1.3 Les lames de hache perforées à renflement médian de type Cordé/Auvernier

Les lames de hache perforées de type dit Cordé ou Auvernier ont depuis longtemps retenu l’attention, car elles sont liées de manière étroite à la culture de la céramique Cordée, bien attestée en Suisse en particulier sur les bords de lac, dans une phase avancée du Néolithique final et en relation, pour la Suisse occidentale, avec le faciès culturel dit Auvernier-Cordé. Deux inventaires de référence ont été établis par les auteurs ayant travaillé sur la culture de la céramique Cordée : Strahm 1969, p. 110 et Wolf 1993, carte 5-6. Pour la France, un inventaire complémentaire a été réalisé lors de la création de la ci-devant Civilisation Saône-Rhône (Thévenot 1976a). L’inventaire présenté en annexe 4 reprend pour notre zone d’étude les données précitées, complétées de découvertes inédites recensées lors de notre travail (carte 33).

La forme et les proportions de objets sont relativement variables mais répondent à trois critères constants : ce sont des lames de hache-marteau symétriques, à renflement médian et léger évasement du tranchant. Selon Klaus Wolf, le nombre de lames de hache-marteau sur chaque site permet d’opposer la Suisse nord-orientale où le nombre de pièces sur les sites Cordé est toujours faible, deux ou trois, et la Suisse occidentale et en particulier la région des Trois Lacs (Neuchâtel, Bienne et Morat) et du Léman où les lames de hache-marteau sont abondantes (record établi à Chevroux avec 150 pièces) avec preuves de fabrication sur la plupart des sites (carte 33 ; Wolf 1993, p. 185 et carte 5). Cet auteur propose à titre d’hypothèse de voir dans cette dichotomie une différence d’ordre fonctionnel : en Suisse occidentale, en contexte Auvernier, les lames de hache-marteau seraient d’emploi courant et utilitaire, en concurrence avec les lames de hache pleines, tandis que dans le Cordé de Suisse orientale elles auraient une fonction non directement utilitaire. Dans cette optique, le secteur central de production des lames de hache-marteau de type Cordé serait à placer dans la culture d’Auvernier-Cordé plus que dans le Cordé même.

Douze sites et points de découverte riverains du lac Léman ont livré au moins une lame de hache-marteau de type Cordé-Auvernier. Les sites recelant le plus de pièces ont également fourni des ébauches : Genève/Eaux Vives (n° 803-1 ; onze pièces finies et deux ébauches ; Wolf 1993, pl. 136-137) et Cologny/la Belotte (n° 828-1 ; cinq pièces finies et douze ébauches ; ibid., pl. 138-140). Nous avons en outre retrouvé un fragment d’ébauche isolé provenant d’une station littorale de Nernier (n° 622). Les autres sites lémaniques ont livré chacun une ou parfois deux lames de hache-marteau (cf. inventaire en annexe 4). Deux points de découverte isolés, à Collonges-sous-Salève (n° 608) et à Fillinges (n° 636) sont très proches du Léman et peuvent y être rattaché. Au sud-est du Léman, des exemplaires retrouvés sur des sites ou sans contexte forment un semis régulier dans les avant-pays savoyards, le bas-Dauphiné et la basse vallée de la Saône (carte 33), en continuité avec les découvertes recensées plus au nord dans le bassin de la Saône (Thévenot 1976a). Seules les découvertes d’Annecy/Port (n° 600-1) et de Charavines/les Baigneurs (n° 407-1) proviennent de contextes Néolithique final assurés. Au sud de l’Isère, quatre exemplaires déjà publiés signent des diffusions plus lointaines : près de la moyenne vallée du Rhône à Saint-Fortunat-sur-Eyrieux en Ardèche (n° 226 ; pl. 161 n° 1), au pied du Vercors à Saint-André-en-Royans (n° 440), dans le Sillon alpin à Seyssinet/grotte des Sarrasins (n° 540-1) et peut-être à Prunières (n° 437). Deux découvertes inédites peuvent être ajoutées qui élargissent vers le sud la diffusion de ce type d’objet : à Séderon dans les Préalpes (n° 161), une possible lame de hache-marteau que nous n’avons pas pu retrouver ; à Sigottier/grotte de l’Escalier dans la vallée du Buëch (n° 362-4), une pièce entière provenant des fouilles anciennes, déposée au Musée de Gap (pl. 160). Cette dernière est exceptionnelle par son état de conservation et sa régularité et soutient la comparaison avec les pièces les plus achevées du Plateau suisse, à tel point que nous émettons un doute sur l’origine exacte de l’objet, d’autant plus qu’il n’est pas mentionné dans les publications antérieures consacrées aux grottes funéraires de Sigottier (cf. annexe 2).

La carte de répartition des lames de hache-marteau de type Cordé-Auvernier apparaît donc comme parfaitement cohérente, avec deux régions de production sur serpentinite auprès des Trois Lacs et du Léman et des diffusions vers l’Est (Bourgogne orientale) et vers le Sud-Est à travers les avant-pays savoyards et l’axe du Rhône, qui décroissent vers le Sud jusqu’en moyenne vallée du Rhône et dans le bassin du Buëch (carte 33). Tous les exemplaires observés sont en roches tenaces proches des serpentinites, ce qui démontre des diffusions d’objets et non pas des imitations. Plus au sud, les mentions de lames de hache-marteau sont des plus rares. Elles sont inexistantes en Provence. Dans l’Hérault, un exemplaire aujourd’hui perdu aurait été découvert anciennement dans un dolmen à couloir à Saint-Georges-d’Orques (Audibert 1958, p. 45). Un fragment perforé d’une petite lame de hache-marteau ou de bipenne en roche volcanique est décrit sur le site de surface de Caylus à Portiragnes (Grimal 1970). Quant aux rares lames de hache perforées décrites dans l’Aude, elles semblent toutes s’apparenter à des bipennes et sont probablement à rattacher aux exemplaires de la façade atlantique (Guilaine et Rigaud 1969).