Lumière et ombre : un doublon mythopoétique

Voss emblématise la dichotomie entre lumière et ombre qui caractérise le monde extérieur d’après White : « ‘the external world was no other than the dichotomy of light and darkness I sensed inside me.’ »535 Le roman est en effet une exploration de la tentative blasphématoire et teintée d’hybris de Voss, à savoir de se prendre pour la Lumière, de se prendre pour Dieu. Le nom de « Voss » prononcé à l’allemande donne [fos], c’est-à-dire « phos », lumière en grec. Son double est Laura, présentée à l’inverse comme lunaire. Finalement, le roman raconte la fusion de ces deux contraires complémentaires et l’acceptation par Voss de son humanité et de cette « part d’ombre »536 qui le caractérise : son orgueil, son aveuglement, son désir pour Laura, sa violence dominatrice. Laura s’inquiète effectivement de l’attitude de Voss : « ‘It is the terrible Sun that he is imitating. That is what I must believe. It is a play. For anything else would be blasphemy’. » (V, p. 371). Aux yeux des autres membres de l’expédition Voss est l’élément incandescent au sens presque alchimique du terme : « ‘By some process of chemical choice, the cavalcade had resolved itself into immutable component parts. ’ ‘No one denied that Mr Voss was the first, the burning element, that consumed obstacles, as well as indifference in others.’ » (V, p. 241). Harry voit également Voss dans un halo de lumière :

‘[...] they rode back and forth in their oblique ascent of the glaring hill, until the boy glanced up, and there was Voss, looking not at him, but forward into the distance from a crag.
As the lad stared at his leader, the sun’s rays striking the surrounding rocks gave the impression that the German was at the point of splintering into light. (V, p. 246)’

A l’inverse, Laura est une femme de l’ombre, la « femme brune » (« the brown woman », V, p. 159) ou la femme verte. Elle est associée à la terre et à la fertilité dans des symboles tels que les roses au chapitre VII ou l’herbe verte au chapitre VIII537. Lors du séjour de l’expédition dans la propriété de Sanderson, la nature est présentée comme fertile et sensuelle et Voss imagine son union avec Laura en termes de lumière :

‘But now the light had softened and was beginning to reveal more. Voss thought how he would talk eventually with Laura Trevelyan [...] through the marriage of light and shadow, in the infinite distances of that dun country of which he was taking possession, all finally, would be resolved. (V, p. 190, c’est moi qui souligne). ’

Plus loin, c’est en termes de mariage de la terre et de la lumière qu’il imagine son union avec Laura : « ‘He thought about the woman whose consent was making her his wife. ’ ‘[...] He lay breathing gently in this union of earth with light. ’» (V, p. 213). Ce passage fait écho à d’autres extraits du roman où Voss est présenté comme la lumière qui féconde la terre :

‘Seated on his horse and intent on inner matters, [Voss] would stare imperiously over the heads of men, possessing the whole country with his eyes. In those eyes the hills and valleys lay still, but expectant, or responded in ripples of leaf and grass, dutifully, to their bridegroom the sun, till all vision overflowed with the liquid gold of complete union. (V, p. 155)’

Mais le doublon mythopoétique lumière et ombre n’est tel que dans l’esprit de Voss car Le Mesurier, après avoir cru à la divinité de Voss, après l’avoir identifié à la lumière divine lors de l’orage, ironise sur la nature réelle de l’illumination que procure Voss. En effet, après l’intensité des éclairs pendant l’orage, c’est la douce clarté de la lune qui s’intalle et Voss rentre dans la tente pour écrire dans son journal à la lumière d’une bougie :

‘[Le Mesurier] wo had carried the sun for a moment in his breast was frozen in his own moonlight. His teeth were tumbling like lumps of sugar. Any hope of salvation was, ironically, an earthly one, a little smudge of light from a candle-end, from behind a skin of canvas, at the foot of the hill.
More ironically still, the light came from the tent of Voss, who was writing in his journal, like a methodical man. (V, p. 251)’

L’illumination est donc dévalorisée par la faiblesse du rayonnement de la bougie et l’allusion au caractère « méthodique » de Voss qui est bien de l’image traditionnelle de l’homme inspiré. La vision qu’offre le roman s’éloigne petit à petit d’une vision solaire et présomptueuse pour une vision lunaire, toute en nuances. Il en est d’ailleurs de même dans les romans de Conrad où l’on devrait parler d’une vision en demi-teintes, notamment du fait que la vision a tendance à s’effacer devant la parole.

Notes
535.

Patrick White, Flaws in the Glass, a Self-Portrait, Londres : Jonathan Cape, 1981, p. 34.

536.

Cf supra, note 530.

537.

Dès le chapitre 7 il est fait référence au rire « vert » de Laura : « Laura’s glistening, green laughter » (V, p. 158). Quant aux roses, elles lui sont personnelles : « the flesh of roses was becoming personal » (V, p. 158).