1.1 Tendances évolutives dans les matières premières

L’emploi des matières premières subit de sensibles variations au cours du Néolithique, mais la prédominance des éclogites n’est jamais remise en question (fig. 44 et 45) : elles représentent toujours plus de la moitié des lames polies de chaque période et sont donc toujours les roches employées de préférence à toutes les autres. Nous pouvons leur adjoindre les jadéitites qui apparaissent dans les décomptes au Néolithique moyen I (moins de 10 %) et sont présentes à des taux de 3-4 % au Néolithique moyen II et au Néolithique final. La tendance évolutive des éclogites est celle d’une sinusoïde, avec une dominance au Néolithique ancien (deux tiers des lames polies) qui se renforce au Néolithique moyen I (près des quatre cinquième et 95 % en intégrant les jadéitites). Une rupture nette est perceptible au Néolithique moyen II où le taux d’emploi des éclogites et des jadéitites n’atteint pas 60 % ; au Néolithique final, il remonte à près de 75 %. Les autres roches connaissent également de franches variations de présence : au Néolithique ancien apparaît une bipartition entre les éclogites et les métabasites épizonales (amphibolites) qui représentent un tiers des lames de hache ; une deuxième bipartition existe au Néolithique moyen I entre les éclogites-jadéitites et les ultrabasites présentes à hauteur de 5 %. Au Néolithique moyen II, la diversification des matières employées est nette : apparaissent quelques glaucophanites, ultrabasites, fibrolites et roches diverses, et surtout les roches «valaisannes» qui représentent près d’un tiers du corpus. Au Néolithique final, la diversité des roches se maintient mais les roches «valaisannes» ne représentent qu’une petite part du total. Les ultrabasites connaissent des taux d’emploi plus importants (15 % environ) et les métabasites épizonales réapparaissent à hauteur de 10 %.

Une rupture est donc nette entre le Néolithique moyen I et II, avec une diversification des matières employées qui ne remet pas en question le rôle prédominant des éclogites mais le modère fortement. Il est permis de se demander si la faiblesse du corpus pour le Néolithique ancien et moyen I n’est pas la cause de la prédominance des éclogites et des jadéitites. La variation sensible entre ces deux périodes est un élément en faveur d’une réponse négative : la présence des métabasites épizonales puis des ultrabasites ne semble pas aléatoire mais dénote une logique autre. L’apparition des roches «valaisannes» cantonnées au Valais (carte 15) permet d’entrevoir une logique géographique. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons effectué des décomptes pour chaque période en découpant notre aire de travail en grands espaces, compromis entre la nécessité de finesse géographique et la faiblesse des corpus ainsi segmentés. Le découpage tient compte des grands mouvements de roches mis en évidence au chapitre 2 (carte 18) : sont distingués les vallées intra-alpines piémontaises, valdôtaines et savoyardes ; le Valais ; le Léman ; la Savoie et le Bugey ; le Sillon alpin lié au bassin de Grenoble ; le bassin du Buëch et de la Durance et les Préalpes du Sud ; la moyenne vallée du Rhône ; le bassin de l’Ardèche. Les effectifs, bien que souvent très faibles (fig. 44), sont traduits en pourcentages et en graphiques afin de visualiser les variations (fig. 46).

Figure 44. Lames de hache. Effectifs par roches, périodes et régions.
Total par roches et périodes
Néo. ancien Néo. moyen I Néo. moyen II Néo. final
éclogites 11 17 55 74
jadéitites 2 4 4
glaucophanites 1
métabasites épizonales 5 8
ultrabasites 1 3 15
roches ’valaisannes’ 36 2
fibrolites 1 4
autres 2 2
total déterminés 16 20 102 109
indéterminés 3 5 30 70
TOTAL 19 25 132 179

Décomptes pour le Néolithique ancien
Valais Préalpes Sud M.V. Rhône Ardèche
éclogites 2 4 5
métabasites épizonales 1 5
total déterminés 2 4 6 5
indéterminés 1 1
TOTAL 2 5 7 5

Décomptes pour le Néolithique moyen I
Alpes internes Valais Préalpes Sud M.V. Rhône
éclogites 7 3 6 1
jadéitites 2
ultrabasites 1
TOTAL 9 4 6 1

Décomptes pour le Néolithique moyen II
Alpes internes Valais Savoie-Bugey Buëch-Préalpes Sud M.V. Rhône Ardèche
éclogites 3 9 18 8 16 1
jadéitites 2 1 1
glaucophanites 1
ultrabasites 2 1
roches ’valaisannes’ 36
fibrolites 1
autres 1 1
total déterminés 3 45 22 9 21 2
indéterminés 23 2 4 1
TOTAL 3 68 24 9 25 3

Décomptes pour le Néolithique final
Alpes internes Valais Léman Savoie-Bugey Dauphiné M.V. Rhône Ardèche
éclogites 15 1 1 25 19 7 6
jadéitites 2 1 1
métabasites épizonales 1 4 3
ultrabasites 12 1 1 1
roches ’valaisannes’ 2
fibrolites 4
autres 1
total déterminés 30 4 2 31 19 7 15
indéterminés 1 2 31 5 4 25
TOTAL 31 6 2 62 24 11 40

Décomptes pour les sites du lac Léman
Anthy/Séchex Chens/Beauregard Chens/Tougues Excenevez Messery/Crozette Sciez/Coudrée Thonon/Corzent
éclogites 6 12 1 1 2 3
jadéitites 1
glaucophanites 1
métabasites épi/mésozonales 2 2 1
autres métabasites 2 1
ultrabasites 6 1 1 3 1 4
métapélites 2
total déterminés 16 6 14 5 2 2 8
indéterminés 0 0 13 1 0 1 0
TOTAL 16 6 27 6 2 3 8

Figure 45. Lames de hache. Evolution des taux de présence des roches par période, pour l’ensemble de la zone d’étude. Effectifs en fig. 44.