2.3 Effectifs, contextes de découverte et sites de production

La répartition du nombre d’objets et de leur état par site connaît de fortes variations. Sur les habitats des bords de lacs, les armatures polies ne sont jamais nombreuses, une ou deux et toujours achevées (cf. infra). Dans les vallées intra-alpines, quatre types de sites se présentent. A Roreto/Balm’Chanto, Bessans/le Château et Saint-Léonard/Grand Pré, les armatures polies se comptent par dizaines et comprennent une part notable de pièces inachevées, abandonnées à divers stades de la fabrication : respectivement 47 ébauches sur un total de 89 pièces, au moins 32 ébauches sur 34 pièces et 3 ébauches sur 21. Ces trois sites sont clairement des lieux de production, bien que l’ensemble des étapes de fabrication ne soit présente qu’à Balm’Chanto (pl. 162). Sur les deux autres sites ne sont reconnues que des pièces brisées ou abandonnées en cours de polissage. Rappelons en outre que pour Bessans et Balm’Chanto, les affleurements de serpentinites sont immédiatement accessibles ; les sources d’approvisionnement de Saint-Léonard/Grand Pré demeurent inconnues. Un deuxième type de site est constitué par les Balmes à Sollières qui a livré sept pièces dont une en cours de polissage. L’absence de gîte de serpentinite de bonne qualité proche du site et la relative proximité de Bessans/Le Château et de Roreto/Balm’Chanto plaident pour un transport des armatures depuis ces sites ou d’autres également spécialisés dans la production, sous forme (pour partie ?) d’ébauches au polissage inachevé. Le site de Barmaz I pourrait présenter un cas de figure comparable, mais les données en sont encore inédites (Honegger, comm. orale). Les autres sites intra-alpins ne livrent que quelques armatures polies achevées et semblent correspondre à des sites récepteurs à l’instar des habitats littoraux. Le dolmen MXII du Petit-Chasseur à Sion s’individualise par une exceptionnelle panoplie de onze armatures en roches tenaces polies, entre autre mobilier funéraire. Les armatures de flèche en roche polies ne sont pas rares en contexte funéraire : un exemplaire est attesté dans le dolmen MVI de la même nécropole, un autre dans la nécropole mégalithique de Saint-Martin-de-Corléans à Aoste (pl. 165 n° 12). Les trois armatures en roche tenace retrouvées dans deux des tombes en ciste de Saint-Léonard/Les Bâtiments se singularisent par l’absence de polissage qui semble intentionnel. Mentionnons en outre une armature polie et un fragment à Villeneuve/Champ Rotard en Val d’Aoste (pl. 165 n° 13 et 14), dans une couche d’occupation postérieure à la nécropole en cistes et dont la relation avec ces dernières n’est pas explicitée.

Une telle disparité dans les répartitions, conjuguée à l’abondance naturelle des serpentinites et des amphibolites dans toutes les vallées intra-alpines concernées par les pointes de flèche en roches tenaces, permet de supposer l’existence de productions autonomes dans chacune des vallées, au plus près des affleurements sur des sites dont les fonctions ne se limitent pas à la fabrication d’armatures. Balm’Chanto, abri à flanc de montagne à 1850 m d’altitude, correspond probablement à une halte saisonnière dans un parcours pastoral (Nisbet et Biagi dir. 1987) ; à Bessans/Le Château, abri de fond de vallée à 1750 m d’altitude, la prépondérance des restes de faune sauvage126 et l’abondance de pointes de flèche en matériaux variés (serpentinites et amphibolites, quartz, os et surtout silex) suggère une activité cynégétique importante ; Saint-Léonard/Grand Pré correspond au contraire à un site d’habitat en fond de basse vallée (Baudais, Brunier et alii 1989-90). A partir de ces sites producteurs et sans doute d’autres encore inconnus, les armatures circulent sur de faibles distances peut-être pour partie sous forme inachevée en direction des autres sites intra-alpins des mêmes vallées ou des vallées adjacentes via des itinéraires d’altitude. Les localisations géographiques et topographiques des occupations de Bessans/Le Château et de Roreto/Balm’Chanto autorisent des circulations aisées à travers les massifs, bien démontrées par les fréquentations historiques des cols de Bessans (Tracq et Inaudi 1998 ; Thirault 1999a ; cf. fig. 4). Il ne semble pas y avoir de véritable diffusion organisée comme pour les lames de hache mais au contraire des déplacements internes à de petites unités géographiques (vallées et hautes terres) que l’ubiquité des serpentinites ne permet pas de décrypter par les analyses minéralogiques. En-dehors des vallées alpines, la présence d’armatures en roche polie sur les sites littoraux péri-alpins peut être comprise soit comme le résultat d’une convergence technique, peu probable au vu de l’éparpillement géographique des sites concernés, soit comme l’effet de diffusions extra-alpines sur des distances ne dépassant guère 100-120 km. Le fait que les armatures en roche polie ne représentent qu’une part anecdotique de l’assemblage des pointes de flèche sur les sites littoraux, contrairement aux sites intra-alpins, plaide pour des diffusions qui ne correspondent pas à des flux soutenus mais plutôt à des transports occasionnels, liés à des déplacements de personnes et à des échanges fortuits motivés par l’attrait pour des matières exotiques. Autre point remarquable, l’absence -à notre connaissance- de pointes de flèche en roches tenaces dans les piémonts et les plaines du Pô semble matérialiser un effet-limite entre les reliefs alpins et la plaine qui ne joue pas aussi fortement sur le versant rhodanien.

Notes
126.

Etude H. Sidi Maamar, inédite.