Les relations transalpines sont bien documentées pour le Néolithique moyen, avec semble-t’il de fortes variations chronologiques. Dans le NM I, les influences ligures et padanes dans le bassin du Rhône et en Provence se manifestent d’abord (NM IA de Beeching 1999b) sous la forme des décors gravés et des céramiques Fiorano, toujours en petits nombre. Les traces de contacts inverses sont rares : les tranchets signalés à Alba (Gambari, Venturino-Gambari et D’Errico 1992, fig. 43) pourraient être rapportés à cette période, voire un stade antérieur, plutôt qu’au Chasséen. Puis (NM IB), tant dans les Préalpes qu’en moyenne vallée du Rhône, en contexte Saint-Uze et Chasséen ancien, des vases à ouverture quadrangulaire démontrent des relations culturelles sans doute constantes, puisqu’ils sont présents sur bon nombre de sites et ce durant l’ensemble du NM I, voire au début du NM II pour la Savoie (Beeching 1999b). De telles formes céramiques se retrouvent bien au-delà à l’ouest (Bazzanella 1997) et démontrent le dynamisme du complexe VBQ souligné par les auteurs italiens (cf. supra). Mais il est intéressant de relever le rôle de filtre opéré par les massifs alpins, puisque des traits marquants du VBQ ne franchissent pas les Alpes, sauf exceptions : les vases à ouverture quadrangulaire du bassin du Rhône ne portent pas de décors, contrairement à ceux d’Italie, et n’ont pas de fond plat (exception faite de Sinard/Pingallas près de Grenoble ; Thieriot et Bertran in Beeching 1999b, p. 479-480) ; les statuettes féminines et les pintadere sont inconnues à l’ouest des Alpes, à l’exception du possible exemplaire en calcaire trouvé à la grotte de l’Eglise inférieure à Baudinard (Var), couche 6 (Courtin 1974, p. 87 et fig. 33 n° 1). Les influx VBQ, bien que nets, sont donc circonscrits. Mais la question des relations du style Saint-Uze avec le monde nord-italien demeure inexplorée (Beeching 1999b, p. 469). Des séries à fortes composantes Saint-Uze et VBQ comme celle des Estournelles à Simandres (ibid. ; Thiériot et Saintot 1999) démontrent la complexité des liens et l’impossibilité actuelle de les démêler en détail, en l’absence de connaissances de ces phases dans les régions intra-alpines.
Au Néolithique moyen II, la balance des influences s’inverse et se complexifie. En Ligurie et en Piémont s’affirme dans le dernier quart du Vème millénaire av. J.-C. une présence chasséenne qui imprègne peu à peu l’ensemble de l’Italie du Nord. Aux Arene Candide comme à Chiomonte, il s’agit en l’état actuel des connaissances d’un Chasséen qui doit peu de choses au VBQ. Dans les plaines padanes et jusque dans les piémonts des Alpes centrales, l’influx chasséen conduit à la formation du groupe de La Lagozza, qui entretient lui-même des relations avec les groupes chasséens récents de la vallée du Rhône et le Cortaillod type Saint-Léonard du Valais (supra). L’ensemble des Alpes occidentales et de la Padanie occidentale semble ainsi marquée par l’empreinte chasséenne, en plusieurs phases et influences réciproques, ce qui dénote l’ampleur des contacts établis à travers les reliefs alpins. L’évolution du Néolithique post-VBQ II en Piémont semble plus influencée par le nord des Alpes, inaugurant une certaine dichotomie encore très imprécise avec les reliefs alpins occidentaux.
Les données funéraires viennent appuyer cette idée de l’émergence progressive d’une certaine forme d’autonomie des Alpes occidentales durant le Néolithique moyen. Le rituel funéraire des inhumations en cistes de type Chamblandes, «petits caissons en dalles, établis sous la surface du sol, et ne dépassant pas un mètre de longueur pour une largeur de soixante centimètres environ» (Moinat 1998, p. 129), possède une répartition alpine relevée depuis longtemps52 : les nécropoles sont bien attestées dans le bassin lémanique (Pully/Chamblandes, Lausanne/Vidy) et dans le Valais, en particulier à Sion (Baudais, Brunier et alii 1989-1990), mais elles sont également présentes sur le Plateau suisse jusqu’au Rhin, dans le Val d’Aoste (Mezzena 1997), en Tarentaise à Aime/Le Replat (Gély, Ougier-Simonin et Porte 1991) et sur le haut Rhône français à Montagnieu/grotte de Souhait (Desbrosse, Parriat et Perraud 1961). A. Bocquet s’appuie sur ce fait pour proposer, dès le Néolithique moyen, l’existence d’un véritable «domaine alpin d’altitude» (Bocquet 1997 ; cf. p. 41). Mais les parallèles probables avec les tombes en cistes de Ligurie (del Lucchese 1997), du Languedoc et des Pyrénées méditerranéennes (Vaquer 1998), ainsi que la longue emprise chronologique du rituel entre 5000 et 3000 environ av. J.-C., précédée d’une probable étape formative en Valais et près du Léman (Moinat 1998), ne permet pas de lier exclusivement le rituel Chamblandes à un particularisme alpin. Il dénote plutôt un dynamisme culturel commun aux Alpes occidentales qui pourrait être opposé aux choix funéraires attestés -dans une phase finale du Chasséen- en moyenne vallée du Rhône où les cistes sont inconnues (Beeching et Crubézy 1998).
Gallay 1977, p. 167-173 ; Sauter 1980, p. 70-71 ; Baudais et Kramar 1990, p. 49-51.