1.3 La fabrication des lames polies : de l’ébauche à la lame achevée

Une fois l’ébauche débitée et préparée par sciage et taille interviennent deux techniques de façonnage, le bouchardage et le polissage, qui permettent de régulariser la pièce et lui donner sa forme définitive et son tranchant. Bouchardage et polissage agissent par enlèvement de matière lent et contrôlé. Le bouchardage (appelé aussi piquetage ou martelage pour des actions légères) agit par écrasement et éclatement progressif des cristaux par percussions répétées sur les surfaces de l’objet à l’aide d’un percuteur dur, tandis que le polissage procède par abrasion sur un polissoir passif ou actif (Leroi-Gourhan 1943, p. 45-64). L’une et l’autre techniques sont coûteuses en temps de travail et procèdent de deux choix différents pour aboutir à un résultat proche. Pour le bouchardage, la frappe répétée sur l’ébauche produit de petits enlèvements réguliers, qui permettent de faire progresser la mise en forme selon un front dirigé d’une extrémité à l’autre ou d’une surface à l’autre. Les risques de cassures ne sont pas négligeables, provoqués par une trop grande force de frappe, par le jeu de fissures préexistantes (originelles au bloc-matrice ou provoquées lors de la taille) ou de mauvaises positions de travail (la boucharde doit être maintenue selon un angle fermé pour frapper de biais les cristaux et ne pas diriger les ondes de choc vers le coeur de la roche). La surface obtenue par bouchardage est plus ou moins rugueuse, et cet état est souvent considéré comme un moyen de bloquer la lame dans son emmanchement. L’examen de nombreuses pièces montre que le bouchardage se lustre sous l’action du jeu dans l’emmanchement, atténuant ainsi grandement la rugosité initiale (cf. chapitre 5). Des reprises de bouchardage peuvent donc être envisagées pour redonner de la rugosité aux surfaces. Le polissage agit par usure progressive sur une surface étendue en frottant avec force l’ébauche sur un matériau abrasif. Le polissage est d’autant plus lent et fastidieux que la roche est dure et tenace, mais il permet de contrôler à volonté l’avancée du travail et de créer n’importe quelle forme avec une grande précision. Les risques d’accidents sont minimes, liés aux fissures préexistantes et à la rupture par appui trop fort sur une ébauche trop frêle. Le polissage a deux avantages : s’il est mené avec intensité, il donne une surface parfaitement lisse et révèle les qualités esthétiques de la roche. De plus, il permet de façonner des surfaces très régulières, planes ou convexes à volonté, et en particulier les biseaux du tranchant pour former le fil coupant de la lame polie. Il est donc toujours employé au moins pour le tranchant.

La suite technique logique et classiquement décrite est celle d’une succession du bouchardage et du polissage, le premier pour régulariser l’ébauche, le second pour la terminer et lui donner un bel aspect et un tranchant. Mais l’observation des lames polies démontre qu’il s’agit en fait de deux techniques complémentaires dont la succession n’est pas immuable, dont l’emploi et l’intensité diffèrent selon les pièces et peuvent même être exclusifs. De plus, les réfections partielles ou totales des lames polies endommagées emploient tout à tour polissage et bouchardage pour redonner au corps une forme régulière en insérant les reprises dans la géométrie de la forme antérieure. Bouchardage et polissage constituent donc deux techniques indissociables dont l’étude doit être menée conjointement, puisque c’est dans l’évaluation du couple bouchardage/polissage que se révèlent les choix techniques, morphologiques et esthétiques des fabricants de lames polies. Nous présentons donc les caractères principaux de chacune des techniques avant d’étudier leurs relations respectives.