La diversité des roches reconnues et la prédominance des éclogites connaissent de fortes variations d’une région à l’autre (fig. 46, cartes 25 et 29). Contrairement au Néolithique moyen II, les données disponibles montrent pour le Néolithique final une baisse sensible de la présence des éclogites dans les Alpes internes franco-piémontaises. Elle s’exprime sur le site de Roreto/Balm’Chanto (n° 922-1) où sur vingt lames polies, huit sont en éclogites contre onze en ultrabasites (serpentinites), plus les fragments sciés en éclogites (Biagi et Isetti 1987 ; pl. 31 et 32). Sur ce site de production proche de affleurements, il y a donc recours à deux grandes familles de roches dans des proportions équivalentes. A Sollières/les Balmes (n° 547-1) cette diversité se retrouve mais avec des proportions qui sont conformes à ce que nous avons déjà vu pour les périodes antérieures : sur sept lames polies et ébauches, les éclogites accompagnées des jadéitites dominent largement (quatre et une pièces), suivies par une métabasite épizonale et une ultrabasite (une enstatite), auxquelles nous pouvons ajouter les trois fragments sciés en éclogites (pl. 34 à 36). Dans les sépultures de Fontaine-le-Puits, les trois lames de hache d’attribution sûre sont en éclogites (deux pièces) et en probable jadéitite (n° 521-1 ; pl. 37 à 38). Dans le Val d’Orco et également en contexte sépulcral, la lame de hache de Salto di Cuorgnè/Boira Fusca est en éclogite (n° 925-1). Les éclogites et jadéitites associées dominent donc largement sur les sites des Alpes internes, sauf à Balm’Chanto, qui montre une diversification des roches employées.
Comme au Néolithique moyen II, les éclogites piémontaises continuent d’être diffusées massivement dans les avant-pays savoyards ainsi qu’en Dauphiné où elles représentent respectivement 80 % et 100 % des roches identifiées (fig. 46). Sur le lac d’Annecy, deux sites fournissent des séries conséquentes, Annecy/le Port (n° 600-1) et Annecy-le-Vieux/Petit-Port (n° 601-1). Sur le premier, parmi vingt lames de hache, douze sont en éclogites, une en jadéitite, une en métabasite épizonale, six demeurant indéterminées (pl. 44). A Annecy-le-Vieux/Petit-Port, quatre pièces sont en éclogites, deux autres étant indéterminées (pl. 44 et 45). Plus près du Rhône, les éclogites demeurent employées mais apparemment dans des proportions moindres : une sur trois à Montalieu-Vercieu/Chamboud (n° 428-1 ; pl. 43) et à la Balme/Salette (n° 402-2 ; pl. 47), les deux autres pièces de chaque site étant indéterminées, peut-être deux sur les quatre de la Balme/Travers (n° 402-3 ; pl. 46), peut-être deux à Thuellin (n° 451-1 ; pl. 46). Il en est de même sur le site de Géovreissiat/Derrière le Château où sur 24 lames de hache et ébauches, sept sont en éclogites, trois en métabasites épizonales, une en ultrabasite et treize indéterminées (n° 717-1 ; pl. 39 à 43).
Dans les avant-pays du Dauphiné les éclogites sont les seules roches déterminables sur le site littoral de Charavines/les Baigneurs (n° 407-1) : 16 sur un total de 18 lames de hache (pl. 45)134. En éclogite également la lame polie de Claix/Comboire (n° 410-1 ; pl. 48), celle de la nécropole de Saint-Paul-de-Varces (n° 448-1 ; pl. 48) et le fragment du site de l’Aulp-du-Seuil à Saint-Bernard-du-Touvet (n° 442-1). Moins certaines sont les découvertes anciennes de la cluse de Grenoble : l’attribution au Néolithique final des lames polies des grottes de La Buisse et du Cornillon à Fontanil reste à démontrer et celles-ci ne sont pas prises en compte dans les effectifs (fig. 44). Néanmoins, relevons qu’à La Buisse/Fontabert, une lame polie sur les trois est en éclogite, une autre en fibrolite du Massif Central (n° 406-1 ; pl. 48) ; de plus, un croissant poli dit en «jade» (jadéitite ?) que nous n’avons pas pu étudier provient du même site. A la Buisse/Trou Noir, une lame de hache est en possible éclogite (n° 406-3). Les cinq lames polies et fragments du site du Cornillon au Fontanil sont en roches indéterminées (n° 418-1).
Plus au sud, les seules données sûres proviennent de la moyenne vallée du Rhône où les éclogites sont les seules roches identifiées (fig. 46) : à Donzère/Chauve-Souris, deux lames de hache découvertes hors stratigraphie mais rattachables aux occupations Néolithique final de la grotte (n° 55-2 ; pl. 49) ; une à Payre III au Pouzin (n° 222-1 ; pl. 49), deux à Montboucher/Le Pâtis 2 (n° 91-1 ; pl. 50), deux à Puygiron/la Jonchère (n° 123-1 ; pl. 50). Ajoutons à cela la seule lame polie conservée de l’abri funéraire de Cost à Buis-les-Baronnies d’attribution Néolithique final probable (n° 69-1 ; pl. 49). A l’ouest du Rhône en basse Ardèche, les sites fouillés du Néolithique final sont nombreux mais les collections, quand elles sont conservées, sont éparpillées ou non accessibles et les attributions chrono-culturelles souvent sujettes à caution. Les sites sûrs montrent un taux de présence des éclogites accompagnées de jadéitites de près de 50 %, aux côtés de roches diversifiées. A Orgnac/Baume de Ronze (n° 221-3), sur six lames de hache recueillies en couche ou hors stratigraphie mais attribuables au Néolithique final, deux sont en éclogites, une en jadéitite et trois en métabasites épizonales (pl. 52). Dans la grotte de Peyroche II à Saint-Alban-Auriolles (n° 224-1), sur onze lames polies attribuées à la base de la couche 4, soit, selon les fouilleurs, au contact entre le Néolithique final et le Bronze ancien (Roudil et Saumade 1968), quatre sont en fibrolite et six sont indéterminées (parmi elles, deux peut-être en éclogites). Au bord de la vallée du Rhône, le site des Bruyères à Saint-Julien-de-Peyrolas a donné huit lames polies en surface, dont deux éclogites et une possible glaucophanite (n° 227-1 ; pl. 51). Relevons également deux éclogites à Lussas/Aven Jacques (n° 219-1 ; pl. 53). En fait, le taux de présence des éclogites est probablement surestimé par le nombre de roches indéterminées qui sont des roches régionales, comme l’a montré une étude d’ensemble réalisée sur les collections du Musée d’Orgnac (Ricq-de Bouard, Deiss et Prud’homme 1998).
Revenons au nord des massifs alpins que nous avons laissé de côté. En Valais, le nombre de pièces datées et déterminées est très faible comparé au Néolithique moyen II (4 contre 45). Néanmoins, nous retrouvons à Savièse/la Soie, couche 4, deux roches «valaisannes», une ultrabasite (serpentinite), une éclogite et une roche indéterminée (n° 817-1 ; pl. 33) ; deux lames de hache en roche indéterminée sont également présentes dans le dolmen MVI et MXII de la nécropole du Petit-Chasseur (n° 821-1 et -2). Une tendance identique à l’indépendance des approvisionnements au Néolithique moyen II se manifesterait donc. Il en est peut-être de même en Val d’Aoste, avec les mêmes questions que pour le Néolithique moyen II (supra) : à Porossan (n° 903-1) et à Villeneuve/Châtel-Argent (n° 906-2), de rares lames polies hors contexte pourraient être attribuées au Néolithique final. Les roches employées sont indéterminées.
Reste le cas des rives du lac Léman. Le seul site où des lames de hache puissent être attribuées au Néolithique final, Messery/Crozette (n° 619-1), ne nous fournit guère de données puisque sur les deux lames polies une est en éclogite et l’autre en ultrabasite (pl. 34). L’abondance des données non datées sur le Léman nous oblige à étudier à part les sites de ce lac (cf. infra).
Une situation contrastée apparaît donc pour le Néolithique final, qui présente des points communs avec le Néolithique ancien. Dans les régions les plus éloignées des affleurements d’éclogites alpines, les roches régionales sont mises en oeuvre avec une vigueur accrue : le cas est net en Ardèche, bien que nous ne puissions guère comparer avec le Néolithique moyen, et dans le Bugey. Dans le Valais, la situation est similaire mais s’inscrit dans une tradition inaugurée dans le Cortaillod type Saint-Léonard ; il en est peut-être de même pour le Val d’Aoste. Un cas original se présente dans les Alpes internes à Balm’Chanto avec l’emploi concomitant des éclogites et des serpentinites pour réaliser des lames de hache. A contrario, les diffusions d’éclogites sont toujours aussi massives dans les Alpes françaises, les avant-pays savoyards, le Dauphiné et la moyenne vallée du Rhône. Ce schéma d’une régionalisation des sources d’approvisionnement a été établi en Provence et en Languedoc oriental, où les glaucophanites de basse Durance connaissent une exploitation sans précédant (Ricq-de Bouard 1996, p. 220-230). Une évolution comparable est perceptible pour les circulations d’éclogites, si l’on veut bien considérer des diffusions de l’est vers l’ouest et intégrer la distance à vol d’oiseau des sources de matières premières : jusqu’à environ 200 km, les éclogites dominent, tant en Provence (sources ligures) qu’en moyenne vallée du Rhône (sources du Sud-Piémont) ; dans les avant-pays savoyards et dauphinois, cette règle ne s’applique pas puisque la chute du taux d’éclogites se produit selon les données disponibles à environ 150 km au plus des sources piémontaises. En Valais, cette distance est encore diminuée puisque les sources possibles les plus proches des sites documentés, en Haut-Valais, sont distantes de moins de 50 km. Il semble donc que la force de diffusion des réseaux d’éclogites soit plus forte en Ligurie/Provence et en Sud-Piémont/Moyenne vallée du Rhône qu’en Nord-Piémont/Dauphiné-Savoie, c’est-à-dire dans les régions où les circulations d’éclogites ont été les premières mises en place.
Aucune variation chronologique n’est perceptible durant le Néolithique final, d’après les données dont nous disposons. L’hypothèse d’une décroissance progressive des circulations d’éclogites au fil du temps ne peut être fondée : les éclogites sont bien attestées sur les sites Campaniformes, les plus tardifs dans la séquence : à Géovreissiat135 (sept sur onze roches identifiées, pour un total de vingt pièces), une dans la nécropole de Saint-Paul-de-Varces, une sur le site d’altitude de l’Aulp-du-Seuil. Les sites tardifs non campaniformes recèlent aussi des éclogites : une à Payre III au Pouzin, trois à Fontaine-le-Puits (en comptant une jadéitite) si l’on suit l’hypothèse d’une datation basse pour ces sépultures (Rey 1999, p. 310-343).
L’ensemble de cette série a été étudiée par M. Ricq-de Bouard en partie par prélèvements, étude inédite et non disponible. Les chiffres donnés sont issus de nos propres observations sur le mobilier.
L’homogénéité du mobilier de ce site est cependant mise en question (cf. annexe 2).