b.011Ligne herméneutique

La question herméneutique est intimement liée à la thématique de la quête du savoir qui est essentielle dans Heart of Darkness, Under the Volcano et Voss. Dans le roman de Lowry, le Consul est comparé à de nombreuses figures, telles Prométhée ou Faust, taraudées par le désir de savoir. Par ailleurs, les allusions ésotériques, cabalistiques ou alchimiques sont très présentes, voire envahissantes. Dans Heart of Darkness, la ligne herméneutique et gnoséologique est tout aussi opératoire même si son statut est plus problématique puisqu’on peut même se demander s’il ne s’agit pas après tout d’une « connaissance du vide »375 comme l’a si bien dit Todorov. Pour ce qui est de Voss, White suggère plus une lecture qui relève du questionnement herméneutique que d’une quelconque lecture mystique ou exégétique. Si le roman entre en résonance manifeste avec d’autres textes religieux de la tradition chrétienne ou judaïque, il fait tout autant écho aux religions et croyances hindouistes et aborigènes par exemple. Voss est donc un roman religieux au sens où il interroge les rapports de l’homme avec une forme de transcendance et non au sens où il serait à interpréter comme texte sacré détenteur d’une quelconque vérité supérieure. White affirme d’ailleurs à ce propos, interroger le rapport de l’homme et de son Créateur, de l’homme plongé dans le doute et l’erreur (« blundering ») à un « pouvoir divin » :

‘Religion. Yes, that’s behind all my books. What I am interested in is the relationship between the blundering human being and God... I think there is a Divine Power, a Creator who has an influence on human beings if they are willing to be open to him376. ’

En fait, le terme de ligne herméneutique est un peu trompeur au sens où il semble laisser supposer que la quête herméneutique n’est que linéaire et horizontale. Pourtant, elle est aussi et surtout verticalité, creusement, plongée au coeur de la réalité. Comme le rappelle Todorov dans la Poétique de la prose, le roman consiste en un déroulement horizontal d’une suite d’événements mais aussi en une expansion verticale d’une quête de connaissance de ces mêmes événements :

‘[il existe] deux types de récit. L’un se déroule sur une ligne horizontale : on veut savoir ce que chaque événement provoque, ce qu’il fait. L’autre représente une série de variations qui s’empilent sur une verticale ; ce qu’on cherche sur chaque événement, c’est ce qu’il est. Le premier est un récit de contiguïté, le second, de substitutions377. ’

Todorov parle aussi de « ‘deux techniques principales de combinaison d’intrigues, l’enchaînement et l’enchâssement’ »378. Il rejoint ici la distinction élaborée par Jakobson entre écriture métaphorique et métonymique mais nous reviendrons plus en détail sur cette problématique dans notre deuxième partie.

Ces deux mouvements concomitants et contradictoires sont particulièrement frappants chez le Consul pour la verticalité et la stase et chez Hugh pour la linéarité et l’action. La quête herméneutique du Consul est à de multiples reprises comparée à une plongée. Son exclamation « ‘Let me sink lower still that I may know the truth’ »379 le confirme comme homme fasciné par le « dessous des cartes », le « dessous » du volcan : il veut absolument comprendre, c’est-à-dire se tenir dessous (« understand »=« stand-under », « Under the Volcano »). En ce sens, on peut dire que deux formes spatio-temporelles, deux chronotopes, caractérisent Under the Volcano : celui d’une stase temporelle et spatiale apparente qui masque en fait un mouvement de plongée vers la mort et la quête de la connaissance et celui d’une progression horizontale vers l’amour et la vie. Le chapitre IV est une bonne illustration de cette chevauchée qu’est le chemin de vie lorsqu’il se soutient d’une pulsion de vie. Hugh et Yvonne y parcourent les environs de Quaunahuac à cheval et notamment un petit bois qui rappelle le topos amoureux de la « selva d’amore » ou encore « locus amoenus »380. Ce déplacement horizontal est bien du côté de l’action et de la vie mais il est dévalorisé à la fin du chapitre lorsqu’il est qualifié d’» affirmation hypocrite de son âme » :

‘There was something in the wild strength of this landscape, once a battlefield, [...] some youthful password of courage and pride–the passionate, yet so nearly always hypocritical, affirmation of one’s soul perhaps, he thought, of the desire to be, to do, good, what was right. It was as though he were gazing now beyond this expanse of plains and beyond the volcanoes out to the wide rolling blue ocean itself, feeling it in his heart still, the bondless impatience, the immeasurable longing. (UV, p. 124).’

Hugh est bien l’homme de l’action et de la fuite en avant, toujours plus loin (« beyond »). La référence à la mer (« wide rolling blue ocean ») n’est d’ailleurs pas innocente puisqu’elle rappelle qu’il s’était lancé dans une traversée sur un coup de tête comme pour se prouver sa valeur, sa noblesse d’âme (« ‘the passionate, yet so nearly always hypocritical, affirmation of one’s soul perhaps’ ») de la même façon que le héros de Ultramarine. A l’inverse, le Consul est l’homme de la plongée et de la réflexion. Dans Under the Volcano, c’est l’interrogation verticale qui prédomine même si le Consul a eu lui aussi ses moments de grâce où la vie semblait filer et gravir des sommets successifs dans une folle métonymie du désir. Le passage suivant en est un exemple privilégié puisqu’il s’agit d’un souvenir suscité par le regard rempli de désir que s’échangent le Consul et Yvonne :

‘And then, for the second time that day, their eyes, in a long look, a long look of longing. Behind her eyes, beyond her, the Consul, an instant, saw Granada, and the train waltzing from Algeciras over the plains of Andalusia, chufferty pupperty, chufferty pupperty, the low dusty road from the station past the old bull ring and the Hollywood bar and into the town, past the British Consulate and the convent of Los Angeles up past the Washington Irving Hotel (You can’t escape me. I can see you, England must return again to New England for her values!), the old number seven train running there: evening, and the stately horse cabs clamber up through the gardens slowly, plod through the arches, mounting past where the eternal beggar is playing on a guitar with three strings, through the gardens, gardens, gardens everywhere, up, up, to the marvellous traceries of the Alhambra (which bored him) past the well where they had met, to the América Pensión; and up, up, now they were climbing themselves, up to the Generalife Gardens, and now from the Generalife Gardens to the Moorish tomb on the extreme summit of the hill; here they plighted their troth... (UV, p. 292, c’est moi qui souligne en gras)’

Tout le passage est guidé par le désir (« longing ») dont il est question dans la première phrase : « ‘And then, for the second time that day, their eyes, in a long look, a long look of longing.’ » La prolifération de prépositions et de verbes de mouvement semble transcrire le flux métonymique du désir qui passe de lieu en lieu dans un vertige toujours plus grand. Les prépositions expriment un mouvement linéaire (« beyond », « past », « into », « through ») ainsi qu’un mouvement vertical ascensionnel (« up past », « up through », « up, up, to », « up, up », « up to »). Et pourtant le paragraphe suivant décrit une plongée comme si on passait d’une pulsion de vie à la pulsion de mort :

‘The Consul dropped his eyes at last. How many bottles since then? In how many glasses, how many bottles had he hidden himself, since then alone? Suddenly he saw them, the bottles of aguardiente, of anis, of jerez, of Highland Queen, the glasses, a babel of glasses towering, like the smoke from the train that daybuilt to the sky, then falling, the glasses toppling and crashing, falling downhill from the Generalife Gardens, the bottles breaking, bottles of Oporto, tinto, blanco, bottles of Pernod, Oxygènée, absinthe, bottles smashing, bottles cast aside, falling with a thud on the ground in parks, under benches, beds, cinema seats, hidden in drawers at Consulates, bottles of Calvados dropped and broken, or bursting into smithereens, tossed into garbage heaps, flung into the sea, the Mediterranean, the Caspian, the Caribbean, bottles floating in the ocean, dead Scotchmen on the Atlantic highlandsand now he saw them, smelt them, all, from the very beginningbottles, bottles, bottles, and glasses, glasses, glasses, of bitter, of Dubonnet, of Falstaff, Rye, Johnny Walker, Vieux Whiskey blanc Canadien, the apéritifs, the digestifs, the demis, the dobles, the noch ein Herr Obers, the et glas Araks, the tusen taks, the bottles, the bottles, the beautiful bottles of tequila, and the gourds, gourds, gourds, the millions of gourds of beautiful mescal... (UV, pp. 292-293)’

La caractère incantatoire du passage avec les répétitions de mots obsessionnelles souligne la chute, voire l’effondrement de la tour de verres, de bouteilles et de gourdes. Alors que le paragraphe précédent illustrait une pulsion de vie caractérisée par un mouvement ascensionnel, ici la précipitation des bouteilles dont témoigne le foisonnement de verbes et de prépositions décrivant un mouvement de plongée vers le sol et un éclatement des bouteilles, semble illustrer une pulsion de mort. Le Consul est l’homme faustien en quête de la gnose et du savoir absolu et en cela, il est l’homme de la verticalité, voire de la chute. Les nombreuses références à Dante évoquent le monde de la Divine Comédie, dont l’» étirement vertical »381 est frappant.

De même, dans Heart of Darkness, on a deux mouvements concomitants, l’un de progression spatiale et horizontale vers le camp de Kurtz et l’autre, vertical, de questionnement et d’interprétation. Si l’on reprend la définition que donne Barthes du code herméneutique, on retrouve les éléments caractéristiques du roman de Conrad, énigme et étalement dans le temps et dans l’espace de son déchiffrement :

‘Décidons d’appeller code herméneutique [...] l’ensemble des unités qui ont pour fonction d’articuler, de diverses manières, une question, sa réponse, et les accidents variés qui peuvent ou préparer la question ou retarder la réponse ; ou encore : de formuler une énigme et d’amener son déchiffrement382.’

Heart of Darkness est effectivement centré sur la progression du vapeur (progression horizontale) comparée à l’exploration d’une énigme (exploration verticale) : « ‘Watching a coast as it slips by the ship is like thinking about an enigma. There it is before you—smiling, frowning, inviting, grand, mean, insipid, or savage, and always mute with an air of whispering, Come and find out.’ » (HD, p. 39). D’ailleurs, la progression du vapeur est explicitement décrite en termes de quête herméneutique si on entend par là une quête des « signes » :

‘And this stillness of life did not in the least resemble a peace. It was the stillness of an implacable force brooding over an inscrutable intention. It looked at you with a vengeful aspect. I got used to it afterwards; I did not see it any more; I had no time. I had to keep guessing at the channel; I had to discern, mostly by inspiration, the signs of hidden banks [...] I had to keep a look-out for the signs of dead wood we could cut up in the night for next day’s steaming. (HD, pp. 66-67, c’est moi qui souligne)’

L’énigme est bien présente avec l’image d’une intention mystérieuse et impénétrable (« inscrutable intention ») et le travail de Marlow qui consiste à rester vigilant vis-à-vis des « signes » qui apparaissent au fur et à mesure de la progression du vapeur. Néanmoins, la quête herméneutique n’est pas menée à son terme puisque seul le repérage des signes est entrepris. Au niveau non plus horizontal mais vertical de l’interprétation et du sens à donner à ces signes, la démarche marlovienne s’arrête. La définition que donne Foucault de l’herméneutique n’est qu’en partie satisfaite : il ne s’agit pas encore de « faire parler les signes » ni de « découvrir leur sens »383. De plus, si l’on s’accorde à dire qu’au coeur de l’énigme se trouve le personnage de Kurtz, la quête herméneutique apparaît dévalorisée de par la lenteur du vapeur pour arriver jusqu’à ce dernier : la lente progression du bateau jusqu’au camp de Kurtz occupe les trois quarts du roman. En effet, de nombreux « accidents variés » ‘« retardent la réponse »’ 384 dans Heart of Darkness : Marlow doit attendre l’arrivée des rivets ; le vapeur s’arrête ensuite à quelques kilomètres du campement de Kurtz à cause de la nuit qui tombe puis du brouillard. Et l’attaque des indigènes retarde encore la rencontre et « la réponse » escomptées. L’» espace dilatoire »385 entre la présentation de l’énigme et son semblant de résolution occupe donc l’essentiel du roman. La progression du vapeur est en outre comparée au mouvement lent et laborieux d’un scarabée :

‘[...] the little begrimed steamboat [crept] like a sluggish beetle crawling on the floor of a lofty portico [...] Where the pilgrims imagined it crawled to I don’t know. To some place where they expected to get something, I bet ! For me it crawled towards Kurtz-exclusively. (HD, p. 68) ’

A la version noble de la quête herméneutique sous l’espèce du pélerinage (« pilgrims ») se substitue ici une reptation absurde et kafkaïenne digne de La Métamorphose. Néanmoins « l’irréversibilité »386 impliquée par ce que Barthes appelle « la vérité » se retrouve au niveau du contrat implicite passé entre Marlow et ses auditeurs et par extension avec les lecteurs de Heart of Darkness sous la forme des cataphores. Si la ligne logico-temporelle est loin d’être toujours respectée, elle semble toujours cependant s’orienter vers un point de révélation finale postulé par Marlow.

Le roman tout entier est construit sur le modèle cataphorique et non pas anaphorique même s’il s’agit d’un récit rétroactif. En effet, Marlow prend le parti de raconter son voyage au Congo comme s’il le revivait au jour le jour tout en suggérant qu’il en connaît déjà les tenants et les aboutissants. Heart of Darkness est construit sur l’attente d’un dévoilement final de l’énigme que l’on croit détenu par Marlow, empruntant donc au roman policier une structure bien connue. Là où le roman de Conrad pervertit cependant le modèle de l’énigme policière, c’est dans ses permanentes dénégations. Si la structure de dévoilement est bien présente, la nature de la révélation finale reste cependant extrêmement hypothétique :

‘I don’t want to bother you much with what happened to me personally, [...] yet to understand the effect of it on me you ought to know how I got there, what I saw, how I went up that river to the place where I first met the poor chap. It was the farthest point of navigation and the culminating point of my experience. It seemed somehow to throw a kind of light on everything about me—and into my thoughts. It was sombre enough, too — and pitiful — not extraordinary in any way — not very clear either. No, not very clear. And yet it seemed to throw a kind of light. (HD, p. 32)’

Le passage est construit sur une succession de cataphores concernant le lieu (« there », « that river », « the place where », « the farthest point of navigation »), les personnages (« the poor chap »), l’expérience hors du commun (« the culminating point of my experience »). La triple référence au temps de la narration, au temps de l’expédition et à une forme de point atemporel de la révélation révèle à la fois la stratégie narrative d’un conteur qui tient à ménager son suspense mais aussi et plus profondément, une quête herméneutique du récit lui-même, qui s’inscrit en porte-à-faux par rapport au récit linéaire traditionnel. Ce choix narratif ouvre donc trois espaces concomitants que le lecteur doit apprendre à rapprocher. Si l’on peut parler de ligne herméneutique, c’est donc uniquement à propos de l’élaboration secondaire que fait le lecteur à partir des éléments qui lui sont donnés en vue d’une élucidation finale mais au niveau de la narration elle-même les cataphores impliquent une juxtaposition de temps et d’espaces différents. Heart of Darkness, Under the Volcano et Voss sont des romans avant tout cataphoriques ou anaphoriques mais rarement ancrés dans le présent de l’action et de l’enchaînement. Todorov remarque à propos de Heart of Darkness que Kurtz apparaît d’abord dans les discours que tiennent sur lui le comptable, le Directeur, le briquetier (mode expectatif) puis par le biais de la description du voyage qui nous rapproche de lui (la rencontre future est alors imaginée et désirée par Marlow, ses auditeurs et le lecteur) et le récit devient ensuite rétrospectif comme si ‘« Kurtz ne pouvait être présent que dans les temps de l’absence, le passé et le futur’ »387. C’est pourquoi, si l’on peut parler de « delayed decoding »388 orienté et linéaire au sens où la progression dans la lecture correspond à une progression dans la compréhension, où la ligne de la lecture fait avancer la ligne interprétative de manière irréversible, il n’en est pas de même en ce qui concerne la ligne diégétique qui, elle, se partage entre lieux et temps éclatés. Ceci est particulièrement frappant en ce qui concerne Lord Jim où les nombreuses interpolations de récits rétrospectifs et anaphoriques, qui sont autant de témoignages sur « l’énigme Jim », permettent une progression sur la ligne herméneutique.

Dans Voss, la ligne herméneutique est celle d’un dénuement progressif qui s’approche d’une forme d’ascèse mystique. Là encore, le narrateur fait miroiter pour le lecteur la possibilité d’une révélation finale qui donne à la lecture sa tension téléologique. L’attente d’un signe est une figure récurrente au fil des chapitres :

‘They were looking at Laura for some sign, as she moved in the garden, in a crush of cool flowers, or appeared suddenly in doorways, [...] All these acts were joyful, without revealing. (V, p. 158)’ ‘Thus having come together, the two parties of animals were stalking round and round, in stiff, shocked silence, awaiting some sign. (V, p. 165)’

Le roman est structuré sur une dialectique de voilement/dévoilement. Parallèlement, on a aussi la dualité terre/ciel, humain/divin qui correspond à un élan vers une forme de transcendance ou de « grâce » contrecarré par une pesanteur toute humaine389. Ce mouvement contradictoire s’exprime de manière poétique avec la métaphore des cerfs-volants :

‘Blank faces like so many paper kites, themselves earthbound [...] could prevent him soaring towards the apotheosis for which he was reserved. To what extent others had entangled him in the string of human limitation, he had grown desperate in wondering (V, p. 178). ’

La ligne herméneutique se développe le long d’une horizontale avec le déplacement de l’expédition mais cette avancée n’est pas essentielle comme le rappelle Laura :

‘‘I am uncomfortably aware of the very little I have seen and experienced of things in general, and of our country, in particular,’ Miss Trevelyan had just confessed, ‘but the little I have seen is less, I like to feel, than what I know. Knowledge was never a matter of geography. Quite the reverse, it overflows all maps that exist. Perhaps true knowledge only comes of death by torture in the country of the mind.’ (V, p. 446)’

Laura n’a pas cette expérience d’une progression horizontale dans le désert, d’une connaissance toute géographique de son pays mais elle postule une autre quête qui ne se déroule plus horizontalement sur les étendues désertiques de l’Australie mais verticalement dans les tréfonds du pays de l’âme et de l’esprit (« the country of the mind »). Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que le roman est construit sur le mode de « l’enchaînement »390 lorsqu’il s’agit des chapitres consacrés à l’expédition mais aussi sur le mode de « l’enchassement » dans les premiers chapitres et les derniers chapitres puisqu’alors le thème de l’expédition est annoncé puis analysé. Laura n’a d’ailleurs pas pris part à l’expédition contrairement à Voss ou au Colonel Hebden mais elle est présentée comme l’héritière du sens herméneutique et heuristique à donner à l’expédition. Elle désigne de surcroît les futurs « découvreurs », non pas de terres nouvelles mais d’» expériences » : ‘« ‘You will understand that. ’ ‘Some of you, at least, are the discoverers [...] Some of you [...] will express what we others have experienced by living’’ » (V, p. 446). Par ailleurs, l’itinéraire des explorateurs est présenté sur le mode vertical d’une plongée mystique au coeur du désert australien. Le cheminement de Voss est l’inverse de celui de Dante dans la Divine Comédie : au lieu de partir de l’Enfer pour se diriger vers le Paradis où se trouve Béatrice, Voss quitte un jardin paradisiaque, celui des Bonner dans lequel il a passé des moments précieux avec Laura, pour se plonger dans un désert infernal. Mais plus encore que ces distinctions entre mouvement horizontal ou mouvement vertical, se pose le problème de l’issue de la quête : non pas une résolution de l’énigme mais une nouvelle question.

Notes
375.

Tzvetan Todorov, « Connaissance du vide », op. cit.

376.

Craig McGregor (éd.) In the Making, Melbourne : Nelson, 1969, p. 218.

377.

Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, Paris : Seuil, 1971, p. 143.

378.

Ibid., p. 144.

379.

UV, p. 289.

380.

« They had emerged on the outermost edge of what looked like a spacious, somewhat neglected park, spreading down on their right, or what had once been a huge grove, planted with lofty majestic trees. » (UV, p. 111). Le bois (« grove ») correspond bien au « locus amoenus » de la tradition pastorale. Ce topos a été particulièrement bien décrit par Ernst Robert Curtius dans son livre European Literature and the Latin Middle Ages (©1948) dans lequel il le définit comme suit : « [The locus amoenus] is, as we saw, a beautiful, shaded natural site. Its minimum ingredients comprise a tree (or several trees), a meadow and spring or brook. » (Londres : Routledge et Kegan, trad. de l’allemand par Willard R. Trask, 1953, p. 195).

381.

« [Dante] effectue le tableau extraordinairement plastique d’un monde intensément vivant, se mouvant en montant et en descendant le long de sa verticale : les neuf cercles de l’Enfer sous la terre, au-dessus, les sept cercles du Purgatoire, encore plus haut, les dix Cieux. » (Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 303).

382.

Barthes, S/Z, op. cit., p. 21.

383.

« Appellons herméneutique l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens [...] » (Michel Foucault, cf supra, note 33).

384.

Cf supra, note 382.

385.

« [...] alors que les phrases pressent le « déroulement » de l’histoire et ne peuvent s’empêcher de conduire, de déplacer cette histoire, le code herméneutique exerce une action contraire : il doit disposer dans le flux du discours des retards (chicanes, arrêts, dévoiements) ; sa structure est essentiellement réactive, car il oppose à l’avancée inéluctable du langage un jeu échelonné d’arrêts : c’est, entre la question et la réponse, tout un espace dilatoire, dont l’emblème pourrait être la réticence, cette figure rhétorique qui interrompt la phrase, la suspend et la dévie (le Quos ego...virgilien). » (Barthes, S/Z, op. cit., p. 75).

386.

Cf supra, note 373.

387.

Tzvetan Todorov, « Connaissance du vide », op. cit., p. 150.

388.

Expression de Ian Watt, cf supra, note 90.

389.

Le couple de termes contradictoires « grâce » et « pesanteur » est un doublon que Simone Weil utilise dans son livre La pesanteur et la grâce. White a en effet souvent affirmé avoir été influencé par cette dernière.

390.

Ce sont les termes utilisés par Todorov pour distinguer entre une écriture « horizontale », centrée sur les événements et leur « enchaînement » et une écriture « verticale », centrée sur la signification à donner ces événements, sur l’interprétation. (cf supra, note 378). Dans nos propres termes on peut dire que deux logiques sont à l’oeuvre, celles d’une ligne logico-temporelle et celle d’une ligne herméneutique et ontologique.