2.4 Chronologie

La datation des armatures en roches tenaces polies est bien établie, même si le détail de leur évolution demeure méconnu. Les exemplaires les plus anciens apparaissent en Valais durant le Néolithique moyen II. Trois pointes de flèche perçantes triangulaires en roche tenace proviennent de deux des tombes en ciste de Saint-Léonard/les Bâtiments, avec comme particularité une absence totale de polissage qui en fait des armes bien peu efficaces. L’exemplaire peut-être inachevé de Bramois ainsi que les 22 armatures polies de Saint-Léonard/Grand Pré sont à rattacher au Cortaillod de faciès Saint-Léonard, pour autant que le mobilier de ce dernier site soit culturellement homogène. Selon M. Honegger (comm. orale), les armatures en roche polie seraient présentes dès le Néolithique moyen II à Barmaz. En Val d’Aoste, les deux pièces de la couche 3b de Villeneuve/Champ Rotard côtoient un mobilier apparemment mélangé du Néolithique moyen II et final, mais en tous cas postérieur au fonctionnement des tombes en cistes. Mentionnons également deux fragments d’ébauches à Bessans/Le Château retrouvés dans le niveau de base du sondage de 1997 aux côtés d’une armature tranchante en silex blond attribuable au Néolithique moyen ; néanmoins, l’homogénéité de ce niveau ne peut être assurée et il peut s’agir de la reprise dans une couche Néolithique final d’une pointe de flèche plus ancienne provenant d’un autre point du site (Rey et Thirault 1999, p. 510-511).

Les sites attribués au Néolithique final sont plus nombreux. En Valais, les armatures en roches tenaces polies sont présentes à Barmaz I, dans un niveau culturellement proche du style Clairvaux et du Lüscherz ; à Savièse/la Soie, dans la couche 4 au mobilier proche de celui du dolmen MXII du Petit-Chasseur à Sion, attribué à une phase ancienne du Néolithique final et qui a lui-même livré onze armatures en roche polie ; un exemplaire dans le dolmen MVI de la même nécropole, et un autre sur le site d’altitude de l’Alp Hermettji à Zermatt. Les datations C14 disponibles pour Barmaz, Savièse/la Soie et les deux sites du Petit-Chasseur se placent dans une fourchette de 3200-2700 av. J.-C. (cf. annexe 2). En Val d’Aoste, une pointe de flèche polie provient des niveaux d’occupation du Néolithique final de la nécropole de Saint-Martin-de-Corléans, sans précision. En Piémont, les sites de Bussoleno/Orrido di Foresto et surtout de Roreto/Balm’Chanto sont attribués sans conteste au Néolithique final. Deux dates C14 placent ce dernier site dans la fourchette 2900-2400 av. J.-C. (Biagi et Nisbet 1987). En Haute-Maurienne, les occupations de Bessans/Le Château sont à rapporter essentiellement au Néolithique final sur la base du mobilier lithique, mais semblent couvrir un long laps de temps jusqu’à une phase tardive du Néolithique (Rey et Thirault ibid.). Il en est de même aux Balmes de Sollières où les pointes polies sont présentes dans tous les niveaux du Néolithique final. Les découvertes sur les sites littoraux extra-alpins apportent d’utiles précisions chrono-culturelles. Charavines/Les Baigneurs est daté par dendrochronologie entre 2670 et environ 2590 av. J.-C. (Bocquet 1997) ; le mobilier d’Annecy/Port est rapproché de l’Auvernier (Marguet 1995) ; la pointe en roche polie de la Motte-aux-Magnins provient de l’ensemble stratigraphique E-D daté indirectement du 28ème siècle av. J.-C. (Saintot 1998) ; les pièces d’Auvernier/Brise-Lames appartiennent au Lüscherz (Buret 1983). Nous constatons donc une dichotomie entre les sites intra-alpins où l’usage des armatures en roches tenaces polies s’inscrit dans une longue durée, depuis une phase récente du Cortaillod (faciès Saint-Léonard) jusqu’à l’extrême fin du Néolithique final, tandis que pour les sites littoraux péri-alpins, les diffusions sont concentrées dans une phase avancée du Néolithique final, à la hauteur du Lüscherz et de l’Auvernier, soit entre 2800 et 2500 av. J.-C. environ. En outre, au sein des vallées alpines, des décalages chronologiques sont sensibles entre le Valais et la Haute-Maurienne/Val Chisone : en Valais, les armatures en roche polie sont en usage du Cortaillod type Saint-Léonard au début du Néolithique final, avant 2700 av. J.-C. environ, tandis qu’en Haute-Maurienne et en Val Chisone leur emploi n’apparaît de manière sûre qu’au Néolithique final, mais jusqu’à la fin de la période, soit de 3400 à 2300 av. J.-C. environ. Leur absence dans les sépultures en cistes de la nécropole d’Aime en Tarentaise, attribuée à une phase tardive du Néolithique moyen II est un indice dans le sens d’un début tardif des armatures en roches polies en Savoie intra-alpine. Leur absence tout aussi remarquable dans les sépultures plus récentes de Fontaine-le-Puits en Tarentaise, qui ont fourni un mobilier abondant, est par contre plus difficile à expliquer, à moins de les placer dans une phase chronologique postérieure à la fin de l’usage des armatures en roche polie, c’est-à-dire, par référence aux données de Bessans/Le Château, au moins à hauteur du Campaniforme. Cette hypothèse de datation basse rejoint celle formulée par P.-J. Rey à partir de l’analyse du mobilier de ces sépultures (Rey 1999, vol. 3 p. 310-343), mais nous semble difficile à démontrer. A notre sens, l’absence d’armatures de flèches polies à Fontaine-le-Puits est plus d’ordre culturel que chronologique, mais nous sommes ici assez proche d’un raisonnement circulaire. D’une manière générale, reconnaissons néanmoins que le constat d’un décalage chronologique entre le Valais et la Haute-Maurienne/Val Chisone correspond aussi aux carences en sites archéologiques. Tel quel et dans l’attente de nouvelles données, il renforce tout de même l’idée de productions et de diffusions indépendantes entre vallées et/ou massifs.