Introduction

Les «haches polies», symbole classique et éponyme du Néolithique, jouissent d’un statut ambivalent dans la recherche en Préhistoire. Bien qu’omniprésentes dans toutes les parties du monde et toujours mentionnées dans les études, elles ont souvent été traitées comme des objets de peu d’intérêt pour la compréhension du Néolithique. Dans la plupart des cas, elles ont été au mieux considérées comme un fond commun stable et monotone, sans grande utilité pour la résolution des problèmes classiques de la Préhistoire récente : la définition des cultures, leurs évolutions et leurs interactions.

Cette situation a grandement évolué durant les dernières décennies, sous l’influence de mutations profondes de la discipline préhistorique, au premiers rangs desquelles il convient de placer l’approche technologique des productions humaines, la reconnaissance de la circulation intensive des biens durant le Néolithique, l’appréhension du caractère global de la culture matérielle et des dynamiques culturelles, l’avènement d’une archéologie spatiale et sociale et, pour ce qui concerne plus étroitement les haches, l’ouverture au monde occidental des dernières régions où les outils de pierre polie étaient d’usage courant jusqu’en plein XXème siècle.

Dans les meilleurs des cas, la recherche est ainsi progressivement passée d’une étude de la belle «hache polie» à celle de l’outil hache, de la production des lames de pierre jusqu’aux fonctions de l’outil perçu dans son intégralité. Au coeur de cette mutation doit être placée la prise de conscience de la place fonctionnelle centrale que les haches, en tant qu’outil de travail du bois, ont occupé au sein des sociétés néolithiques européennes, et des implications sociales conséquentes induites par la production et la diffusion d’outils en grand nombre.

L’étude présentée dans ces pages entend s’inscrire dans ce renouvellement des recherches sur cette famille d’outils fondamentaux, dans le cadre géographique des Alpes occidentales et du bassin du Rhône. Pratiquant l’archéologie depuis quinze ans, j’ai pu au gré de mon expérience de terrain et de mes études universitaires prendre conscience de la nécessité d’un travail en Préhistoire qui dépasse le stade indispensable de l’analyse et de la description, pour tenter d’atteindre le degré de l’explication. Il semble en effet que la Préhistoire ne puisse dépasser le stade de la technique d’étude artisanale pour se constituer en discipline scientifique qu’en intégrant ses divers -et efficaces- outils d’analyse des données dans une perspective sociale et historique. Car il ne s’agit plus de constater des faits mais de les comprendre, et de tenter d’expliquer le fonctionnement et le devenir des sociétés humaines anciennes. Sur la base d’une étude archéologique de la quasi-totalité des lames polies aujourd’hui conservées dans la région choisie, je me suis donc donné pour tâche de documenter le système de production et de circulation des lames polies, ainsi que les modes d’usage des haches, afin de constituer un corps de connaissances pour la réflexion sur le devenir socio-historique des communautés néolithiques alpines.

Tirant profit d’un intérêt de toujours pour les roches, et d’une pratique non moins ancienne de l’archéologie, j’ai modestement débuté dans cette voie en 1992 lorsque Alain Beeching m’a proposé l’étude d’une collection de lames de hache provenant du département de la Drôme. Résolument technique, cette première approche m’a permis de prendre pied dans la recherche néolithique alpine et rhodanienne. Un mémoire réalisé peu de temps après a été l’occasion d’élargir la réflexion -encore toute théorique- à l’ensemble de la problématique des relations entretenues entre les hommes et les roches dans le Néolithique régional. Après une nécessaire maturation, j’ai ainsi pu déposer en 1996 un sujet de thèse auprès du Professeur Olivier Aurenche, sujet qui portait sur «la production, la diffusion et l’usage les haches néolithiques dans les Alpes occidentales et le bassin du Rhône».

Le projet nécessitant un important investissement de fond en analyses pétrographiques n’a pu être concrétisé que par le lancement concerté d’un programme de recherches portant sur les «Circulations et Identités culturelles alpines à la fin de la Préhistoire» (CIRCALP), piloté par Alain Beeching et financé par la Région Rhône-Alpes. Dans ce cadre été menée à bien l’analyse de plusieurs centaines de lames de hache et autres mobiliers en roches tenaces dans un délai compatible avec la réalisation d’une thèse, grâce à un fructueux travail de collaboration avec Danielle Santallier, pétrographe. Le programme CIRCALP m’a également permis de bénéficier durant trois ans d’une bourse de recherche octroyée par la région Rhône-Alpes, condition sine qua non à un travail serein. En 2000, cette aide a été relayée par une Bourse du Patrimoine du Ministère de la Culture.

Le texte de ce travail est scindé en huit chapitres :

  1. présentation,

  2. les matières premières,

  3. la production des lames polies,

  4. les autres productions alpines en roches tenaces,

  5. chronologie des productions et des diffusions des lames polies,

  6. fonctionnement et fonctions des haches,

  7. des outils non utilitaires,

  8. synthèse.

La maîtrise d’une documentation abondante mais disparate car répartie en de nombreux musées, centres de recherche et collections privées a nécessité l’établissement d’une nomenclature normalisée. Un numéro est affecté à chaque commune où des lames de hache sont documentées, selon des principes détaillés en annexe 2. Pour chacune, un sous-numéro indique la provenance précise des objets, en particulier pour les sites archéologiques. Ce numéro de commune ou de site est systématiquement indiqué dans le texte et renvoie au corpus établi en annexe 2. L’identification de chaque objet est fonction de la collection étudiée : dans la plupart des cas, il possède un numéro d’inventaire qui est repris tel quel ; les rares collections non inventoriées ont été arbitrairement numérotées. Dans le texte ne sont donnés que les renvois aux planches de dessin du volume 2, où la référence précise de l’objet est indiquée. Quand un objet mentionné dans le texte n’est pas dessiné, ses références sont portées en note.