b.011Lumière et clair-obscur

Depuis Platon, la lumière est associée au Bien et à la Vérité : elle est une des manifestations sensibles de l’Idée. La scolastique médiévale toute imprégnée de thomisme voit aussi dans l’éclat une caractéristique de la beauté511. Cependant, chez Conrad, Lowry et White, la thématique de la lumière et de l’ombre héritée de Platon est remise en cause et nuancée. Les oppositions binaires qui avaient permis d’établir entre les choses une juste proportion sont très vite subverties et dépassées et l’écriture de Conrad, Lowry et White s’apparente en ce sens à une forme de déconstruction des métaphores de la lumière. Ce travail de déconstruction est d’autant plus actif que le système politique occidental est fortement influencé par tout un discours sur la Civilisation et la supériorité morale et politique de l’Occident par rapport au reste du monde. Shaffer dans son livre sur le « discours de la civilisation »512 étudie les oeuvres de Conrad et de Lowry entre autres pour montrer qu’ils utilisent l’image paradoxale du flambeau aveuglant de la civilisation (« blinding torch ») : ‘« I believe that the fictions of Conrad, D. H. Lawrence, James Joyce, Virginia Woolf, and Malcolm Lowry refigure this “blinding torch”–this trope of civilisation’s duplicity–in various shapes and guises, and to various ends.’ »513 Il montre que Heart of Darkness et Under the Volcano renversent les fausses dichotomies utilisées pour différencier la Civilisation du chaos ou de la barbarie :

‘The deconstructive side of Conrad’s critique is carried out by reversing the metaphors used to distinguish civilization from jungle and by illustrating the ways in which the discourse of civilization is used to lie about and obfuscate reality, to obscure rather than illuminate that which it claims to describe. This reversal is accomplished by invoking a series of cliché dichotomies taken to represent the distinction between “civilisation” and “jungle,” only then to confuse and undermine such distinctions : godly/ godforsaken, complex/ simple, mind/ body, language/ gesture, logic/ illogic, rational/ irrational, good/ evil, efficient/ inefficient, order/ chaos, sane/ insane, day/ night, white/ black, light/ dark, historic/ prehistoric, culture/ nature, industrial/ militant (pace Spenser’s typology), and so forth514.’

Nous nous attacherons à l’étude plus systématique des oppositions binaires jour/nuit, blanc/noir et une autre que Shaffer aurait pu faire figurer ici : clair/confus.

Notes
511.

« La beauté consiste en un certain éclat et en une juste proportion. Ces deux éléments ont leur racine dans la raison, dont la fonction est d’apporter la lumière et d’établir entre les choses une juste proportion. » in J. Rassam, Saint Thomas, l’être et l’esprit, Paris : PUF, 1964, p. 164.

512.

Brian W. Shaffer, The Blinding Torch : Modern British Fiction and the Discourse of Civilisation, Amherst : University of Massachusetts Press, 1993.

513.

Ibid., p. 2.

514.

Ibid., p. 66.