2.2.4 L’analyse des contextes

Nous avons vu plus haut la nécessité de ne pas considérer les lames polies en elles-mêmes mais de les étudier dans leur contexte de découverte. Cet aspect du problème est lié à deux grandes types de questions : les fonctions des sites et la taphonomie des objets18.

La fonctionnalité des sites néolithiques est un domaine d’étude largement mésestimé. Tant que le paradigme du monde villageois a dominé la recherche archéologique européenne, avec ses corollaires de sédentarité forte et d’économie pleinement agro-pastorale, les fonctions des sites n’ont pas posé de problèmes : tous les sites qui n’étaient pas funéraires ou cultuels (sépultures individuelles ou collectives, nécropoles) étaient catalogués sous le concept vague d’habitat, terme qui peut aller du campement temporaire au gros village permanent. Aujourd’hui, la question des fonctionnalités des sites néolithiques commence à être renouvelée, sous l’influence des analyses développées par les préhistoriens anglais (Hodder 1990) à propos en particulier des innombrables monuments qui parsèment les paysages de Grande-Bretagne et dans une moindre mesure d’Europe continentale (enclos, enceintes, henges, qu’ils soient palissadés, fossoyés, etc.) qui ne sont ni des habitats ni des sites funéraires. Dans le quart Sud-Est de la France et dans les régions alpines, il apparaît que la reconnaissance de vrais habitats, c’est-à-dire de lieux de résidence pérenne impliquant une vie sociale, n’est pas aisée (Beeching 1999a). Les cas irréfutables sont ceux des bords de lac ou de tourbières où la présence conjointe d’éléments d’architecture préservés et de rejets d’activités définis par l’analyse comme domestiques, permettent de parler de maisons au sens anthropologique du terme, c’est-à-dire d’unités de production domestique. Leur regroupement permet de parler de hameaux, rarement de villages importants. De plus, les milieux humides étant répulsifs, des modes spécifiques d’habitat ont été créés (Pétrequin 1984). Sur les sites terrestres, les cas similaires sont excessivement rares, contrairement par exemple au monde danubien bien connu depuis les travaux de B. Soudsky (Coudart 1998) ou à l’Italie centro-méridionale (Tozzi 1982 ; Fugazzola-Delpino et Pessina 1999) où les maisons sont parfaitement identifiées. Dans la plupart des cas, le statut du site est à déterminer, et ni la reconnaisance d’un lieu de vie (habitat sensu lato), ni la présence de sépultures n’épuise les fonctionnalités d’un lieu, car là aussi, les véritables nécropoles ne sont pas la règle. Les travaux menés en moyenne vallée du Rhône montrent la richesse d’informations potentielles que peut fournir une analyse de l’implantation des sites (Beeching 1989). Une vraie structuration fonctionnelle du territoire en émerge, et celle-ci est importante pour notre propos puisque la prise en compte de cette dimension fonctionnelle est un moyen efficace d’attaque de la problématique générale.

Au niveau pratique, la fonctionnalité des sites est complétée par l’analyse, lorsque cela est possible, du contexte intra-site de dépôt des artefacts : en sépulture, en épandage, en dépotoir, etc. Ce point rejoint le deuxième axe d’analyse des contextes, qui concerne la question taphonomique, c’est-à-dire, et il s’agit là d’un point important, de la relation existant entre le système haches tel que les néolithiques l’ont généré et les objets que nous étudions aujourd’hui. D’un point de vue théorique, la relation est impossible à établir. Cependant, l’analyse technique (notre deuxième axe stratégique) permet de pénétrer ce problème par la mise en évidence des modalités d’usage des lames polies, c’est-à-dire permet de voir comment les néolithiques ont géré leurs productions. Un deuxième point d’attaque possible est l’analyse des contextes intra-sites qui peuvent nous indiquer les choix de rejet opérés par les néolithiques. Mais il faut bien avoir conscience que nous ne travaillons pas vraiment sur le système d’objets haches que les néolithiques ont produits mais plus exactement sur le système objets haches tel que les néolithiques, consciemment (cas des sépultures) ou inconsciemment (rejets domestiques) nous l’ont transmis. Néanmoins, les actes d’abandon, conscients ou non, qui ont permis à ces objets de nous parvenir sont eux aussi porteurs de sens pour l’analyse archéologique car ils révèlent le comportement final de l’homme face à ses outils. De telles informations doivent donc être prises en compte de plein droit.

Notes
18.

Nous écartons de la discussion la taphonomie des sites eux-mêmes qui sort de notre sujet.