b.011Le sujet comme pure discontinuité

Le symbolique médiatise le rapport du sujet au Réel, qui est de pure discontinuité :

‘Pour Lacan, la Spaltung est, sans équivoque, le caractère le plus inaugural qui définit la subjectivité, puisqu’elle est, précisément, ce par quoi le sujet advient ; ce par quoi le sujet se structure sur un certain mode psychique en advenant. [...] elle peut être posée comme division inaugurale du sujet, qui procède de l’assujettissement du sujet lui-même à un ordre tiers qui est l’ordre symbolique, plus exactement qui est l’ordre qui va médiatiser le rapport du sujet au Réel, en nouant, pour le sujet, l’Imaginaire et le Réel. Cette opération s’effectue dans la mise en place du processus de la métaphore paternelle à l’issue de laquelle un symbole du langage (le Nom-du-Père S2) vient désigner métaphoriquement l’objet primordial du désir devenu inconscient (signifiant du désir de la mère, signifiant phallique S1)719.’

Le sujet est divisé d’après Lacan du fait de sa subordination à l’ordre symbolique, c’est-à-dire au signifiant, alors que l’objet primordial auquel il a dû renoncer est pré-verbal et pré-symbolique : le désir de la mère. Lacan se refuse à définir le sujet comme une totalité a priori. Il pense au contraire que le sujet se définit dans la coupure et la discontinuité qui sont les attributs de l’inconscient :

‘La discontinuité, telle est donc la forme essentielle où nous apparaît d’abord l’inconscient comme phénomène–la discontinuité, dans laquelle quelque chose se manifeste comme une vacillation. Or, si cette discontinuité a ce caractère absolu, inaugural, dans le chemin de la découverte de Freud, devons-nous la placer–comme ce fut ensuite la tendance des analystes–sur le fond d’une totalité ?
Est-ce que le un est antérieur à la discontinuité ? Je ne le pense pas [...] Vous m’accorderez que le un qui est introduit par l’expérience de l’inconscient, c’est le un de la fente, du trait, de la rupture720.’

Lacan poursuit en affirmant que l’inconscient a la « structure d’une béance »721. Par conséquent, la position subjective qui dépend de l’inconscient se manifeste elle aussi sous la forme d’une béance, d’un « trébuchement » ou d’une « interruption » dans le discours :

‘[...] il nous faut tout ramener à la fonction de coupure dans le discours, la plus forte étant celle qui fait barre entre le signifiant et le signifié. Là se surprend le sujet qui nous intéresse puisque à se nouer dans la signification, le voilà logé à l’enseigne du pré-conscient. Par quoi l’on arriverait au paradoxe de concevoir que le discours dans la séance analytique ne vaut que de ce qu’il trébuche ou même s’interrompt [...] Cette coupure de la chaîne signifiante est seule à vérifier la structure du sujet comme discontinuité dans le réel. Si la linguistique nous promeut le signifiant à y voir le déterminant du signifié, l’analyse révèle la vérité de ce rapport à faire des trous du sens les déterminants de son discours722.’

Il s’agira donc d’observer dans quelles conditions surgit le sujet, quelle forme prennent les « trous du sens », quels sont les « trébuchements » et les « interruptions » de son discours. Si le sujet se manifeste, c’est sous la forme d’un signifiant, d’un shifter plus exactement, c’est-à-dire ce qui « désigne » le sujet de l’énonciation mais ne le « signifie » pas :

‘011La structure du langage une fois reconnue dans l’inconscient, quelle sorte de sujet pouvons-nous lui concevoir ?
011On peut ici tenter, dans un souci de méthode, de partir de la définition strictement linguistique du Je comme signifiant: où il n’est rien que le shifter ou indicatif qui dans le sujet de l’énoncé désigne le sujet en tant qu’il parle actuellement.
C’est dire qu’il désigne le sujet de l’énonciation, mais qu’il ne le signifie pas723. ’

Le sujet apparaît comme shifter, c’est-à-dire sous la forme du « fading », d’une présence/absence : il est « désigné » mais non pas « signifié » par un signifiant toujours plus pur qui remet en cause sa « transparence » : « Par quoi la place de l’inter-dit, qu’est l’intra-dit d’un entre-deux-sujets, est celle même où se divise la transparence du sujet classique pour passer aux effets de fading qui spécifient le sujet freudien de son occultation par un signifiant toujours plus pur [...] »724. Ces remarques préliminaires permettront de comprendre pourquoi la ligne ou chaîne symbolique est systématiquement interrompue, discontinue, ou encore trouée.

Notes
719.

Joël Dor, Introduction à la lecture de Lacan, 1. L’inconscient structuré comme un langage, Paris : Denoël/L’espace analytique, 1985, p. 131.

720.

Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 34.

721.

Ibid., p. 37.

722.

Jacques Lacan, Écrits II, Paris : Seuil/ Points/ Essais, 1971, p. 160, c’est moi qui souligne.

723.

Ibid., p. 159.

724.

Ibid., pp. 159-160.