1.1.2 Le cas des roches métamorphiques de haute pression/basse température

Au sein des roches alpines s. géol., un ensemble de roches métamorphiques formées dans des conditions proches, communément dénommées glaucophanites, éclogites, omphacitites, jadéitites ou jades, suscite un grand intérêt depuis plus d’un siècle tant chez les géologues que chez les préhistoriens. Pour les premiers, elles constituent les témoins directs des conditions de formation des Alpes, puisqu’elles ont été métamorphisées lors de la subduction des séries océaniques (les ophiolites) ; pour les préhistoriens, elles sont le principal support des lames de hache produites dans les Alpes occidentales. Une certaine confusion ayant cours chez les préhistoriens sur l’emploi des termes et leur interprétation, il est utile de rappeler quelques définitions avant de présenter les résultats acquis lors d’études des études antérieures d’objets archéologiques, puis nos propres choix de nomenclature.

Le nom d’une roche dépend de sa structure et des minéraux qu’elle contient. Le métamorphisme agit en changeant les conditions de stabilité de la roche et provoque l’apparition de nouveaux minéraux, dans le respect de la composition chimique globale de la roche préexistante. Le métamorphisme alpin de haute pression et basse température (HP/BT) a ainsi transformé des ophiolites, empilement de roches basiques et acides, et a fait apparaître dans les métabasites le minéral glaucophane (faciès métamorphique dit de schiste bleu) puis des pyroxènes sodiques de type omphacite et des grenats (faciès métamorphique dit éclogitique). Les roches acides et en particulier les plagiogranites soumis aux mêmes conditions ont vu apparaître le minéral jadéite dans les deux faciès métamorphiques précités, parfois sous forme de véritables jadéitites, c’est-à-dire de roches essentiellement constituées de jadéite. Mais la jadéite s’est également formée dans les métabasites lors de la cristallisation des omphacites, les modifications de composition chimique entraînant l’apparition de couronnes de jadéite autour des omphacites ; dans d’autres cas, elle s’est différenciée et se présente sous forme de minéraux distincts, à l’échelle microscopique ou macroscopique (Pognante 1989). Si les roches n’ont pas été rétromorphosées, c’est-à-dire si elles n’ont pas subi un nouveau métamorphisme après celui de HP/BT, les structures et les associations minérales ont été conservées et les roches dites fraîches peuvent être nommées d’après leur constituant principal : omphacitite, glaucophanite, jadéitite et éclogite (pour l’association omphacite + grenat).

Les pétrographes et minéralogistes travaillant sur les objets archéologiques de provenance géologique alpine ont nommé les roches de manière variable, ce qui introduit des confusions dans la nomenclature, en particulier à propos de la place à accorder aux roches contenant de la jadéite. En plus des cas de jadéitites pures, les études géochimiques réalisées à la microsonde électronique sur des objets d’origine géologique alpine démontrent dans certains échantillons la présence des minéraux jadéite et omphacite, tant dans les omphacitites pures que dans les éclogites (Compagnoni, Ricq-de Bouard et alii 1995 ; D’Amico, Campana et alii 1995). Sur la base de ces résultats, les premiers auteurs distinguent deux groupes de roches : les éclogites et les omphacitites d’une part, les jadéitites d’autre part (Compagnoni, Ricq-de Bouard et alii 1995)69. Pour les jadéitites, les auteurs reconnaissent que leur provenance géographique n’est pas éclaircie, et proposent l’existence de deux types de jadéitites : celles contenant du zircon et de rares ilménites ou titanites peuvent être originaires de la zone piémontaise externe (faciès des schistes bleus), tandis que celles qui peuvent être associées aux faciès éclogitiques de la zone piémontaise interne contiennent du rutile. Le second groupe d’auteurs, à l’inverse, sépare les éclogites sensu stricto (pyroxène type omphacite + 5 % minimum de grenats) des pyroxénites dépourvues de grenats, omphacitites ou jadéitites regroupées sous le terme de jades70, mais ils ne se prononcent pas sur les provenances possibles (D’Amico, Campana et alii 1995)71.

Les analyses réalisées dans le cadre du programme CIRCALP ont abouti à des résultats comparables. En effet, à côté d’éclogites s.s., d’omphacitites et de jadéitites, ont été déterminés quatre cas de roches constituées de jadéite et de grenat (carte 14). En l’absence d’analyse géochimique, il est difficile de dire s’il s’agit de jadéite pure ou de pyroxènes contenant une proportion notable de jadéite. Afin de conserver la possibilité de discriminer des origines géographiques différentes, nous avons regroupé sous le terme d’éclogites les éclogites s.s. (omphacite [+ parfois jadéite] + grenat), les omphacitites et les jadéitites à grenats, car ces roches ont de bonnes chances d’être associées sur les mêmes affleurements. De plus, le grenat est aisé à identifier à l’oeil et constitue un minéral-repère sûr. Les jadéitites vraies ont été placées dans un groupe, les glaucophanites et roches à glaucophane dominant ont été regroupées.

Notes
69.

Dans ses travaux précédents, M. Ricq-de Bouard avait déjà sur des bases pétrographiques distingué ces deux groupes, en posant la question de l’origine des jadéitites (Ricq-de Bouard, Compagnoni et alii 1990).

70.

La jade est une appellation de joaillerie qui désigne deux types de roches différents : les pyroxénites à forte proportion de jadéite, dites jadéitites, et les néphrites, composées d’amphiboles de type trémolite qui sont associés aux serpentinites.

71.

Notons que dans les études minéralogiques effectuées par les auteurs anglo-saxons sur des objets archéologiques, les termes de «jade» ou de «jadéite» sont appliqués à l’ensemble des pyroxénites de HP/BT, avec ou sans grenat (pour la Grande-Bretagne : Campbell-Smith 1963 ; Woolley, Bischop et alii 1979 ; pour les Pays-Bas : Schut, Kars et alii 1987 ; pour l’Italie méridionale : Leighton et Dixon 1992).