1.1 Les lames de hache-marteau triangulaires perforées du Néolithique moyen

Il s’agit de l’un des types de lames de hache perforées connus dans le Néolithique moyen de Suisse et d’Allemagne du Sud qui s’inscrit dans la filiation des coins perforés en pierre polie des cultures danubiennes (Rubané, Hinkelstein). De forme triangulaire simple, de profil plat (pl. 159), il se distingue nettement des types de haches-marteaux connus dans le Michelsberg, le Pfyn et dans une moindre mesure dans le Cortaillod qui présentent un renflement médian, un sommet élargi formant parfois pour les exemplaires les plus élaborés un bouton, avec des côtés convexes et des cannelures longitudinales de part et d’autre de la perforation (Gonzenbach 1949, p. 47, pl. 6 ; Baer 1959, p. 134-137, pl. 8-9 ; Willms 1982).

Les lames de hache-marteau triangulaires perforées simples connaissent une large répartition, avec des variantes de formes, dans les avant-pays suisses depuis le Léman jusqu’au lac de Constance, et plus au nord-ouest dans le haut bassin de la Saône, la vallée du Rhin moyen, la Lorraine et la Champagne, toujours en faible nombre (Gallay 1977, carte R). Si l’on en croit la définition et l’inventaire dressés par Chr. Willms, cette répartition doit être réduite à la Suisse occidentale pour la forme très précise du type dit «Chamblandes-Twann», forme plate et peu épaisse relativement à la largeur, de section rectangulaire et de forme triangulaire isocèle régulière, la largeur maximale étant atteinte au talon (Willms 1980, p. 108-110 ; cf. pl. 159 n° 1). L’attribution du type générique au Néolithique moyen est démontrée par les rares découvertes de fouille sûre : en contexte funéraire dans la tombe 4 de la nécropole de Lenzburg (Wyss 1969b, fig. 4), dans une tombe en ciste de Pully/Chamblandes (ibid. et Gallay 1977, p. 107-108, pl. 62) et de Lausanne/Vidy (Moinat 1998, p. 134) ; en contexte d’habitat, sept exemplaires à Egolzwil 3 avec des variations de forme et de régularité (Wyss 1994, pl. 15-16), à Twann en deux exemplaires dont un entier (Willms 1980, ibid. et pl. 32), et en Valais à Sion/Sous-le-Scex, couche 17 avec une moitié distale (Voruz 1991a, pl. IV et observation personnelle ; carte 31, n° 821-5). Les sites énumérés montrent l’existence de ces lames de hache-marteau perforées triangulaires simples durant toute la durée du Néolithique moyen.

La rive nord du Léman, avec les exemplaires des nécropoles de Lausanne/Vidy et Pully/Chamblandes précités, et le Valais, avec l’exemplaire de Sion/Sous-le-Scex et celui sans attribution chrono-culturelle d’Ollon/Saint-Triphon (Gallay ibid. ; carte 31, n° 826-1), sont les découvertes les plus méridionales attestées. Néanmoins, une pièce ancienne inédite et sans aucun contexte provenant de Saint-André-de-Rosans dans les Préalpes du Sud, dans le haut bassin de l’Aygues, pourrait être rattachée à ce type de lame de hache perforée (carte 31, n° 346 ; pl. 159 n° 2). La moitié conservée est de forme triangulaire sans renflement médian, de profil rectiligne, de section quadrangulaire, caractéristiques qui la rapprochent du type Chamblandes-Twann, en particulier de l’exemplaire de Pully/Chamblandes dont les dimensions sont comparables (pl. 159 n° 1). La forme de l’extrémité est cependant curieuse, triangulaire de face comme pour un tranchant, mais biseautée de profil : bien qu’un éclat récent ait altéré la pointe, il ne semble pas que cet objet ait été pourvu d’un tranchant, du moins pas dans son état actuel. Il apporte donc un argument pour pressentir dans ce type d’objet rare des instruments de statut particulier, non fonctionnels comme hache, dont le sens est renforcé par leur présence dans des tombes (chapitre 6).

Les matériaux utilisés pour la réalisation de ces coins perforés, quand ils sont connus, sont des roches tenaces de couleur dominée par le vert, alpines au sens géographique, qui présentent des qualités esthétiques certaines par le choix de roches à gros grain avec des variations de teinte. Ce fait est commun à toutes les lames de hache perforées du nord des Alpes et correspond à l’emploi des serpentinites qui est une caractéristique des sites suisses. A Egolzwil 3, les sept exemplaires perforés sont en serpentinite, comme les trois quarts des lames de hache pleines du site (Wyss 1994, p. 34-38). Les exemplaires de Pully/Chamblandes, de Sion/Sous-le-Scex et de Saint-André-de-Rosans sont en probable serpentinite (observations personnelles). Il est donc probable que les lames de hache triangulaires perforées du bassin du Rhône ne soient pas des productions liées aux lames de hache alpines mais proviennent, par diffusion, du Plateau suisse. Le fait est corroboré par leur absence sur le versant italien des Alpes. En Piémont, la seule lame de hache perforée en métagabbro recensée, à Carentino, est à rapprocher par sa forme trapue à talon en bouton très dégagé, des types courants dans les cultures de Pfyn et d’Altheim-Mondsee au nord des Alpes centrales (Luzzi 1996a). Sauf pour l’exemplaire de Saint-André-de-Rosans, très excentré, les circulations de lames de hache-marteau simples symétriques s’effectuent donc au sein de la sphère culturelle du Cortaillod mais elles sont en place avant l’émergence de cette culture, puisque le fragment de Sion/Sous-le-Scex provient de la couche 17 attribuée au Néolithique moyen I (Baudais, Brunier et alii 1989-90) et que l’exemplaire de Pully/Chamblandes s’inscrit dans une sériation des rituels funéraires de Suisse occidentale qui le place dans une phase ancienne du Néolithique moyen (Moinat 1998).