La phase la plus ancienne, dite Impressa zoné, d’affinités adriatiques et d’Italie péninsulaire, n’est bien attestée qu’à l’abri Pendimoun à Castellar, dans les Alpes maritimes, antérieurement à 5500 avant J.-C., mais trouve des points de comparaisons en Ligurie dans les niveaux les plus anciens de La Pollera (Binder, Brochier et alii 1993). Les céramiques ont des fonds plats et portent des décors de petites impressions à matrices diverses, disposées en bandes discontinues, en chevrons, en lignes brisées, parfois en panneaux. Des céramiques monochromes lissées ou polies les accompagnent. La connaissance de l’agriculture est démontrée par la présence de graines de céréales d’espèces identiques à celles connues en Italie du Nord, et l’élevage est attesté (ibid.).
La seconde phase est caractérisée par des décors céramiques à tracés linéaires obtenus par impressions successives contiguës, formant des décors hiérarchisés. Trois styles sont reconnus de la Toscane au Portugal. Leurs relations chronologiques sont encore mal comprises mais ils sont pour partie au moins contemporains malgré une répartition discontinue qui se recoupe. L’Impressa géométrique, défini en Ligurie sur la base de l’importante stratigraphie de la grotte des Arene Candide établie par L. Bernabò Brea, et attesté alentours sur une dizaine de sites dans la région côtière de Savona (Odetti 1987 ; Barker, Biagi et alii 1990) est reconnu également en Provence orientale à Nice/Caucade (Binder 1990a, b) et en Languedoc à Portiragnes/Peïro Signado (Roudil et Soulier 1981). Les décors céramiques sont rarement effectués à la coquille crénelée, les impressions forment des sillons et des constructions à base de triangles et de rectangles. D’après les données des Arene Candide, l’élevage domine sur la chasse (80 % des restes, surtout des moutons ; Rowley-Conwy 1997), mais la part des céréales dans la diète semble très faible : pas de graines, rares meules et lames à lustré de faucille (Starnini et Voytek 1997a, p. 390). A peu de distance à l’intérieur des terres, les sites du Val Pennavaira (Arma dello Stefanin, grotta Pertusello) montrent une importance variable mais plus faible de l’élevage, peut-être liée à des fonctions spécifiques (Barker, Biagi et alii 1990). Le deuxième style dit Cardial géométrique ou tyrrhénien, emploie de manière quasi-exclusive la coquille crénelée (Cardium ou mollusques proches) pour de grandes constructions bien structurées et couvrantes. Comme dans l’Impressa, des céramiques monochromes sont présentes (Calvi Rezia 1980). Le Cardial géométrique est implanté en Corse (Basi), en Sardaigne (Filestru) et en Toscane (Pienza), mais ses influences sont perceptibles sur plusieurs sites côtiers provençaux (Courtin 1974 ; Roudil et Soulier 1981 ; Binder, Brochier et alii 1993).
Le Cardial zoné est probablement de formation quelque peu postérieure aux deux premiers styles. Il emploie aussi le décor par impressions à la coquille crénelée (le Cardium) en bandes horizontales, ainsi que des décors plastiques (cordons lisses, pastilles) dès ses phases anciennes (Courtin 1976a ; Binder et Courtin 1986). Implanté en Provence, Languedoc, Espagne orientale, Portugal, le Cardial zoné est le premier Néolithique de Méditerranée occidentale à occuper des terres éloignées de la mer (Guilaine 1976, 1986 ; Guilaine et Roudil 1976). Pour les régions qui nous intéressent, de petits groupes de dix à vingt sites sont identifiés en Provence orientale (Fontbrégoua à Salernes dans le Var ; Echallier et Courtin 1994, Courtin 1976c), près de Marseille (Châteauneuf-lès-Martigues ; Escalon de Fonton 1956, Courtin, Evin et Thommeret 1985) dans le nord du Vaucluse (Le Baratin à Courthézon ; Courtin 1976b ; Sénépart 1998) et, en rive droite du Rhône, le long et entre les vallées de la Cèze et de l’Ardèche (Baume d’Oullins à Labastide-de-Virac ; Roudil 1987, Baume de Ronze à Orgnac ; Beeching 1986, 1987). Le Cardial est en outre présent dès les phases anciennes de la sériation régionale (phases 1 et 2 du groupe Cèze-Ardèche ; Beeching 1987, 1995a) en moyenne vallée du Rhône au moins jusqu’à la hauteur de Soyons et de la basse vallée de l’Isère, et est bien implanté dans les petits bassins et reliefs de rive gauche du fleuve : Tricastin et Valdaine (ibid.), Diois (Beeching et Brochier dir. 1994). Ces régions sont densément occupées dès le Mésolithique (Beeching, Brochier et Cordier 2000).
De plus, les Préalpes connaissent sans retard une occupation néolithique liée au Cardial (Beeching 1995a, 1999b), tant dans les Baronnies (Barret-de-Lioure/le Moulin, couche 6), les Préalpes drômoises (abri Baron à Chauvac, abri des Corréardes à Lus-la-Croix-Haute, Plateau du Rif à la Motte-Chalancon) qu’en Chartreuse (abri de l’Aulp-du-Seuil à Saint-Bernard-du-Touvet ; Bintz, Argant et alii 1999). La présence de sites d’altitude33, déjà connue en Provence orientale (grotte Lombard à Saint-Vallier-de-Thiey, Grande Baume à Géménos ; Courtin 1976a) et dans les Alpes du Sud (Gias del Ciari sur le Mont-Bego, 2100 m ; de Lumley, Mano et alii 1991), ainsi que la variété des paysages occupés par le Cardial permettent d’entrevoir une organisation en réseau avec de probables sites spécialisés, en particulier des grottes et abris dédiés à la chasse : citons, dans la zone considérée, la grotte Lombard (Binder dir. 1991), l’abri des Corréardes (Chaix 1999) et dans une moindre mesure, la grotte de l’Aigle à Méjannes-le-Clap (Poulain in Roudil et Soulier 1979).
D’une manière générale, l’élevage est moins développé que dans l’Impressa bien que sur certains sites comme le Baratin à Courthézon les restes d’animaux domestiques dominent en nombre ceux des faunes sauvages (Courtin 1974, p. 35, 1976b). Par contre, si la pratique de l’agriculture est incontestable, son importance est difficile à évaluer : les faucilles et les meules sont peu nombreuses, et seuls quelques sites ont livré des graines de céréales carbonisées en quantités notoires34. Le dynamisme de la néolithisation s’exprime également dans des sites préalpins qui présentent des niveaux d’occupation mal définis car fouillés en stratigraphie sur de petites surfaces, où la céramique est absente, mais avec faune domestique attestée (Chaix, Guinand et Olive 1991 ; Chaix 1997), et datés à hauteur des phases anciennes du Cardial zoné (Bintz, Picavet et Evin 1995)35. Considérés un temps comme témoignant d’un Mésolithique Castelnovien néolithisé36 (Epicastelnovien ; ibid.), l’examen des industries lithiques permet de pencher aujourd’hui pour un Néolithique proche du Cardial dans la mesure où les armatures sont semblables (Binder 1987, Beeching 1999b), sauf à La Grande Rivoire. Mais au-delà des faits, la compréhension de cette néolithisation préalpine, de ses motivations et de son déroulement demeurent à établir (Beeching 1999b, p. 469-473).
1700 m pour l’Aulp-du-Seuil, 1000 m pour les Corréardes.
Châteauneuf-lès-Martigues (Courtin, Evin et Thommeret 1985), Fontbrégoua (Courtin 1974, p. 35), Saint-Paul-Trois-Châteaux/Valladas (Beeching 1995).
A Choranche/Balme Rousse, un niveau C1b pauvre en mobilier mais où la faune domestique domine (Bintz, Picavet et Evin 1995) ; à Choranche/Coufin, un niveau dont l’industrie lithique comporte des flèches de Montclus (ibid.) ; à La Grande Rivoire à Sassenage, la couche B2b et/ou B2a avec boeuf domestique et lithique de tradition castelnovienne (ibid., Picavet 1999). Plus au nord à La Balme-de-Thuy/abri de la Vieille-Eglise en Haute-Savoie, la couche 5B, mal définie, présenterait des armatures tranchantes de types mésolithique (Jura) et cardial avec faune domestique (Bintz, Ginestet et Pion 1991 ; Chaix, Ginestet et Olive 1987).
Le site de ramassages de plein-air de Bouvante dans le Vercors, longtemps décrit comme typique de cet Epicastelnovien, présente entre autre des industries lithiques castelnoviennes et cardiales juxtaposées (Binder 1987 ; Bintz 1991 ; Pelegrin et Riche 1999).