4.2.3 La néolithisation de l’Italie du Nord et du Valais

La néolithisation des régions au nord des Apennins se déroule dans une tranche de temps correspondant à la phase récente du Néolithique ancien de Ligurie et du Sud de la France et aux phases initiales du Néolithique moyen, à partir de 5400-5200 av. J.-C. et avant 4500 avant J.-C. (Bagolini et Biagi 1990). La variabilité culturelle est importante d’un site à l’autre et les groupes identifiés montrent de nombreux points communs (Bagolini et Biagi 1976). La présence d’un Mésolithique récent très proche du Castelnovien, bien implanté dans les Alpes centrales (Baroni, Biagi et alii 1990) et orientales (Broglio 1973, Bagolini 1987, Broglio et Lanzinger 1990) mais connu également en Piémont (Biagi 1988) conditionne des modalités de néolithisation variables selon les régions, mais toujours effectuées sur un fond mésolithique fort (Biagi 1980). Sauf exception (groupe d’Isolino ; Bagolini 1990-91) l’industrie lithique taillée est de type castelnovien (cf. supra), l’élevage, quand il est attesté, est toujours moins présent que la chasse. Tous les groupes culturels de ce Neolitico antico padano sont cependant issus de l’Impressa pour leurs composantes principales, avec des céramiques à fonds plats ou des pieds annulaires et le recours au décor impressionné. Le plus dynamique de ces groupes, le Fiorano, est implanté sur des sites de plein-air au pied nord des Apennins en Padanie centre-orientale (Emilie, nord de la Toscane) et en Vénétie. Le style céramique, et en particulier les pichets carénés ou à profil en S à une anse, trouve des correspondances dans tous les autres groupes d’Italie du Nord (Bagolini et Biagi 1976). L’élevage et l’agriculture sont attestés (Biagi et Nisbet 1987 ; Biagi, Cremaschi et Nisbet 1993). En Padanie centrale, le groupe de Vhò est mieux connu par des sites de plein-air avec fosses, fouillés en particulier dans la région de Piadena (Bagolini et Biagi 1976 ; Biagi et Nisbet 1987). La part de l’élevage est importante et la céréaliculture est attestée37. Dans le Frioul, un autre groupe est défini à partir des fouilles des grands sites de plein-air de Fagnigola et de Sammardenchia, qui ont livré faune domestique et graines de céréales et de légumineuses (Montagnari Kokelj, Boschian et alii 1998 ; Pessina et Ferrari 1998).

Le sud du Piémont connaît une néolithisation liée à l’Impressa (Bagolini et Biagi 1977a ; Gambari, Venturino-Gambari et D’Errico 1992). D’après les fouilles récentes d’Alba, qui attestent la pratique de l’élevage et de l’agriculture, une première phase serait imputable à l’Impressa ligure, avec en particulier des décors de cordons horizontaux à impressions rondes, suivie par une seconde phase à décors incisés selon une syntaxe géométrique (réticulés, chevrons) sur des vases à pied et à anses larges qui définissent un style régional (dit groupe d’Alba) dans le Néolithique ancien padan (Venturino-Gambari 1998). Ce style est attesté surtout dans la vallée du Tanaro, axe naturel important entre la plaine padane centrale et la Ligurie et les Alpes occidentales (ibid.). Plus à l’ouest, le site de Vaie dans la basse vallée de Suse a livré des tessons d’attribution discutée mais rattachables à l’Impressa et au style d’Alba (Bagolini et Biagi 1977a), ce qui attesterait une remontée en direction des hautes vallées alpines et des Alpes françaises.

Une telle occupation dans les vallées alpines n’est pas inconcevable puisque dans la haute vallée de l’Adige, au sein des Alpes orientales occupées depuis l’Epipaléolithique apparaît un groupe de sites à céramiques décorées (dit style Gaban) dont l’industrie lithique et osseuse est en continuité avec le Castelnovien régional (Broglio 1973 ; Bagolini 1987). L’économie est pleinement mésolithique, aucun élevage ni agriculture n’étant à l’heure actuelle reconnus38 (Bagolini 1990c). Sur le site éponyme, l’art mobilier s’enracine dans le Mésolithique sous-jacent mais montre des influences néolithiques en particulier dans les représentations humaines (ibid.). Le groupe de Gaban, documenté surtout par des abris-sous-roche près des fonds de vallées, connaît aussi des implantations de plein-air sur les cônes torrentiels (La Vela di Trento). Un second groupe culturel alpin, dit Isolino (Guerreschi 1976-77), est identifié autour du lac de Varese à partir du site éponyme et de celui de Pizzo di Bodio. L’industrie lithique se démarque fortement du Castelnovien, tandis que la céramique montre des affinités avec l’Impressa ligure et les groupes du Neolitico antico padano (Guerreschi 1977, Bagolini 1990-91).

Le rôle moteur de l’Impressa dans la formation de ces divers groupes néolithisés n’est pas douteux, mais d’autres influences sont perceptibles en particulier dans les décors céramiques, qui appuient l’idée d’une genèse culturelle complexe (Bagolini 1990a). La syntaxe décorative du Fiorano trouve des comparaisons dans les phases évoluées de la céramique rubanée (Notenköpfe). Les décors incisés et gravés et les figurines féminines en terre cuite, bien présents dans le groupe de Vhò mais retrouvés dans toute l’Italie du nord dénotent des influences balkaniques du Starcevò tardif (Bagolini et Biagi 1977b ; Venturino-Gambari 1994-95). Dans les groupes de Gaban et d’Isolino, les décors céramiques abondants montrent un mélange de toutes les influences précitées. A Sammardenchia, les influences balkano-adriatiques sont plus fortes : incisions méandro-spiralées, peintures et céramique phalloïde renvoient aux contextes Danilo de Dalmatie (Pessina et Ferrari 1998).

Ces affinités démontrent l’existence, dans la phase récente du Néolithique ancien, de circulations d’idées nouvelles dans les reliefs alpins orientaux, au sein de populations culturellement ancrées dans le Mésolithique. Ce dynamisme, à rapprocher (bien que dissemblable) de celui qui se fait jour dans les Préalpes françaises conduit à l’implantation de groupes néolithiques très en amont dans les vallées, tel Castelgrande à Bellinzona dans le Tessin, dont le statut économique n’est pas connu (Donati 1986, Carazetti 1986). Mieux, une implantation est reconnue au-delà des cols transalpins en Valais central : à Sion, les sites de La Planta et de Tourbillon ont livré des vestiges pleinement néolithiques, où l’élevage représente quasiment la totalité des restes osseux (Gallay, Carazzetti et Brunier 1983 ; Müller 1995 ; Chaix 1997). Le mobilier céramique et lithique renvoie aux contextes d’Italie du Nord, Impressa et Isolino, mais la primauté de l’élevage contraste avec la situation ligure et padane où il est toujours moins représenté que la chasse.

Notes
37.

Par des graines de céréales, des meules et des lames à lustré de faucille (Biagi et Nisbet 1987 ; Biagi, Cremaschi et Nisbet 1993).

38.

Néanmoins, à La Vela di Trento, la possibilité d’acquisition de l’élevage est évoquée (Bagolini 1990c), ainsi que dans les phases récentes du site éponyme (Bagolini et Biagi 1976).