1.1.2 Les polissoirs

Le polissage intervient souvent dans la vie d’une lame de hache : pour le façonnage initial, au moins pour les biseaux du tranchant ; pour l’entretien du fil du tranchant ; pour les reprises de forme consécutives aux cassures du tranchant ou du corps. Le principe est celui d’une percussion posée diffuse : l’enlèvement de matière se fait au moyen d’un abrasif qui est de manière classique la silice, choisie pour sa dureté (7, c’est-à-dire supérieure ou de peu inférieure aux minéraux constituant les roches tenaces ; fig. 8) et son abondance dans la nature. La silice existe sous des formes variées : roches métamorphiques et magmatiques riches en quartz (gneiss, granites), quartz aggloméré en grès ou molasse plus ou moins fins et cohérents, sables, diatomites (roches riches en fossiles végétaux siliceux), végétaux à structure siliceuse (phytolites). Les grès, bien que d’usage universel, ne sont donc pas les seuls types de roches potentiellement utilisables, ni les seuls agents possibles. Selon les qualités du matériau, en particulier la cohérence des grains, l’ajout d’un abrasif non aggloméré de type sable siliceux permet d’entretenir ou de renforcer les qualités abrasives de la pierre, y compris pour les grès : s’ils sont trop cohérents, les grains de quartz ne s’arrachent pas lors du travail et se polissent eux aussi, surtout si la roche à polir est constituée de minéraux plus durs. Pour les grès moins cohérents, il se produit un auto-entretien de la surface active par arrachement progressif des grains de quartz, et ce type de matériau est préférentiellement employé. La finesse du polissage dépend de la dimension des grains de quartz et de leur régularité. La finesse du grain du polissoir est donc un critère de sélection important. L’emploi de diatomites ou de plantes à nombreux phytolites, telles que les graminées ou les prêles permet théoriquement d’obtenir des polis très fins à stries invisibles à l’oeil pour une finition de qualité. Un exemple ethnologique est fourni par Ormu Wari en Irian Jaya où le poli ultime des grandes lames de hache est obtenu par abrasion sur des infrabases de palmier (Pétrequin et Pétrequin 1993, p. 327-331).

Les dimensions requises et les formes des surfaces actives dépendent du type de polissage. Pour le façonnage, il est nécessaire d’avoir un polissoir passif de longueur supérieure à la longueur de l’ébauche. L’abrasion forme peu à peu des cuvettes ou des rainures plus ou moins concaves selon le geste et la durée d’usage. Les concavités permettent en outre de retenir les éventuels abrasifs ajoutés mais les boues de minéraux arrachés à l’ébauche doivent être évacuées afin de ne pas empâter les abrasifs. L’ajout d’eau est impératif pour faciliter le mouvement de va-et-vient et limiter l’échauffement de la roche. Pour les reprises de biseaux et l’affûtage du fil, le polissoir peut être de moindres dimensions et tenu en main, utilisé de manière passive ou active. Les formes et les dimensions des polissoirs peuvent donc renseigner sur les opérations effectuées. Les études expérimentales ne sont pas encore suffisamment développées pour apporter des réponses sûres à la relation entre la forme des surfaces de travail, les gestes et les fonctions. Pour le mobilier de Chalain 3, les rainures plates et les cuvettes sont mises en relation avec le polissage des faces et des tranchants de lames de hache, et les rainures profondes et courtes au polissage des côtés ou de biseaux en os, selon un mouvement longitudinal (Monnier, Pétrequin et alii 1997). N. Lazard obtient un résultat similaire sur des séries expérimentales (Lazard 1993, p. 88-90). Il semble donc que seules les rainures étroites puissent à l’heure actuelle être corrélées avec un geste précis ; les rainures larges et les cuvettes peuvent avoir été utilisées de diverses manières. De plus, la question de l’emploi des polissoirs pour d’autres usages que le polissage des lames de hache ne peut être éludée. L’étude des contextes de découverte et des mobiliers associés permet au cas par cas de débattre de fonctions autres, telles que le polissage d’autres types d’objets en pierre, en os ou en bois de cerf. Néanmoins, il est probable que les polissoirs soient multifonctionnels et servent tout à tour pour travailler l’une ou l’autre matière. Nous avons cependant écarté d’emblée les petits polissoirs à main avec cannelure rectiligne décrits comme polissoirs à baguettes (hampe de flèche, par exemple, tels ceux du dolmen MVI du Petit-Chasseur à Sion ; Bocksberger 1976, pl. 32).

Dans les Alpes occidentales et le bassin du Rhône, trois gabarits de polissoirs sont recensés :

La plupart nous sont parvenus à l’état de fragment, à cause de la fragilité des roches employées, ce qui rend difficile l’appréciation de leur forme et de leur gabarit et laisse supposer que d’autres pièces ont pu se dissoudre dans le sol ou ne pas être identifiées -et donc jetées- par les fouilleurs. De plus, les fragments de polissoirs ont pu être recyclés comme abrasif, dégraissant pour céramique, etc. Nous les décrivons site par site avant d’en dresser un rapide bilan.