1.1.2 Le Néolithique moyen I

Au Néolithique moyen I, les éclogites dominent largement toutes les régions documentées de notre aire de travail (fig. 46, carte 27). En Piémont, l’implantation de la phase II dite méandro-spiralique de la culture des Vasi a bocca quadratta (VBQ) dans les vallées alpines et à leurs débouchés s’accompagne de l’emploi des éclogites et parfois des jadéitites : Montalto Dora (n° 915-1 ; pl. 5) et Rocca di Cavour (n° 911-1 ; pl. 4), pour les sites étudiés, illustrent le fait, avec pour ce dernier site la présence d’un travail sur place avec de nombreux éclats de taille et de fragments travaillés en éclogites (Seglie, Ricchiardi et alii 1990 ; Zamagni 1996a ; cf. p. 214). Les données pétrographiques font défaut pour les deux autres sites V.B.Q. ayant livré des lames de hache, San Valeriano à Borgone di Susa dans le val de Suse (n° 908-1) et Santa Maria à Pont Canavese (n° 920-1 ; pl. 5), mais nous constatons que tous sont implantés dans les parties basses des vallées alpines et à leurs débouchés (carte 27). La proximité des affleurements primaires ou secondaires d’éclogites (carte 11) permet de relier ces sites à la production des lames de hache et donne ainsi un argument à l’exploitation des éclogites des Alpes piémontaises par les groupes du V.B.Q., en parallèle aux sites de la région d’Alba dont l’activité durant cette période est attestée (Venturino-Gambari et Zamagni 1996). Si l’on se rappelle que la production de lames de hache en éclogites est bien attestée au Néolithique moyen I (V.B.Q.) sur les versants nord (Gaione/Case Catena près de Parme ; Bernabò Brea, D’Amico et alii 1996) et sud des Apennins (Arene Candide : Ricq-de Bouard 1996, p. 142-145 ; Starnini et Voytek 1997b), il apparaît qu’un véritable épanouissement des productions en éclogites se fait jour durant cette période avec un élargissement géographique conséquent conduisant, pour ce qui nous concerne, à l’intégration des vallées alpines piémontaises dans le cercle des sites producteurs. Plus au nord, la présence du V.B.Q. est attestée en val d’Aoste (Mezzena 1981, 1997), mais aucun site n’a livré de séries homogènes contenant des lames de hache.

En Valais, trois sites dont la céramique peut être rattachée au style Saint-Uze documentent notre propos : à Savièse/la Soie, dans la fosse A73, une lame de hache en éclogite (n° 817-1 ; pl. 6) ; à Sion/Sous-le-Scex, couche 18, une moitié proximale en éclogite (n° 821-5) ; à Sion/Ritz, dans la St.3, deux lames polies en éclogite et en ultrabasite (serpentinite ; n° 821-4 ; pl. 6). Malgré un corpus très faible, la prégnance des éclogites déjà nette au Néolithique ancien (Sion/Planta) demeure, avec en plus l’emploi d’une serpentinite probablement d’origine locale. En Savoie, bien que les sites à occupations attestées au Néolithique moyen I avec lames de hache soient présents (carte 27), aucun n’a livré de série homogène. Dans les Préalpes du Sud, le site des Tourettes à Montmorin (n° 336-1 ; pl. 7) a livré six lames polies et fragments en éclogites dans la couche VIb rattachée au Chasséen ancien (groupe B de Beeching 1995a). En moyenne vallée du Rhône, le site de la Brégoule à Soyons a livré dans un niveau post-Cardial et pré-Chasséen une lame de hache en éclogite (n° 236-1 ; pl. 7). A ce faible corpus, nous pouvons ajouter le site de surface des Clapiers point A à Recoubeau (n° 126-1 ; pl. 101) dont l’occupation principale, d’après l’analyse du lithique taillé, peut être rattachée au Néolithique ancien et moyen I (Beeching, comm. orale). Parmi les neuf lames polies, sept sont en éclogites (dont trois ébauches) et une en jadéitite, la derniere étant indéterminée.

L’ensemble de ces données démontre l’importance des éclogites tant dans les vallées piémontaises où les preuves de leur travail en contexte V.B.Q. sont indéniables (Rocca di Cavour), que sur le versant occidental des Alpes en Valais et plus au sud dans les Préalpes et la moyenne vallée du Rhône. Le rôle de la culture du V.B.Q. dans les diffusions transalpines attestées du sud au nord du Piémont semble fort : la présence sporadique de tessons de vases V.B.Q. en Valais et plus constante en Savoie et dans les Préalpes françaises (Beeching 1999b) démontre l’existence de liens culturels entre les deux versants dès les phases initiales du Néolithique moyen. Mais les sites du défilé de Pierre-Châtel (Virignin/grotte des Romains, La Balme/Grande Gave) où sont attestés des tessons V.B.Q. et du style Saint-Uze (Beeching 1999b) sont tous de fouilles anciennes et le mobilier de plusieurs périodes est mélangé ; il n’est de ce fait pas possible de relier la présence de lames de hache en éclogites démontrées sur ces sites avec la présence de tessons V.B.Q. La seule exception est le site du col des Tourettes à Montmorin (n° 336-1) où un tesson de vase à probable ouverture quadrangulaire provient du niveau VIb attribué au Chasséen ancien (ibid., p. 452-454). Le site de Saint-Loup à Vif présente un cas de figure différent (n° 457-1 ; pl. 83 et 84) : une petite série céramique démontre sans ambiguïté l’existence de liens avec le Fiorano d’Italie du Nord (ibid.), c’est-à-dire de relations transalpines à hauteur du Piémont à la charnière entre le Néolithique ancien et moyen I, mais il est impossible d’assurer que les treize lames de hache (dont quatre ébauches), dont douze en éclogites, appartiennent à cette phase puisque toutes les phases postérieures du Néolithique sont présentes sur le site. Cependant, le lien entre l’apparition d’influences céramiques transalpines sur les sites des Préalpes et de Savoie (Fiorano puis V.B.Q.) et la diffusion de lames de hache en éclogites semble net, et démontre l’ouverture des reliefs des Alpes occidentales aux circulations humaines au moins dès cette période. C’est à cette phase que la découverte récente du site de surface du torrent de Julien à Uvernet-Fours près de Barcelonnette peut être rapportée, qui atteste de circulations d’altitude dans les massifs de la ligne de partage des eaux Pô/Rhône (carte 9, point A ; Beeching et Riols 1999).

Nous proposons donc de placer dans ce Néolithique moyen I où la culture du V.B.Q. phase méandro-spiralique s’implante en Piémont occidental la première véritable ouverture des Alpes occidentales aux circulations de lames de hache en éclogites, et ce tout au long de la dorsale alpine. Mais il n’est pas impossible que la mise en place de ces courants de diffusion soit initiée antérieurement, comme le suggère le cas de Saint-Loup à Vif. En Valais, les diffusions transalpines d’éclogites sont attestées dans une phase récente du Néolithique ancien (fin du VIème et début du Vème millénaire av. J.-C.), contemporaine de la culture de Fiorano dont le dynamisme a déjà été souligné (Bagolini 1980). En faisant abstraction des nomenclatures, nous pouvons donc émettre l’hypothèse qu’un changement dans les modalités de diffusion des éclogites à l’ouest des Alpes ait pris place au niveau de la culture de Fiorano : après un premier stade lié à l’Impressa ligure où les éclogites proviennent exclusivement des Apennins liguro-piémontais, pourrait prendre place une seconde phase liée au Fiorano et peut-être au Neolitico antico d’Alba où des relations transalpines plus directes, à la hauteur du Piémont occidental et septentrional se mettent en place. Dès lors, le V.B.Q. méandro-spiralé marquerait une troisième phase avec une véritable implantation humaine dans les basses vallées alpines piémontaises, l’apparition de sites de production proprement alpins et l’établissement de relations transalpines plus franches. Dans cette hypothèse, le courant de diffusion de lames de hache ligures prendrait place dans une nouvelle géographie des circulations où il serait limité à la Provence : la diffusion des éclogites en Provence orientale dans le Néolithique moyen I est bien attestée à Giribaldi (77 % des 22 lames de hache sont en éclogites et en jadéitites ; Ricq-de Bouard 1996, p. 106-107) et dans les niveaux Pré-Chasséen de Fontbrégoua à Salernes (sur trois lames de hache, deux sont en éclogites et une en jadéitite ; ibid., p. 109-111). Ces derniers ont par ailleurs livré un pichet de type Fiorano (Echallier et Courtin 1994 ; Beeching 1999b).