2.2.2 La lecture technologique des lames polies

Il n’est pas besoin de détailler ici la nécessité fondamentale de l’étude technologique des productions lithiques en Préhistoire. Dans le cadre de l’étude du système technique néolithique, nous considérons que la production et l’usage des haches constitue un processus technique qui doit être considéré dans son ensemble. Le problème vient du fait que seules les lames polies, parfois les gaines, nous parviennent dans la plupart des cas. Nous devons donc garder à l’esprit que l’étude des lames de hache n’est qu’une approche partielle du système haches, partielle mais légitime dans la mesure où les lames polies constituent la partie active de l’outil, lieu de concentration des efforts techniques. Selon la méthodologie posée par les lithiciens du taillé, nous devons donc étudier les quatre composantes du sous-système lithique formé par les lames polies (Karlin, Bodu et Pelegrin 1991).

  • Les objets eux-mêmes, objets finis, entiers ou fragmentés, neufs ou usagés, mais aussi outils de travail (percutants, polissoirs) et pièces techniques associées (éclats, ébauches, etc.). Ils doivent être étudiés sous les angles purement technique (cf. infra) mais aussi morphologique, morphométrique et fonctionnel, par le biais de la tracéologie sensu lato.

  • Le processus technique qui est matérialisé par une ou plusieurs chaînes opératoires de production et d’usage des outils. Leur reconnaissance se fait à travers la mise en évidence de séquences techniques dont l’enchaînement spécifique détermine une chaîne opératoire. Pour l’analyse des lames polies, les processus techniques sont décomposés en deux grandes phases : la fabrication des lames polies et leur usage (fig. 3).

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Figure 3. Schéma technique de la vie technique d’une lame de hache. L’abandon peut survenir lors de n’importe quelle action ou état.

Pour la fabrication, nous cherchons à mettre en évidence l’existence d’une ou de plusieurs chaînes opératoires, à travers l’étude combinée de la mise en oeuvre des grandes techniques de transformation des roches tenaces (taille, sciage, bouchardage, polissage). Il s’agit d’identifier à partir de tous les objets disponibles une suite de séquences techniques qui doivent être ordonnées en la reconstitution des étapes principales d’une ou de plusieurs chaînes opératoires de fabrication. Il faut en effet préciser qu’aucun des sites étudiés n’a livré de lieu de travail avec une documentation claire permettant d’identifier une ou plusieurs séquences techniques. Nous sommes donc contraint de décrypter, objet par objet, les séquences techniques mises en oeuvre, puis de les relier en formulant une synthèse des données pour reconnaître des éléments de chaînes opératoires. Une telle analyse ne peut que rarement être menée de manière complète sur une seule pièce ; suivant l’état de l’objet, telle ou telle séquence technique est plus lisible. C’est donc bien en intégrant les informations recueillies sur un grand nombre de pièces que les chaînes opératoires peuvent être reconnues.

Mais pour cela, il faut au préalable avoir reconnu l’ensemble des processus techniques liés à l’usage des lames polies. La méconnaissance de ces processus est selon nous la cause principale de l’achoppement relatif des tentatives d’analyse purement morphologique des lames de hache pleines17. Celles-ci en effet connaissent une histoire complexe car leur usage violent conduit à des accidents fréquents. Or, dans la plupart des cas, une lame endommagée n’est pas rejetée mais travaillée à nouveau pour pouvoir être remmanchée. Il est donc fondamental, avant toute étude sur les chaînes opératoires de fabrication des lames polies, de comprendre l’histoire de chaque lame afin de mettre en évidence toutes les transformations d’usage qui les ont affectées. Pour ce faire, nous avons distingué en deux grands cycles de transformation distincts qui peuvent se succéder et se répéter (fig. 3). Le cycle d’usage normal, qui conduit à l’usure du fil du tranchant par émoussage ou esquillage, nécessite un réaffûtage des biseaux par polissage (cycle III). Le cycle de cassure entraîne une reprise plus ou moins importante de l’objet (cycle IV), pouvant conduire à une transformation totale selon des séquences techniques qu’il faut décrypter et dont la relation avec les séquences techniques de fabrication sont à déterminer. Un tel travail a été réalisé objet par objet, et nous a conduit à ne retenir pour l’étude des chaînes opératoires de fabrication que les lames de hache exemptes de traces de reprises. Néanmoins, afin de conserver la logique de présentation, nous avons placé le chapitre concernant la production des lames polies (chapitre 3) avant celui qui concerne leurs usages (chapitre 6).

  • Les connaissances techniques. La mise en évidence des savoir-faire humains est déduite des faits d’observation technique sur les produits. Il s’agit de comprendre l’état des connaissances des ressources lithiques naturelles, et là interviennent les critères de choix des matériaux, où doivent être recherchées les causes techniques intrinsèques et débusqués les choix non techniques ou économiques. En second lieu, il faut comprendre le niveau de mise en oeuvre des connaissances techniques à partir du choix de telle chaîne opératoire parmi l’éventail des possibles.

  • La maîtrise de l’espace/temps est considérée par nous comme un axe méthodologique primordial et constitue le troisième axe stratégique retenu pour l’étude.

Notes
17.

Relatif en ce qu’une analyse typologique basée sur la seule morphologie est toujours réalisable, surtout lorsqu’on recourt à des méthodes de classifications automatiques multivariées. Nous en avons fait l’expérience lors d’un travail antérieur (Thirault 1993). Là où elles achoppent, c’est sur l’interprétation à donner aux groupements obtenus ; si les morphologies prises en compte sont celles que les fabricants ont conçu (par exemple les classes typologiques du monde danubien), l’interprétation est recevable ; si les objets ont subi des refaçonnages au cours de leur vie d’outil, les sériations morphologiques ne décrivent rien de concret (cf. p. 366-373).