011IV. l’Étoilement du signifiant

Si on revient à la définition de Joseph Frank qui nous a servi de point de départ pour définir une écriture « spatiale », on constate que la caractéristique principale d’une telle écriture est sa très grande réflexivité et son étoilement en mots, figures, images, qui s’appellent les uns les autres. L’étoilement du sens chez Conrad, Lowry et White dessine une « quatrième dimension », un nouvel espace-temps :

‘And these chapters are knit together, not by the progress of any action–either physical action, or, as in a stream-of-consciousness novel, the act of thinking–but by the continual reference and cross-reference of images and symbols which must be referred to each other spatially throughout the time-act of reading684.’

Frank parle ici de l’entrecroisement d’» images » et de « symboles » mais cela est tout aussi vrai au niveau du signifiant lui-même. De ce point de vue, l’écriture spatiale est très proche de ce que désigne Jakobson comme écriture de la « similarité » ou de la « substitution »685 : elle opère des rapprochements entres images, sons et mots qui sont de l’ordre de la similarité et non de la contiguïté. Le lecteur perçoit ces parallèles indépendamment de l’enchaînement logico-temporel et syntaxique des phrases : il lit horizontalement mais aussi verticalement au sens où le texte lu reste présent à son esprit et lui permet d’effectuer des recoupements (« cross-reference ») plus audacieux et moins contrôlés entre mots, images ou thèmes apparentés. Jakobson parle aussi de « procès métaphorique »686 : « un thème en amène un autre »687 par similarité.

‘La sélection est produite sur la base de l’équivalence, de la similarité et de la dissimilarité, de la synonymie et de l’antonymie, tandis que la combinaison, la construction de la séquence, repose sur la contiguïté. La fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison. L’équivalence est promue au rang de procédé constitutif de la séquence688.’
Notes
684.

Joseph Frank, « Spatial Form in Modern Literature », op. cit., p. 439.

685.

« Tout signe linguistique implique deux modes d’arrangement.

La combinaison. [...] combinaison et contexture sont les deux faces d’une même opération.

La sélection. [...] En fait, sélection et substitution sont les deux faces d’une même opération.

[...] Les constituants d’un contexte ont un statut de contiguïté, tandis que dans un groupe de substitution les signes sont liés entre eux par différents degrés de similarité, qui oscillent de l’équivalence des synonymes au noyau commun des antonymes. » (Roman Jakobson, « Deux aspects du langage et deux types d’aphasie », op. cit., pp. 48-49).

686.

Ibid., p. 61.

687.

Ibid.

688.

Roman Jakobson, « Linguistique et Poétique », Essais de Linguistique Générale, op. cit., p. 220.