5.1.2 Les faux intentionnels

De nombreux cas de fraudes archéologiques sont connus dès le XIXème siècle, à fins de truffage de sites ou pour des raisons plus lucratives : le vrai commerce d’objets par lequel ont été en partie au moins constituées les grandes collections a favorisé la création de faux (Coye 1997, p. 126-127), et cette pratique n’est pas obsolète. Objets chargés de valeurs symboliques et esthétiques, les lames de hache polies n’ont pas échappé au phénomène. Il est donc probable qu’un certain nombre de lames polies conservées dans les collections privées ou publiques soient des faux. Nous avons été attentif à cette question tout au long de l’examen des séries.

Nous n’avons rencontré qu’un petit nombre d’objets dont l’authenticité peut être mise en doute, soit par leurs caractères intrinsèques, soit par leur contexte. Un cas simple est fourni par trois lames polies déposées au Musée des Antiquités Nationales, inventoriées comme faux dans le registre d’entrée (n° 26341, 26342 et 26343) : «Acheté à M. Charras, de Nyons (Drôme), le 2 mars 1881. Prix 15 francs. Haches polies fausses, prises comme exemple et surtout comme roche». Il s’agit en effet de simples galets biseautés en serpentinite. D’autres cas sont moins faciles à dépister, d’autant plus que des simulacres de lames polies sont attestées dès le Néolithique. Les critères retenus pour suspecter un faux ont rapport à la matière première employée, au support, aux techniques de façonnage, à la forme et parfois à la patine, l’association de plusieurs critères étant souvent déterminante. Pour la matière première, hormis les rares cas de lames polies en roches tendres (calcaires par exemple) qui peuvent être néolithiques (cf. supra), le doute provient de l’emploi d’une roche dont la couleur est la texture sont dans les tons des roches tenaces vertes, mais de nature pétrographique différente, schiste vert par exemple. La simplicité et l’absence de maîtrise des techniques de façonnage, conduisant à des formes irrégulières, peuvent être suspectes : absence de taille (galet utilisé brut, par exemple) ou emploi d’un éclat grossier, absence ou grossièreté du bouchardage ; polissage rapide, à stries irrégulières, mal mené, non patiné. L’association de ces critères nous a permis d’identifier de très rares cas de faux qui nous semblent indéniables : il s’agit, comme pour les lames de hache précitées, de pièces ne dépassant pas la dizaine de centimètres de long, façonnées sur galet de serpentinite soit très sombre, soit mouchetée à fort contraste de couleur, le galet étant laissé entier, les biseaux seuls polis. Un cas existe dans la collection Vaufrey déposée au musée de Valence (n° AR793-242 ; Thirault 1993, pl. 27). Deux cas sont reconnus en Maurienne, dont un, d’après l’enquête orale de P.-J. Rey, est un faux fabriqué délibérément pour gruger un archéologue amateur (Rey 1999, p. 705). Moins faciles à démontrer, les cas de fausses antiquités lacustres concernent aussi les lames polies. Nous avons des soupçons en particulier pour une station d’Excenevez au bord du Léman (fiche n°610) et pour celle de Coudrée à Sciez (site n° 628-1 ; pl. 34). L’examen de toutes ces pièces montre une différence considérable de savoir-faire sur le même site entre les authentiques et les faux. De même, quatre lames polies du site de Beau-Phare sur le lac d’Aiguebelette (n° 501-1) ont été écartées de l’étude car leurs surfaces très érodées et l’aspect de leurs roches constitutives ne permettent pas de lever le doute (ancienne collection Blanc déposée au Musée Savoisien).

Un cas plus original a été identifié par P.-J. Rey. Une grande lame polie authentique découverte anciennement dans le lac d’Aiguebelette (fiche n° 501-0), photographiée au début du XXème siècle par H. Müller, était ébréchée. Elle est aujourd’hui conservée au Muséum d’Histoire Naturelle de Lyon avec un tranchant parfaitement (re)poli, identifiable par l’absence de patine (Rey 1999, vol. 3 p. 825-826, pl. 123 n° 1). Le fait n’est pas pour nous surprendre puisque H. Müller explique dans une publication consacrée à des expérimentations diverses comment il a repoli les biseaux de lames de hache du Musée Dauphinois pour réaliser des abattages d’arbre (Müller 1903).

Malgré notre prudence, nous ne pouvons assurer que des faux habiles, c’est-à-dire réalisés selon les matériaux et les techniques néolithiques, ne soient pas passés inaperçus. Il nous semble néanmoins que ces pièces éventuelles ne peuvent être que peu nombreuses et donc sans réelle influence statistique.