3.2.3 Les anneaux-disques de Chambéry

Une description plus précise doit être établie pour la découverte exceptionnelle de Chambéry. Sur un replat dominant la cluse, près de la ferme des Combes sur la commune de Chambéry cinq anneaux-disques ont été découverts vers 1883 lors du creusement d’une tranchée par des ouvriers (n° 426-2 ; pl. 166 à 168 ; cf. Rey 1999 p. 245-250 pour un historique détaillé). Les préhistoriens locaux entreprirent des fouilles alentours qui ne livrèrent que quelques tessons de céramique aujourd’hui perdus. En l’absence de tout contexte de découverte, il faut donc considérer ces cinq pièces comme issues d’un unique dépôt dans le sol, dont le lien possible avec une sépulture est indémontrable. La possibilité d’un dépôt d’objets seuls est tout aussi forte (cf. p. 459). Nous avons pu étudier en détail et faire réaliser l’analyse en RX de l’ensemble des pièces.

A l’oeil nu, les cinq anneaux-disques sont d’aspect homogène, d’une couleur gris-vert terne, façonnés dans une roche tendre à schistosité marquée dans le plan horizontal127. Comme l’avait pressenti le Dr. Hollande128, la roche constituante est identique pour les cinq pièces : le minéral antigorite, composant des serpentinites, est seul mis en évidence129. L’aspect terne et la couleur inhabituelle pour ce type de roche, tant en surface qu’à coeur, peut être le résultat d’une altération par chauffe. Outre une identité de matière, ces cinq anneaux-disques sont remarquables par leur similitude technique, morphologique et dimensionnelle. Les dimensions principales, résumées ci-dessous (en mm), sont éloquentes : superposées, les cinq pièces sont identiques ou peu s’en faut.

n° d’inventaire épaisseur largeur du jonc diamètre interne diamètre externe
897 173 10 à 11 41 à 46 70 à 72 155 à 158
897 174 6 à 10 40 à 46 68 à 74 157 à 159
897 175 8 à 9 39 à 43 71 149 à 154
897 176 9 à 10 38 à 46 70 à 73 154 à 156
897 177 9 à 10 39 à 43 69 à 72 152 à 157

Les épaisseurs sont les plus calibrées, résultat d’un débitage ou délitage de plaques minces et régulières, facilité par la schistosité de la roche. Le diamètre interne est également très peu variable, tandis que la largeur du jonc dépend plus des dimensions initiales de l’ébauche, ce qui entraîne de petites irrégularités dans le diamètre externe. Les techniques de façonnage sont également identiques : des traces de taille disposées sur la périphérie du disque, probablement assez plates et couvrantes, attestent d’une régularisation de la circonférence de l’ébauche. La perforation centrale a sans doute été effectuée par bouchardage, comme cela est attesté dans le Piémont (Traversone 1996), mais aucune trace de cette technique n’est perceptible sur les faces, sans doute à cause de l’excellent préformage des plaques délitées. Le polissage intervient donc directement, mené en quatre étapes qui ont chacune laissé des stigmates identifiables (pl. 166 à 168) :

Ce façonnage soigné et bien maîtrisé a permis d’obtenir des anneaux-disques très plats et grands, aux bords biseautés et tranchants, à perforation régulière dont le lustre contraste avec les surfaces mates et atteste d’un frottement répété à l’intérieur, qui peut être mis en relation directe avec le port des anneaux-disques.

Ce dépôt est exceptionnel à la fois par la réunion des anneaux-disques en un même lieu, par la qualité des pièces et par leur identité, à tel point qu’il n’est pas déraisonnable d’imaginer que les objets ont été façonnés par une seule personne et utilisés (portés ?) également par une seule personne. De telles concentrations de bracelets ne sont pas inconnues en contexte funéraire. Dans le Bassin parisien, 27 sépultures du Néolithique ancien ont livré des bracelets disposés au bras des défunts (Auxiette 1989). La sépulture V.S.G. de Jablines/les Longues Raies est un cas intéressant avec trois bracelets sur le bras droit et un sur le bras gauche, tous au-dessus du coude (Bulard, Degros et alii 1993). Dans la nécropole Hinkelstein de Worms/Rheingewann, cinq tombes féminines contenaient des bracelets en bois de cerf : une avec un bracelet, deux avec trois, une avec quatre bracelets et une avec six, tandis que la défunte de la tombe 45 portait trois bracelets en roche tenace (dite «serpentine») à chaque bras (Zápotocká 1972, tabl. 1 et p. 321-322). Les anneaux-disques de type alsacien en contexte funéraire sont groupés par deux dans la grotte de Cravanche (Gallay 1977, pl. 12) et dans celle de la Tuilerie à Gondenans-les-Montby (Jeunesse 1995b). Dans l’ouest de la France, cinq bracelets plats en schiste, dont quatre entiers, ont été découverts ensemble dans un champ à Gévezé en Ille-et-Vilaine (Le Roux et Lecerf 1971) ; trois autres dits en «jadéite», entiers, dans un tumulus à chambre mégalithique à Bréhan-Loudéac/la Ville-Ruault dans le Morbihan (ibid.) ; quatre autres entiers dits en «serpentine» sous un rocher à Quiberon/Saint-Julien dans le Morbihan avec «deux splendides haches en Jadéite» (ibid.) ; sur la même commune, trois pièces entières en schiste découvertes dans un foyer au centre d’un tumulus (ibid.). En Charente-Maritime, deux bracelets plats en phillite sont issus d’une probable sépulture démantelée à Germignac (Gaillard, Gilbert et alii 1984). En Charente, deux fois deux bracelets en schistes et amphibolites ont été découverts à quelques mètres de distance à Challignac/le Bois Noir (Burnez et Roussot-Larroque 1995).

Ces exemples non exhaustifs pris dans des contextes funéraires ou de probable dépôts isolés et ce dans des régions variées démontrent que l’association des cinq bracelets de Chambéry, bien qu’exceptionnelle, n’est pas unique et est compatible avec un mobilier funéraire individuel. Les dimensions peu communes de ces pièces les démarquent de la plupart des autres bracelets en roches tenaces. Il nous semble donc nécessaire de les replacer dans le contexte d’ensemble de ce type de bracelets.

Notes
127.

Contrairement à l’avis émis par G. Cordier et A. Bocquet qui affirment que «le matériau est exactement identique à celui des haches de La Bégude tant par la couleur que par la texture» (Cordier et Bocquet 1998, p. 224). Les dix lames de hache du dépôt de la Bégude-de-Mazenc sont en éclogites massives de couleur vert-jaune (cf. annexe 9 et Thirault 1999b).

128.

«la matière de ces anneaux (...) est un calcaire serpentinifère à cassure inégale et d’une dureté correspondant à 3. On y trouve des paillettes de mica, de la silice et de la magnétite. Il provient d’une roche des Alpes occidentales» (Buttin 1903, p. 140-141).

129.

Trois analyses concordantes ont été effectués sur le n° 897 177 afin de vérifier l’homogénéité de la roche au sein du même objet (annexe 9).