité de la vie morale et affective » semblent problématiques. L’apparition de son double, Brown, ne suffit-elle pas à signer sa fin ? De même, à la mort de Kurtz et du Consul, il ne semble pas qu’il y ait eu de « transformation morale ». Kurtz, Jim, le Consul, Voss meurent à la fin du roman mais il n’est pas question de leur naissance ni de leur développement mis à part sur le mode du renversement brusque, de la crise. En fait, Heart of Darkness, Lord Jim, Under the Volcano et Voss sont plutôt des « romans de crise »331 que des romans biographiques et le chemin de vie est avant tout une ligne de vie fracturée par une brèche fondamentale : le saut dans l’avidité et la folie pour Kurtz, le saut hors du Patna pour Jim, l’épisode du Samaritain et la séparation d’avec Yvonne pour le Consul, la décision de former une expédition dans le « bush » et le renoncement final à une certaine hybris pour Voss. Bakhtine remarque à propos des romans de crise :

‘Il est clair, d’après ce qui vient d’être dit, qu’un roman de ce type ne se déploie pas dans le temps biographique au sens strict. Il ne représente que les moments exceptionnels, tout à fait insolites d’une vie humaine, très brefs comparés à la longue durée de l’existence entière. Or ces moments déterminent tant l’image définitive de l’homme lui-même, que le caractère de toute sa vie subséquente 332.’

Dans Heart of Darkness, Marlow part pour un pays colonisé d’Afrique et rencontre Kurtz : comme le nom de ce dernier l’indique, la diégèse est relativement limitée dans le temps et dans l’espace. La composition de Lord Jim repose tout entière sur l’incident du Patna : les sept premiers chapitres consacrés au procès en découlent directement de même que la seconde partie du roman qui n’est qu’une tentative de renverser l’image peu glorieuse donnée par Jim, comme en témoigne le nom de Patusan qui n’est que le palindrome de Patna avec le « us » en plus, le « nous » dont il a été si souvent question celui de la communauté des « gentlemen », des hommes d’honneur. Under the Volcano est centré sur une journée dont tout le reste dépend, le premier chapitre rétrospectif y compris, et cette journée semble le résultat de deux fractures, deux moments de crise plus anciens : l’épisode du Samaritan et le départ d’Yvonne. Quant à Voss, il est centré sur le chronotope de l’expédition dans le « bush ». De ce point de vue, on peut dire rétrospectivement que ‘« [ces romans sont des Morts] ’» au sens où ‘« [ils font] de la vie un destin, du souvenir un acte utile, et de la durée un temps dirigé et significatif’ »333. Mais affirmer que ces romans sont des morts est tout aussi trompeur que de représenter le temps par de l’espace d’après Bergson. Représenter le temps par de l’espace n’est possible qu’à la seule condition qu’il s’agisse du passé : « ‘« Le temps peut-il se représenter par de l’espace ? » [...] oui, s’il s’agit du temps écoulé ; non, si vous parlez du temps qui s’écoule’ »334. L’approche du lecteur n’est donc pas seulement une approche a postériori qui se focaliserait sur le déroulement de lignes de vie apparemment toutes tracées mais aussi et surtout une approche qui est celle du temps de la lecture où le déploiement de lignes vies conserve son caractère problématique et incertain. Le refus d’une ligne prévisible et prédéterminée touche une autre variation de la ligne logico-temporelle, celle de la ligne historique et du mythe du progrès.

Notes
304.

Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 269.

305.

Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 136.

306.

Ibid., p. 137.

307.

Ibid., p. 137.

308.

Ackerley la traduit en ces termes : « In the middle of the road of our life/ I found myself in a dark wood,/ for the right way was lost » (Chris Ackerley et Lawrence Clipper, A Companion to Under the Volcano, op. cit., p. 6).

309.

Lowry commente cette fin de chapitre comme les derniers accords du thème du chemin : « The chapter closes with a dying fall, like the end of some guitar piece of Ed Lang’s, or conceivably Hugh’s (and in this respect the brackets earlier might represent the ‘breaks’) – oddly but rightly, I felt, the path theme of Dante, however, reappearing and fading with the vanishing road » (Malcolm Lowry, « Letter to Jonathan Cape », op. cit., p. 30).

310.

Ces quelques mots de Claudel sont tirés d’un chapitre intitulé « Le chemin dans l’art » dans L’OEil écoute. Après avoir parlé des chemins représentés dans les tableaux, il parle d’une autre figure du chemin, la « perspective » : « [...] je n’ai parlé jusqu’ici que de ce chemin apte au pied, mais il y a aussi [...] une flèche inductrice de l’oeil et elle est appelée perspective [...] « O divine perspective ! s’écriait Paolo Ucello, celle qui se prolonge dans le temps, comme dans l’espace et qui rejoint l’immédiat à l’éventuel, le présent au futur et la réalité au rêve par l’aiguisement du désir » (Paul Claudel, L’OEil écoute, Paris : Gallimard, Folio/Essais, 1946, « Le chemin dans l’art », p. 140).

311.

« Par moi on va dans la cité dolente,

par moi on va dans l’éternelle douleur,

par moi on va parmi la gent perdue ».

Dante, L’Enfer, Chant III, vers 1-3, traduction de Jacqueline Risset, Paris : Flammarion, 1992, 380p.

312.

Malcolm Lowry, The Forest Path to the Spring dans Hear Us O Lord from Heaven thy Dwelling Place, Londres : Jonathan Cape, 1961, p. 269.

313.

« [...I] conceived the idea of a trilogy entitled The Voyage That Never Ends for your firm (nothing else than a trilogy would do) with the Volcano as the first, infernal part, a much amplified Lunar Caustic as the second, purgatorial part, and an enormous novel I was also working on called In Ballast to the White Sea (which I lost when my house burned down as I believe I wrote you) as the paradisal third part, the whole to concern the battering the human spirit takes (doubtless because it is overreaching itself) in its ascent towards its true purpose. » (Lowry, « Letter to Jonathan Cape », op. cit., pp. 13-14).

314.

Augustin parle d’âme plutôt que de conscience.

315.

La citation d’Augustin donnée plus haut mérite un rappel : « Le présent du passé, c’est la mémoire, le présent du présent, c’est la vision (contuitus) [on aura plus loin attentio, terme qui marque mieux le contraste avec la distentio], le présent du futur, c’est l’attente. » (cf supra, note 276).

316.

Clément Rosset, Le réel, traité de l’idotie, Paris : Minuit, 1977, p. 12.

317.

Ibid., p. 13.

318.

John Colmer, Patrick White, Londres : Methuen, 1984, pp. 34-35.

319.

Tadié, op. cit., p. 153.

320.

Marinetti note en 1913 que l’arrivée de nouveaux moyens de communication va révolutionner la sensibilité humaine : « [...] the complete renewal of human sensibility brought about by the great discoveries of science. Those people who today make use of the telegraph, the telephone, the phonograph, the train, the bicycle, the motorcycle, the automobile, the ocean liner, the dirigible, the aeroplane, the cinema, the great newspaper (synthesis of a day in the world’s life) do not realize that the various means of communication, transportation and information have a decisive influence on the psyche » dans l’article de Marinetti, ‘Destruction of Syntax-Imagination without Strings-Words-in-Freedom’ (1913) (Umbro Apollonio [éd.], Futurist Manifestos, Londres : Thames and Hudson, 1973, p. 96). La plupart des exemples qu’il cite évoquent une forme de linéarité, celles des fils du téléphone et du télégraphe, des lignes de chemin de fer, des routes avec le développement de l’automobile, des lignes maritimes et même de la bande cinématographique. L’importance du chemin de fer dans l’esprit des Victoriens a été nettement soulignée par Thackeray, qui, en 1860, y voyait déjà un symbole d’une nouvelle « ère » : « Then was the old world [...] but your railroad starts the new era, and we of a certain age belong to the new time and the old one. We are of the time of chivalry as well as the Black Prince of Sir Walter Manny. We are of the age of steam » dans « De Juventute » (1860), publié dans les Roundabout Papers, Works, 12, p. 232. Quelque 40 ans plus tard, lors de la publication de Heart of Darkness et alors que la fin de l’ère victorienne s’annonce, cette allusion au chemin de fer démantelé peut faire figure de démenti vis-à-vis des espoirs fous de progrès, de véritable révolution que le chemin de fer avait véhiculés dans toute la deuxième partie du XIXe siècle.

321.

Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris : Galilée, 1974, p. 23.

322.

Reynold Humphries analyse notamment les nombreuses ramifications du mot « bone » qui associent rapacité des colonisateurs, mort des esclaves et plus-value rapportée par l’ivoire en un réseau des plus effrayants. Il décrypte le texte de Heart of Darkness à la manière d’un rêve dont les glissements sémantiques trahiraient un discours impérialiste refoulé sous le mode du déplacement. (Reynold Humphries « Taking the Figural Literally : Language and Heart of Darkness », Études Anglaises, janvier-mars 1993, pp. 19-31).

323.

Mikhaïl Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Paris : Gallimard, 1984, (©Éditions « Iskoustvo », Moscou, 1979), p. 245.

324.

Ibid., p. 245.

325.

Cette prégnance des termes linéaires dès qu’il s’agit de terminologie économique a été notée par Hillis Miller : « Many, if not all, economic terms involve linear imagery: circulation, binding promise or contract, recoup, coupon, margin, cutback, line your pockets, on the line (which means ready for immediate expenditure), currency, current, and pass current » (John Hillis Miller, Ariadne’s Thread, Storylines, op. cit., p. 20).

326.

Humphries, op. cit., p. 29.

327.

Marlow est un complice passif de cette mécanique impérialiste : « After all, I also was a part of the great cause of these high and just proceedings » (HD, p. 43).

328.

Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 136, c’est moi qui souligne.

329.

Traduction de Henriette Bordenave dans la Pléiade, p. 944.

330.

Ricoeur, Temps et récit, Tome II, op. cit., pp. 22-23.

331.

Ce terme est emprunté à Bakhtine qui définit le roman de crise comme un roman dans lequel « on ne développe qu’un ou deux aspects décisifs d’une vie humaine, qui en définissent tout le caractère » (Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 265).

332.

Ibid., pp. 265-266.

333.

« Le Roman est une Mort ; il fait de la vie un destin, du souvenir un acte utile, et de la durée un temps dirigé et significatif. » (Barthes, Le degré zéro de l’écriture, op. cit., p. 32).

334.

Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 145.