011Lowry : les limites d’un univers exagérément symbolique

Dans Under the Volcano, l’espace est déjà du domaine de l’imaginaire. Les lieux sont des « endroits ritualisés » : ‘« Au-delà des situations temporelles et spatiales règnent les “endroits ritualisés”. Dans une sorte de mouvement animiste, toute la nature figure les consciences.’ »843

‘[...] in his final phase Lowry’s sense of place was stronger and truer than his sense of person, which as I suggested at the beginning of this essay, places him among the poets of damnation and salvation, who wrote of a realm where personality had reached its end844. ’

L’espace y est symbolique, mythique voire hallucinatoire et se caractérise par le « rétrécissement », contrairement à l’espace de l’homme sain, espace structuré et hiérarchisé :

‘Ce qui garantit l’homme sain contre le délire ou l’hallucination, ce n’est pas sa critique, c’est la structure de son espace : les objets restent devant lui, ils gardent leurs distances et, comme Malebranche le disait à propos d’Adam, ils ne le touchent qu’avec respect. Ce qui fait l’hallucination comme le mythe, c’est le rétrécissement de l’espace vécu, l’enracinement des choses dans notre corps, la vertigineuse proximité de l’objet, la solidarité de l’homme et du monde, qui est, non pas abolie, mais refoulée par la perception de tous les jours ou par la pensée objective, et que la conscience philosophique retrouve845.’

Ce « rétrécissement de l’espace vécu » est flagrant dans Under the Volcano puisque tout y est symbole de tout et que les échos sont infinis comme si l’extérieur et l’intérieur, le corps et le monde étaient devenus indissociables :

‘Why am I here, says the silence, what have I done, echoes the emptiness, why have I ruined myself in this wilful manner, chuckles the money in the till, why have I been brought so low, wheedles the thoroughfare, to which the only answer was–The square gave him no answer. (UV, p. 341)’

D’ailleurs, dans la nouvelle « The Wandering Jew », état d’âme et lieu se confondent :

‘no, it was as if this place were suddenly the exact outward representation of his inner state of mind: so that shutting his eyes for a long moment of stillness ...he seemed to feel himself merging into it, while equally there was a fading of it into himself: it was as though, having visualized all this with his eyes shut now he were it–these walls, these tables, that corridor846. ’

Une autre instance de cette interpénétration de la conscience et de l’espace est le passage suivant : « ‘You are a liar, said the trees tossing in the garden. ’ ‘You are a traitor, rattled the plantain leaves. And a coward too, put in some fitful sounds of music that might have meant that in the zócalo the fair was beginning.’ » (UV, p. 151). Si l’espace signifie que le Consul est à la fois un menteur, un traître et un lâche, il signifie tout autant qu’il est un meurtrier lorsqu’il croise les affiches du film Las Manos de Orlac ou encore un individu à l’identité fluctuante lorsqu’il monte dans la « Máquina Infernal ». A chaque lieu ou élément de l’espace correspond une position de sujet différente et le vertige du symbolisme conduit à une valse des positions de sujet.

Au terme de ce développemment, trois types d’espaces se sont dessinés : espace divisé entre fini et infini chez White, espace aux valeurs réversibles chez Conrad, et espace de pure projection chez Lowry, mais dans ces trois cas, la position de sujet prédominante est celle de la marge.

Notes
843.

Tony Cartano, Malcolm Lowry, Essai, Saint-Amand-Montrond (Cher) : Henri Veyrier, 1979, collection Essais Singuliers, p. 76.

844.

George Woodcock, « The Own Place of the Mind : An Essay in Lowryan Topography », Anne Smith (éd.) The Art of Malcolm Lowry, Londres : Vision Press Ltd, 1978, p. 128.

845.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard/ Tel, 1945, p. 337.

846.

Malcolm Lowry, October Ferry to Gabriola (1970), Londres : Jonathan Cape, 1971, p. 145.