1.1.2 Importance et fonction de la hache dans les sociétés néolithiques

Le poids important de la famille des haches dans les sociétés néolithiques a été reconnu depuis longtemps par les préhistoriens, à tel point que les fondateurs de la discipline en ont fait le fossile directeur de l’Age de la pierre polie. La recherche contemporaine met l’accent sur quatre points importants qui caractérisent les haches néolithiques, au moins en Europe occidentale.

La contrainte technique de la percussion lancée conduit à rechercher, pour la fabrication de la lame polie, les roches dont la résistance aux chocs est la plus grande possible, c’est-à-dire les roches les plus tenaces possibles, qui sont souvent des roches métamorphiques. Ces dernières, en particulier les plus adéquates d’entre elles, sont de véritables curiosités géologiques qui affleurent sur des surfaces restreintes (cf. chapitre 2 et § infra). Il en résulte, dans plusieurs cas bien documentés, des exploitations plus ou moins concentrées et des diffusions pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres, ce qui donne une certaine valeur à la lame polie, fonction entre autre de la difficulté d’accès aux sources de matière première.

Les savoir-faire techniques investis pour la réalisation d’une hache sont, en règle générale, assez élevés et diversifiés. Les chaînes opératoires de réalisation des trois composants : manche, lame et emmanchement mobilisent une gamme de matières, d’outils et de techniques étendue, qui couvre une bonne partie de l’éventail technique disponible au Néolithique (fig. 1 ; Gallay 1984a). Les outils obtenus montrent la recherche d’un équilibre et une véritable évolution chronologique (Winiger 1981 ; Suter 1993).

L’importance des haches néolithiques est également liée à leur fonction principale. Elles sont en effet les outils par excellence pour le travail du bois sous toutes ses formes et à ce titre, sont au coeur du système technique de production des sociétés néolithiques européennes réputées être des civilisations du bois, voire des sociétés forestières (Leroi-Gourhan 1962c). Ce fait est déduit d’observations convergentes dans deux types de sociétés : les sociétés peu ou pas hiérarchisées subsistant dans des régions forestières tropicales et équatoriales, et les sociétés pré-industrielles de l’Europe tempérée évoluant dans des contextes socio-économiques radicalement autres mais vivant face aux mêmes types de forêts que les néolithiques qui nous intéressent (Deffontaines 1933). Dans les deux cas, les haches, même si elles appartiennent à des systèmes techniques extrêmement différents (Gille 1978), sont de manière fondamentale les outils de la transformation du bois, depuis l’abattage en forêt jusqu’aux menus travaux de menuiserie et de boissellerie, sans oublier le débroussaillage, la feuillée, etc. (fig. 2). Le travail d’autres matières, débitage de boucherie par exemple, ou les usages guerriers, sont des fonctions dérivées effectuées soit avec les outils de travail du bois, soit, et cela est surtout vrai pour l’Europe médiévale et moderne, avec des outils spécialisés6. En Nouvelle-Guinée comme dans l’Europe historique, la famille des haches intervient quel que soit l’environnement arbustif, forêt primaire ou secondaire, espaces plus ou moins ouverts, etc., dans la mesure où nous parlons bien de travail du bois et non pas de la seule attaque de la forêt. Néanmoins, et c’est un point important, les formes, les fonctionnements et les fonctions des haches sont en relation plus moins directe avec la composition des milieux arbustifs exploités (Pétrequin et Pétrequin 1993). Pour le Néolithique, l’étude des haches peut donc théoriquement fournir des données sur les modalités de l’humanisation de l’environnement, c’est-à-dire, en fin de compte, sur les formes même du déroulement historique du processus de néolithisation.

Le quatrième point caractéristique a trait aux fonctions non utilitaires des haches néolithiques, démontrées par deux séries de faits (cf. chapitres 7 et 8). Il s’agit en premier lieu de la reconnaissance ancienne (Le Rouzic 1927 ; Giot 1965) de lames de hache qui ne semblent pas être destinées à équiper des outils utilitaires, pour deux raisons essentielles : d’une part, leurs dimensions, pouvant dépasser quarante-cinq centimètres de long, les rendent inaptes à toute forme d’emmanchement efficace ; d’autre part, le soin apporté à leur réalisation qui parfois atteint la perfection technique, permet de douter d’un usage uniquement utilitaire. La seconde série de faits tient aux contextes de découverte. La présence de lames de hache dans des ensembles funéraires, en particulier comme mobilier d’accompagnement des défunts, est bien attestée dans plusieurs cultures continentales, en particulier le Néolithique ancien Rubané (Farruggia 1992). Du même ordre interprétatif sont les dépôts, qu’il s’agisse de découvertes de groupements de lames de hache isolés ou associés à des monuments funéraires. Les deux attestent de fonctions autres que strictement utilitaires et dénotent une importance sociale et symbolique bien supérieure à la seule fonction technique d’outil de travail.

Choix des roches constituant les lames polies, important savoir-faire technique mis en oeuvre, fonction centrale dans la relation de l’homme au bois, sinon à la forêt, types d’objets et contextes particuliers sont autant de pistes de recherches pour tenter de comprendre la place de la famille des haches dans les sociétés néolithiques. Ce sont les lignes de force des études ayant porté sur le sujet depuis plus d’un siècle, qu’il convient maintenant de présenter.

message URL fig2.gif
Figure 2. Principales fonctions de la famille des haches dans les sociétés non-industrielles.

Notes
6.

Ce cas diffère du Néolithique en ce que l’utilisation des métaux (bronze, fer puis acier) autorise une diversité de formes quasi-illimitée (cf. supra), alors que les possibilités formelles offertes par le travail de la pierre sont plus restreintes. De plus, la famille des haches côtoie celle des scies et les fonctions de ces deux catégories d’outils sont complémentaires (Robert 1991, 1993).