3. Les bracelets

3.1 Présentation

Les bracelets et les anneaux-disques partagent la caractéristique de posséder un diamètre intérieur suffisant pour pouvoir être enfilés sur un membre, en particulier le bras, pour retenir un chignon ou pour être porté en pectoral (Cordier 1950). Ce sont donc, a priori, des parures, bien que d’autres fonctions puissent leur être reconnues. Nous adoptons de ce fait le terme générique de bracelet pour désigner toutes les parures de bras potentielles, anneaux-disques inclus qui en constituent une catégorie au jonc très plat et large. Les bracelets apparaissent dans de nombreuses cultures néolithiques européennes mais les bracelets en pierre, en l’Europe centrale et occidentale, ne sont connus que dans six régions :

  • dans le bassin de l’Elbe (en Bohème et en Allemagne centrale) dans les cultures de la Stichbandkeramik et de Rössen, où ils sont en marbre, assez étroits et hauts, parfois cylindriques (Zápotocká 1982) ;

  • en Haute-Alsace, de la Trouée de Belfort à la vallée du Rhin, avec une production d’anneaux-disques larges à perforation interne circulaire mais contour externe ovalaire ou irrégulier, façonnés en «roches vertes» (Jeunesse 1995b) ;

  • dans le Bassin parisien, la Belgique et dans le quart nord-ouest de la France, des bracelets en calcaire dans le Rubané Récent du Bassin parisien, puis surtout en schistes, parfois en «roches vertes», dans le groupe de Blicquy/Villeneuve-Saint-Germain (Constantin 1985 ; Auxiette 1989 ; Constantin et Ilett 1997) ;

  • en Italie, surtout dans le nord et en Sardaigne, des bracelets pour la plupart en «roches vertes», datés du Néolithique ancien et moyen (Tanda 1977) ;

  • en Provence et en Languedoc, des bracelets surtout en calcaire, parfois en «roches vertes» en Provence, connus avec des évolutions de formes durant tout le Néolithique (Courtin et Gutherz 1976 ; Barge 1982) ;

  • en Espagne, des bracelets en «marbre» sont signalés sur la façade méditerranéenne en contexte Cardial, ainsi que dans l’Almérien du Sud de l’Espagne (Courtin et Gutherz 1976, p. 352 ; Bosh, Buxò et alii 1999).

Les bracelets de pierre s’inscrivent donc dans des cultures nettement distinctes et issues des courants méditerranéens et danubiens de néolithisation. Les seules régions où l’emploi des «roches vertes» est attesté de manière fréquente sont situées autour des Alpes occidentales : au nord du Jura pour le type alsacien, en Italie du nord et en Provence, mais les mentions ne sont pas rares dans l’ouest de la France, en particulier pour des pièces isolées de grandes dimensions (annexe 6). Les données chronologiques, en première approche, sont assez convergentes et concernent les phase anciennes du Néolithique : en Italie et surtout dans le nord du pays, les bracelets en roches tenaces sont connus dans les cultures du Neolitico antico (Impressa, Vhò, Fiorano), dans le Neolitico medio (V.B.Q.) ainsi que dans la culture d’Ozieri en Sardaigne (Tanda 1977). En Provence et en Languedoc, ce type de roches est surtout employé durant le Cardial et le Chasséen, et devient très rare dans le Néolithique final (Courtin et Gutherz 1976). Les anneaux-disques irréguliers alsaciens sont datés de la fin du Néolithique ancien et surtout des phases anciennes du Néolithique moyen (Grossgartach et Rössen ; Jeunesse 1995b). Les bracelets en roches tenaces attestés dans le Bassin parisien et la Bretagne sont plus anciens, attribués au Villeneuve-Saint-Germain (V.S.G.) où ils côtoient les bracelets en schistes typiques de cette culture (Constantin 1985). Une exception est constituée par le bracelet en roche tenace de la tombe du Mané-er-Hroëck à Locmariaquer dans le Morbihan, à placer au début du Néolithique moyen (Le Roux et Lecerf 1971).

L’intérêt des bracelets du Néolithique ancien et moyen vient de leur présence dans tout ou partie de chaque groupe culturel considéré et des liens possibles entre cultures qu’ils permettent d’établir. Ils sont en particulier sollicités pour la reconnaissance de relations entre les cultures de la néolithisation danubienne et méditerranéenne. J. Roussot-Larroque a la première proposé de voir un seul phénomène dans l’ensemble des bracelets d’Europe occidentale et a établi un lien entre le Cardial et le V.S.G. en particulier pour la possible diffusion des bracelets en «roches vertes» depuis les Alpes (Roussot-Larroque 1990). Ces relations ont été précisées à partir de l’étude de l’étape finale du Rubané Récent du Bassin parisien dans la vallée de l’Aisne, où se rencontrent des bracelets en calcaire de section «pseudo-triangulaire ou lenticulaire» étrangers aux types du Rubané et rapprochés des bracelets de matières et de formes identiques du Cardial provençal (Constantin et Ilett 1997). Dans une vue plus large, Chr. Jeunesse a proposé d’établir un lien chronologique entre les différentes régions d’usage des bracelets (Jeunesse 1995b) : les bracelets en calcaire à section ovalaire du Cardial passent en domaine danubien dans une étape finale du Rubané du Bassin parisien et d’Alsace, puis apparaissent d’une part les bracelets en schistes dans le V.S.G. et d’autre part les anneaux-disques irréguliers en Alsace en contexte Grossgartach puis Rössen. Enfin, les bracelets en pierre sont adoptés dans le bassin de l’Elbe avec un léger décalage chronologique (Stichbandkeramik puis Rössen). Selon cet auteur, l’influence du Cardial serait décisive pour insuffler le goût des bracelets de pierre dans le monde danubien occidental. Plus récemment a été reprise l’idée de la diffusion directe des bracelets en «roches vertes» et plus particulièrement des plus grands et des plus plats, les anneaux-disques, depuis le monde alpin ou nord-italien sur l’ensemble de la France et la vallée du Rhin (Pétrequin, Cassen et alii 1997).

Le problème est que le terme de «roches vertes», s’il permet d’établir un distinguo utile entre les roches «nobles» ou «dures» (nous dirons tenaces) et les schistes faiblement métamorphisés, recouvre un éventail de roches métamorphiques voire volcaniques important, et que les analyses sûres, soit à l’oeil nu de la part de personnes ayant des connaissances en pétrographie, soit par analyse de laboratoire, sont rares. De ce fait, si la question doit être posée de la provenance alpine des roches employées, les données pétrographiques permettant de répondre sont encore faibles bien que non négligeables.

Des données importantes ont été fournies par les études réalisées en Italie du Nord. En Piémont, sur treize pièces analysées, huit sont en serpentinite, une en jadéitite, deux en omphacitite et deux en paragonite (Traversone 1996). Parmi elles, quatre fragments achevés proviennent du site de Brignano Frascata qui a également livré dix ébauches, disques taillés ou fragments en cours de bouchardage et de perforation, six en serpentinite, trois en gabbro et un en éclogite (ibid. ; D’Amico et Starnini 1996 ; Zamagni 1996d). Une ébauche de bracelet en serpentinite a également été retrouvée à Chieri (Traversone 1996). La nette prépondérance des serpentinites en Piémont est complétée par le recours à d’autres roches tenaces, dont certaines également employées pour les lames de hache. De plus, la présence conjointe d’ébauches de bracelets et de lames de hache sur les sites de production de Brignano Frascata et d’Alba plaide en faveur d’une association directe entre les deux types d’objets, et ce en particulier dans le Neolitico antico padano. En dehors du Piémont, les rares analyses publiées pour l’Italie du Nord font état d’un éventail de roches similaire : un bracelet en serpentinite à Vhò/San Lorenzo Guazzone (Traversone 1996, p. 202) et à Villandro/Plunacker (Dal Ri 1996), un en jadéitite provenant de la région de Bologne (D’Amico, Ghedini et Morico 1996), un en paragonite à Vhò/Campo Costiere (Simone Zopfi 1996) et à Sammardenchia (D’Amico, Ferrari et alii 1996). Il apparaît donc que les serpentinites représentent plus de la moitié des bracelets achevés étudiés en Italie du Nord, alors que les jadéitites et les omphacitites ne sont que peu employées (23 %) : il y a bien un choix sur les roches en faveur des variétés moins dures que les éclogites et les jadéitites employées pour les lames de hache.

En Provence, deux bracelets analysés sont en jadéitite : un exemplaire entier dans la grotte des Perles à Gonfaron et un fragment Cardial dans la Baume Fontbrégoua à Salernes (Roscian, Claustre et Dietrich 1992, p. 236). Ces deux mentions ne sont cependant sans doute pas représentatives de l’ensemble des bracelets en roches tenaces répertoriés, mais les données publiées font défaut.

Dans la Loire, un fragment de bracelet provenant de Chalain-le-Comtal a été analysé en lame mince par A. Masson, qui l’a identifié comme une roche composée de nombreuses chlorites (Masson 1977, p. 26 et 47) qui peut être rapprochée des serpentinites (cf. p. 116).

En Alsace, les grands anneaux-disques irréguliers sont le plus souvent en roches de la famille des serpentinites, sous réserve d’analyses (Jeunesse 1995b). Mais certains exemplaires sont en roches également mises à profit pour les lames de hache, tels les deux pièces en métapélite vosgienne du site de Gondenans-les-Montby (ibid.). Quelques autres sont réalisés en terre cuite (ibid.) selon une tradition danubienne (Auxiette 1989).

En-dehors des régions circum-alpines, quelques analyses précises sont disponibles sur les sites de l’ouest de la France (annexe 6). En contexte Villeneuve-Saint-Germain, deux sites sont concernés. A Jablines/Les Longues Raies, la sépulture st.70 contenait quatre bracelets, dont deux en roches tenaces : une amphibolite et une serpentinite (Bulard, Degros et alii 1993). Sur l’habitat de Saint-Etienne-en-Coglès/le Haut-Mée en Ille-et-Vilaine a été retrouvé un fragment de bracelet en serpentinite (Cassen, Audren et alii 1998). Sans contexte ni datation précis, les découvertes de Challignac/le Bois Noir en Charente comprennent deux pièces en amphibolite identifiées à l’oeil nu (Burnez et Roussot-Larroque 1995). Les bracelets non datés analysés par Ch.-T. Le Roux à Segonzac/Le Terrier de Biard (Burnez et Pautreau 1987-88) et à Saint-Palais-du-Né (Gaillard, Gilbert et alii 1984) en Charente, Noisy-sur-Ecole en Seine-et-Marne (Le Roux 1979), Villeneuve-la-Guyard/la Corvée dans l’Yonne (Mordant 1980) sont en amphibolite. P.-R. Giot mentionne des concentrations notables de bracelets en «jadéite» et en «serpentine» dans le Morbihan et en Normandie, mais il convient de considérer avec prudence ces déterminations déjà anciennes, bien que l’auteur soit géologue de formation (Giot 1959).

Le terme d’amphibolite revient souvent sous la plume des auteurs travaillant dans l’ouest et le nord de la France. Dans les régions circum-alpines au contraire, seul un fragment de probable bracelet peut être attribué à cette vaste famille de roches à Châteauneuf-du-Rhône/la Roberte (cf. infra ; pl. 171 n° 6). A l’inverse, l’usage des serpentinites et des roches de haut métamorphisme est un trait typique des régions alpines qui n’est cependant pas spécifique puisque des analyses précises ont démontré l’emploi de serpentinites sur des sites du V.S.G. (supra). Il convient de rappeler que ni les amphibolites, ni les serpentinites ne sont exclusives des Alpes occidentales. Elles sont au contraire bien attestées dans la plupart des massifs métamorphiques, Massif Central et Massif armoricain en particulier. La question de diffusions de bracelets au sein du monde alpin voire au-delà dans l’ouest et le nord de la France s’avère donc délicate sur les seules bases pétrographiques. Afin de tenter d’y répondre, nous présentons en premier lieu le corpus des découvertes et des analyses dans notre zone d’étude avant d’entreprendre une enquête plus large à l’échelle de la France et de l’Italie, principales régions intéressées par la question des bracelets en roches tenaces.