Pour fonder une classification morpho-technique, nous avons effectué un tri en deux temps sur un corpus de 623 lames polies entières exemptes de traces visibles de reprises de refaçonnage.
Un premier découpage est fait selon les trois types principaux de section, ovalaire, rectangulaire et intermédiaire entre les deux, et la présence et la géométrie des bouchardage et polissage sur l’objet (fig. 27, haut). Seuls les effectifs supérieurs à 5 sont pris en compte, afin d’écarter dans un premier temps les objets anecdotiques, difficiles à classer. Une première sériation est possible : une association nette est mise en évidence entre le bouchardage total de la pièce (faces et côtés) et la section ovalaire : 90 % des sections ovalaires sont obtenues ainsi. Ce résultat attendu et conforme à la logique technique permet de définir en opposition une association entre le polissage des quatre surfaces et les sections de tendance quadrangulaire (rectangulaire ou intermédiaire) : 79 % des sections rectangulaires sont obtenues par polissage des quatre surfaces, tandis qu’à l’inverse 91 % des lames polies sur leurs quatre surfaces sont de section rectangulaire ou intermédiaire. Un troisième ensemble émerge, avec des sections surtout intermédiaires et le recours au bouchardage pour les côtés, et au polissage pour les faces.
Chaque effectif est ensuite décomposé afin d’intégrer la variable quantitative de l’emploi du bouchardage et du polissage pour chacune des surfaces (fig. 27, bas). En reprenant les associations et exclusions mises en évidence plus haut, nous avons décompté les effectifs en séparant les faces et les côtés considérés chacun comme un couple cohérent. Les faces sont prises comme guide, car elles sont les plus visibles et donc les plus soumises à l’attention du fabricant : elles imposent la répartition générale des techniques de façonnage sur l’objet. Cinq classes sont définies : emploi exclusif du bouchardage, bouchardage supérieur au polissage, équilibre entre les deux techniques, supériorité du polissage et polissage exclusif. Comme précisé plus haut, nous avons considéré le rapport d’intensité d’usage de chaque technique l’une par rapport à l’autre, mais ces variables intègrent aussi, dans la mesure du possible, l’intensité absolue d’emploi de la technique : l’étude au cas par cas permet de se faire une idée relativement précise de la succession éventuelle des techniques, en particulier, la reconnaissance d’une phase de bouchardage importante préalable au polissage. Les associations de présence/absence du bouchardage et du polissage (fig. 27, première colonne) sur chaque surface peuvent être regroupées en six ensembles, qui montrent des variations d’intensité d’emploi significatives et corrélées avec la forme de la section. L’ensemble 1 a des sections surtout ovalaires (86 % des cas), parfois intermédiaires (14 %). Le bouchardage intensif concerne les quatre surfaces et exclue le polissage. L’ensemble 2 a des sections surtout ovalaires (69 % des cas), plus rarement intermédiaires (28 %), le bouchardage intensif est développé sur les quatre surfaces et le polissage concerne au moins les faces. Trois cas se présentent : soit le bouchardage domine ou est équilibré avec le poli sur les faces et les côtés ; soit il est dominé sur les faces uniquement ; soit il tend à devenir intégral sur les quatre surfaces. Dans l’ensemble 3, les sections sont ovalaires dans 80 % des cas, peu souvent intermédiaires (17 %). Le bouchardage est employé sur les quatre surfaces et domine toujours, bien que le polissage soit employé sur l’une ou l’autre face. L’ensemble 4 montre un basculement au profit des sections intermédiaires (58,5 %), mais les sections ovalaires demeurent fréquentes (39,5 %). La caractéristique est l’opposition entre le polissage employé uniquement sur les faces et de manière exclusive, et le bouchardage qui occupe les côtés ; il est possible dans certains cas qu’il soit aussi employé pour les faces, mais de manière peu importante et toujours complètement oblitéré par le poli. Dans l’ensemble 5, la tendance aux sections anguleuses s’impose : 34 % sont des sections rectangulaires et 55 % sont intermédiaires. Le bouchardage n’est pas employé, ou de manière marginale n’ayant pas laissé de traces ; le polissage occupe les quatre surfaces. Dans l’ensemble 6, les sections sont rectangulaires dans 16,5 % des cas, intermédiaires dans 83,5 %. Le polissage est employé sur les quatre surfaces, le bouchardage sur les côtés mais il ne domine jamais.
forme de la section | |||||
N° de groupe | ovalaire | rectangle-ovale | rectangulaire | total | |
1 | bouch. faces et côtés, pas de pol. | 62 | 10 | 72 | |
bouch. et pol. faces et côtés | 45 | 25 | 3 | 73 | |
2 | bouch. faces et côtés, pol. faces + 1 côté | 7 | 2 | 9 | |
bouch. faces et côtés, pol. faces | 131 | 48 | 3 | 182 | |
bouch. faces et côtés, pol. face A | 16 | 4 | 20 | ||
3 | bouch. faces et côtés, pol. face B | 12 | 2 | 1 | 15 |
bouch. côtés, pol. faces | 5 | 14 | 1 | 20 | |
4 | bouch. côtés + ?, pol. faces | 13 | 12 | 25 | |
pas de bouch., pol. faces et côtés | 3 | 5 | 10 | 18 | |
5 | pas de bouch. ?, pol. faces et côtés | 6 | 40 | 18 | 64 |
bouch. côtés + ?, pol. faces et côtés | 13 | 2 | 15 | ||
6 | bouch. côtés, pol. faces et côtés | 2 | 1 | 3 | |
total | 300 | 177 | 39 | 516 |
N° de groupe | bouch. intégral sur les faces | bouch. dominant sur faces | bouch. et pol. équilibrés sur faces | pol. dominant sur les faces | pol. intégral sur les faces | total | ||
section ovalaire | ||||||||
1 | bouch. faces et côtés, pas de pol. | 62 | 62 | |||||
bouch. et pol. faces et côtés | 7 | 11 | 14 | 13 | 45 | |||
2 | bouch. faces-côtés, pol. faces + 1côté | 1 | 1 | 5 | 7 | |||
bouch. faces et côtés, pol. faces | 52 | 28 | 49 | 2 | 131 | |||
bouch. faces et côtés, pol. face A | 16 | 16 | ||||||
3 | bouch. faces et côtés, pol. face B | 15 | 1 | 16 | ||||
bouch. côtés, pol. faces | 5 | 5 | ||||||
4 | bouch. côtés +?, pol. faces | 13 | 13 | |||||
pas de bouch., pol. faces et côtés | 3 | 3 | ||||||
5 | pas de bouch. ?, pol. faces et côtés | 6 | 6 | |||||
bouch. côtés +?, pol. faces et côtés | ||||||||
6 | bouch. côtés, pol. faces et côtés | |||||||
total | 62 | 91 | 41 | 71 | 42 | 304 | ||
section rectangle-ovale | ||||||||
1 | bouch. faces et côtés, pas de pol. | 10 | 10 | |||||
bouch. et pol. faces et côtés | 2 | 2 | 16 | 5 | 25 | |||
2 | bouch. faces-côtés, pol. faces + 1côté | 2 | 2 | |||||
bouch. faces et côtés, pol. faces | 10 | 7 | 27 | 4 | 48 | |||
bouch. faces et côtés, pol. face A | 4 | 4 | ||||||
3 | bouch. faces et côtés, pol. face B | 1 | 1 | 2 | ||||
bouch. côtés, pol. faces | 14 | 14 | ||||||
4 | bouch. côtés +?, pol. faces | 1 | 11 | 12 | ||||
pas de bouch., pol. faces et côtés | 5 | 5 | ||||||
5 | pas de bouch. ?, pol. faces et côtés | 40 | 40 | |||||
bouch. côtés +?, pol. faces et côtés | 1 | 12 | 13 | |||||
6 | bouch. côtés, pol. faces et côtés | 2 | 2 | |||||
total | 10 | 17 | 10 | 52 | 93 | 177 | ||
section rectangulaire | ||||||||
1 | bouch. faces et côtés, pas de pol. | |||||||
bouch. et pol. faces et côtés | 1 | 2 | 3 | |||||
2 | bouch. faces-côtés, pol. faces + 1côté | |||||||
bouch. faces et côtés, pol. faces | 1 | 2 | 3 | |||||
bouch. faces et côtés, pol. face A | ||||||||
3 | bouch. faces et côtés, pol. face B | 1 | 1 | |||||
bouch. côtés, pol. faces | 1 | 1 | ||||||
4 | bouch. côtés +?, pol. faces | |||||||
pas de bouch., pol. faces et côtés | 10 | 10 | ||||||
5 | pas de bouch. ?, pol. faces et côtés | 18 | 18 | |||||
bouch. côtés +?, pol. faces et côtés | 2 | 2 | ||||||
6 | bouch. côtés, pol. faces et côtés | 1 | 1 | |||||
total | 3 | 4 | 32 | 39 |
Sur la base de ces regroupements, trois grands types morpho-techniques peuvent être proposés, avec des subdivisions. Chacun correspond à une intention de façonnage précise, même si les cas intermédiaires sont possibles. De plus, certains objets façonnés avec soin ne correspondent à aucun type précis, la logique technique qui a sous-tendu leur fabrication n’étant pas compréhensible. Il s’agit sans doute de solutions individuelles à des problèmes circonstanciels, ou de l’adaptation à un cas particulier, ou de reprises de façonnage non identifiées. Pour la clarté de l’exposé, les types morpho-techniques définis sont résumés sur la figure 28. La nomenclature est reprise d’une étude préliminaire complétée et modifiée (Thirault 1998).
Rappelons au préalable les caractères communs des lames de hache alpines s. géogr. : ce sont des lames polies pleines119, globalement symétriques de face, de profil120 et de section. Cette dernière peut présenter une légère dissymétrie due à l’aplatissement plus important de la face B, fait lié au débitage, ou bien être asymétrique à cause de la géométrie de l’ébauche. Les sections plano-convexes sont anecdotiques et ne sont que des sections ovalaires très dissymétriques, contrairement aux herminettes du monde danubien dont l’ensemble du corps est asymétrique (Childe 1949-50 ; Farruggia 1992).
Le type A correspond aux ensembles 1, 2 et 3. C’est le plus courant (70 % des objets retenus pour la classification) et le plus connu des types alpins et plus généralement des lames de pierre polie façonnées sur roches tenaces peu aptes à la taille (ex. : pl. 126 à 134). Le type A est façonné par un bouchardage important sur les quatre surfaces, pour obtenir une section ovalaire dans trois cas sur quatre, ou un peu anguleuse. Quatre sous-types peuvent être décrits : A1, sans polissage ; A2, avec polissage, surtout sur les faces, souvent en prolongation des biseaux du tranchant, et toujours peu développé ; A3, au poli couvrant sur les faces ; A4, dont le poli occupe les faces et les côtés et recouvre de manière majoritaire ou intégrale le bouchardage. Les distinctions entre A2, 3 et 4 sont quelque peu arbitraires : dans les faits, les cas intermédiaires existent. Le découpage matérialise néanmoins une gradation entre les lames de hache exclusivement bouchardées (A1) et celles grandement ou entièrement polies après bouchardage (A4). Cette gradation se retrouve dans la forme des sections puisque dans le type A1 86 % sont ovalaires, taux qui descend à 57-60 % pour les groupes A2, A3 et A4.
Le type B correspond à l’ensemble 4 (ex : pl. 140-141). Les sections sont en majorité intermédiaires, moins souvent ovalaires, mais le trait caractéristique est la stricte répartition des techniques de façonnage : les faces sont exclusivement polies et les côtés exclusivement bouchardés. L’emploi du bouchardage sur les faces est possible mais jamais perceptible et en tous cas jamais déterminant dans le façonnage.
Le type C (ensembles 5 et 6) est de section plus anguleuse que les précédents : 31 % des sections sont rectangulaires, 60 % intermédiaires(ex : pl. 144). Le trait caractéristique est l’emploi intensif du polissage et le caractère marginal du bouchardage. Deux sous-types sont identifiables : C1, au polissage exclusif, qui est donc l’antinomique de A1 ; C2, au polissage exclusif sur les faces et dominant le bouchardage sur les côtés.
Les types A, B et C correspondent à des lames de hache où le façonnage par bouchardage et polissage constitue une étape importante de la fabrication. Deux autres types, non décomptés jusqu’ici, doivent être ajoutés. Le type D réunit les éclats peu ou pas façonnés, utilisés bruts, vite polis ou égrisés sur les arêtes (ex : pl. 1 n° 3). Le type E concerne les galets utilisés entiers ou taillés sans façonnage postérieur. Sont classés en F les objets façonnés ou non, qui bien qu’entiers ne peuvent être rattachés à aucune des catégories définies plus haut.
Les rares lames perforées forment une catégorie bien identifiable, complètement différente du point de vue pétrographique, technique et fonctionnel (chapitre 4).
Nous excluons le tranchant des considérations de symétrie, puisqu’il s’agit de la partie fonctionnelle de l’outil qui n’est pas en relation directe avec la géométrie générale de la lame de pierre issue de l’intentionalité du fabricant : le tranchant subit au cours de son usage de multiples reprises de façonnage, en particulier de polissage, consécutifs aux incidents et accidents d’usage, qui en altèrent la forme (cf. chapitre 6).