1.2.1.1 En Europe occidentale

Un simple examen à l’oeil nu a toujours suffit pour constater l’emploi par les Néolithiques d’autres roches que les silex pour confectionner leurs outils, et pour les classer sommairement en grandes familles pétrographiques, méthode souvent suffisante pour une première approche des matériaux. Mais, pour les lames de hache en particulier, s’est très vite fait sentir la nécessité de déterminer les roches de manière précise, en fonction de l’état des connaissances géologiques. Les travaux pionniers de A. Damour sur les grandes lames polies retrouvées dans les monuments funéraires bretons (Damour 1865), ceux de H. Fischer en Allemagne (Fischer 1879), de M. de Fellenberg en Suisse (Desor 1872) portèrent sur l’analyse chimique des roches, afin de déterminer leur composition minéralogique globale et de fournir des arguments en faveur de l’origine européenne (et plus précisément alpine) ou asiatique pour les grandes lames polies en jadéite et néphrite. En Italie, le minéralogiste S. Franchi travailla sur le mobilier des stations piémontaises d’Alba (Franchi 1900) et sur les séries des environs de Barcelonnette dans la haute vallée de l’Ubaye (inédit ; Ricq-de Bouard, Compagnoni et alii 1996), et détermina des roches ophiolitiques alpines, au sens géologique du terme (cf. chapitre 2). De même G. Piolti effectua à la même époque des analyses sur le mobilier du site de Vayes dans le Val Susa et arriva à un résultat comparable (cité in Bagolini et Biagi 1977a, p. 95).

Malgré de rares prises de conscience de l’intérêt de développer les analyses sur une grande échelle afin de cerner les provenances des matériaux (Müller 1922)7, il fallut attendre les années 1930 pour que débutent les premiers travaux d’identifications pétrographiques d’envergure en Grande-Bretagne. Le but en était, non plus de déterminer la nature de la roche employée pour tel objet, mais d’identifier (selon le sens donné in Giot 1965) sur la base d’analyses microscopiques de lames minces, des groupes de matériaux qui puissent être rapprochés des affleurements de matière première connus. Avec plus de 7600 lames de hache analysées en lames minces, ce travail toujours en cours a généré de nombreuses études (cf. Grimes 1979, pour un historique des recherches ; Clough et Cummins ed. 1979 et 1988 ; Campbell-Smith 1965). La répartition spatiale des 34 groupes pétrographiques de roches tenaces identifiées a permis, pour plus de 25 d’entre eux, de préciser avec plus ou moins de finesse leur origine géographique (Clough 1988). De même, dans les années 1930-40 se sont développés les premiers travaux en Scandinavie, par exemple sur les lames polies en ardoise verte d’Olonetz, diffusées en Baltique orientale et en Finlande, ou sur les productions de l’île de Bömlo au sud-ouest de la Norvège (Clark 1955, chap. X). Sous l’impulsion anglo-saxonne, le préhistorien P.-R. Giot et le géologue J. Cogné ont développé en Bretagne à partir des années 1950 le même travail systématique inscrit dans la longue durée : détermination pétrographique en lames minces et parfois, pour les pyroxénites, diffractométrie aux rayons X sur poudre ; identifications de groupes de roche ; étude de leur répartition spatiale (cf. Le Roux 1990 et 1999 pour un historique des recherches). Reprise par Charles-Tanguy Le Roux dans les années 1960, cette enquête, élargie à l’ensemble de l’ouest de la France (plus de 5000 artefacts analysés en 1990), a eu comme résultat marquant la mise en évidence de la grande diffusion des lames polies en métadolérites (groupe A) dans toute la Bretagne et au-delà, en particulier dans le bassin inférieur de la Loire (Le Roux et Cordier 1974 ; Le Roux, Despriée et Leymarios 1980 ; Le Roux et Richard 1991 ; Le Roux 1999).

De nouvelles investigations de plus ou moins grande envergure n’ont été entreprises que dans la deuxième moitié des années 1970. Les régions étudiées sont alors plus nombreuses : mentionnons les travaux de Corrie Bakels sur les herminettes danubiennes de Hollande et d’Allemagne (Bakels et Arps 1979) et de la vallée de l’Aisne (Plateaux 1990), de Jean-Paul Caspar en Belgique sur des outils similaires (Caspar 1984), de Danielle Santallier et Dominique Vuaillat dans le Limousin (Santallier, Tardiveau et Vuaillat 1986 ; Vuaillat, Santallier et alii 1995), les recherches d’Inge Diethelm dès le début des années 1980 sur les dites aphanites, ou roches noires, diffusées des Vosges au lac de Constance (Diethelm 1989). De même en Suède (Welinder et Griffin 1984), en Bulgarie (plus de 900 lames polies analysées ; Kunchev 1986), en Espagne (Barrera Morate, Martinez Navarrete et alii 1987), en Italie méridionale (Leighton et Dixon 1992), pour ne donner que quelques exemples, se développent les connaissances sur les matériaux utilisés pour façonner les lames de hache.

Notes
7.

Dans ce court article, Hyppolite Müller posa avec une vraie clairvoyance une méthode de travail rigoureuse : «Il serait pourtant très utile de rechercher une base de classement plus sérieuse [que les identifications à l’oeil nu ou les méthodes chimiques de Damour]. Il y a d’autres moyens pour arriver au but proposé : 1° établir un échantillonnage bien précis des types de roches de haches [...] ; 2° Rechercher les roches à haches, dans leurs gisements, dans les alluvions de toutes les époques, et dans les dépôts morainiques ; 3° Polir une face de ces échantillons et procéder sur ceux-ci à des analyses de densité et de dureté.» (Müller 1922). A notre connaissance, cet appel lancé aux participants du quatrième Congrès de Rhodania est resté sans effet.