IV. Ligne organique

a.011Le livre-racine ou l’arbre-monde

Deleuze définit le livre classique comme « livre-racine » et comme « belle intériorité organique » au sens où une racine, un centre va organiser l’ensemble du livre, en déterminer le développement organique : ‘« Un premier type de livre, c’est le livre-racine. L’arbre est déjà l’image du monde, ou bien la racine est l’image de l’arbre-monde. C’est le livre classique, comme belle intériorité organique, signifiante et subjective (les strates du livre).’ »419 Cette notion de « centre » à partir duquel le livre ou la pensée se développe lui paraît réductrice : ‘« L’arbre ou la racine inspirent une triste image de la pensée qui ne cesse d’imiter le multiple à partir d’une unité supérieure, de centre ou de segment.’ »420 A l’inverse, il définit le livre de la modernité comme un « système radicelle » dans lequel la racine principale a avorté et laissé place à une multiplicité de racines secondaires :

‘Le système-radicelle, ou racine fasciculée, est la seconde figure du livre, dont notre modernité se réclame volontiers. Cette fois, la racine principale a avorté, ou se détruit vers son extrémité ; vient se greffer sur elle une multiplicité immédiate et quelconque de racines secondaires qui prennent un grand développement. Cette fois, la réalité naturelle apparaît dans l’avortement de la racine principale, mais son unité n’en subsiste pas moins comme passée ou à venir, comme possible421.’

Ce qui oppose les deux types de livres, les deux systèmes, est donc avant tout la question du centre organisateur, unique dans un cas et multiple dans l’autre. C’est pourquoi la métaphore organique du « germe » est aussi éclairante sur les choix esthétiques des auteurs. Il s’agira ici de comparer la conception encore nettement organique du germe chez James, thème de prédilection de ses préfaces, et les conceptions de Conrad, Lowry et White.

Notes
419.

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 11.

420.

Ibid., p. 25.

421.

Ibid., p. 12.