1.2.5 Fonctionnements et fonctions des hache

Au-delà du débat portant sur les relations entre formes et fonctions, illustré par l’opposition classique entre la hache et l’herminette, l’étude des fonctionnements des haches néolithiques a suivi trois voies complémentaires.

L’étude des traces d’usage, à l’instar de celles développées sur le silex et les matières dures animales, est étroitement dépendante de la réalisation de séries expérimentales. S’il a toujours été de bon ton de fabriquer des lames de hache ou de réaffûter des pièces archéologiques pour abattre des arbres, peu d’études fonctionnelles ont été menées de manière statistiquement valable à partir de séries expérimentales. A cet égard, H. Müller, fondateur de la Préhistoire et de l’Ethnologie alpines, doit être salué comme un précurseur pour ses études d’abattage (en faible nombre, il est vrai) minutieusement relatées (Müller 1903). Les expérimentations d’abattages réalisées au Danemark dans les années 1950 par S. Jørgensen s’inscrivait dans cette logique des grandes séries mais étaient déconnectées de toute prise en compte du fonctionnement réel des outils (cité in Monnier, Pétrequin et alii 1991, p. 29). De même, des expérimentations comparées entre haches à lame de pierre, de bronze et de fer ont été menées dans un but purement technique de calculs de rentabilité (Mathieu et Meyer 1997). Citons aussi les expérimentations ponctuelles anglaises (Harding et Young 1979 ; Coles 1979). A contrario, l’expérimentation menée par Daniel Helmer et Jean Courtin sur le site de Fontbrégoua à partir de traces de découpe d’animaux montre tout l’intérêt d’une expérimentation qui permet de tester, au niveau technique, les interprétations élaborées à partir d’observations archéologiques (Helmer et Courtin 1991). Une démarche comparable a guidé les expériences d’abattage conduites à Chalain lors de la reconstitution d’une maison (Monnier, Pétrequin et alii 1991). En pendant à l’expérimentation, la tracéologie a été initiée sur les roches dures par S.A. Semenov (1964, p. 126-134), mais a connu peu de développements appliqués aux lames de hache. Pour les roches alpines, citons les études ponctuelles menées sur le site de Charavines (Vaughan et Bocquet 1987), en Piémont (Aimar, Malerba et alii 1996) ainsi que les observations réalisées par M. Ricq-de Bouard et C. Buret sur les traces d’emmanchement (Ricq-de Bouard et Buret 1987).

Un second biais pour la compréhension des usages des haches est fourni par l’étude indirecte des traces laissées par celles-ci sur les bois travaillés, qui révèlent les modes d’abattage et de façonnage. Une telle approche n’a pu se développer que sur les sites où les bois sont conservés, et nous retrouvons l’apport des études suisses, depuis les premières fouilles d’après-guerre (Guyan 1954 ; Müller-Beck 1965 ; Schweingruber 1975 ; Stotzer, Schweingruber et Sebek 1976). De semblables études ont également concerné la Grande-Bretagne (Coles, Heal et Orme 1978) et plus récemment les sites du lac de Chalain (Monnier, Pétrequin et alii 1991; Choulot, Ernst et alii 1997).

Ces dernières dépassent le cadre du fonctionnement des outils pour aborder le domaine des fonctions. Celles-ci ont bien été mises en évidence par les études de cas ethnologiques, en particulier sur l’île de Nouvelle-Guinée. Rappelons les travaux de Maurice Godelier et José Garanger (1973) sur les herminettes, ainsi que les réflexions d’Alfred Métraux sur les fonctions des haches au travers des transformations induites par l’introduction de lames d’acier (Métraux 1959). Dans cette lignée, les études récentes menées par P. Pétrequin en Irian-Jaya renouvellent l’approche possible de ces outils, car les haches y sont considérées dans leur rapport à l’environnement naturel et aux sociétés utilisatrices. Les fonctions techniques des haches sont selon ce point de vue reliées aux fonctions sociales, l’outil étant considéré comme la concrétisation matérielle d’un état des relations entre l’homme et son environnement naturel et social (Pétrequin et Pétrequin 1990, 1993). L’application de ce principe à des séries archéologiques permet d’appréhender le rôle des haches dans la reproduction des sociétés néolithiques (Pétrequin et Jeunesse dir. 1995). Les haches prennent par ce biais une importance dans les processus d’évolution sociale, lesquels sont également abordés par l’étude des modes de circulation des objets.