1.2.3 Les techniques de polissage

Parmi les trois types de polissage recensés (cf. p. 195-199), seul le polissage à facettes fournit des indications chronologiques fiables. Le polissage «normal», sans facettes est ubiquiste et le polissage à stries très fines est étudié avec la question des grandes lames polies (chapitre 7).

Deux cas de polissage à facettes sur éclogites sont datés du Néolithique ancien Cardial à Lus/Corréardes (n° 79-1 ; pl. 2) et à Suze/Seizillière (n° 165-1 ; pl. 3). Mais il s’agit plus du résultat d’une mauvaise maîtrise de la technique du polissage que d’une intention véritable et ces deux cas sont trop isolés pour avoir une valeur. Il en est de même pour le site de surface des Clapiers A à Recoubeau où une lame polie présentant de possibles facettes sur les deux faces provient d’occupations rapportées au Néolithique ancien/moyen I (n° 126-1 ; pl. 101).

Le polissage à facettes longitudinales marquées et stries préférentiellement transversales apparaît au Néolithique moyen II en Valais : sur le site de Saint-Léonard/Grand Pré, 9 lames de hache en roches «valaisannes» présentent un tel polissage. Mais il connaît un grand développement au Néolithique final dans l’ensemble du bassin du Rhône, en particulier mais pas seulement sur les éclogites. Nous l’avons identifié dans les vallées internes à Sollières/les Balmes (carte 29, n° 547-1 ; cinq des huit lames polies ; pl. 35 et 36) et sur les trois lames polies des sépultures de Fontaine-le-Puits (n° 521-1 ; pl. 37 et 38) ; en Savoie, à Annecy/Port (n° 600-1 ; huit lames polies sur vingt ; pl. 44) et à Annecy-le-Vieux/Petit-Port (n° 601-1 ; pl. 44 et 45) ; en Bugey, sur deux lames polies reprises en percutant à Géovreissiat (n° 717-1 ; pl. 43) ; en Dauphiné, sur douze pièces du site de Charavines/Baigneurs (n° 407-1 ; pl. 45), à Thuellin (n° 451-1 ; pl. 46), à la Balme/Travers (n° 402-3 ; pl. 46) ; en moyenne vallée du Rhône à Montboucher-sur-Jabron/le Pâtis (n° 91-1 ; pl. 50), Le Pouzin/Payre III (n° 222-1 ; pl. 49), Donzère/Chauve-Souris (n° 55-2 : deux cas, pl. 49) ; en basse Ardèche à Peyroche 2 (n° 224-1 ; pl. 54) et à Orgnac/Baume de Ronze (n° 221-3 ; pl. 52).

De plus, le polissage à facettes longitudinales est présent sur des sites non datés ou à occupations multiples : sur le Léman à Bellevue (n° 801-1 ; pl. 58), Genève/Eaux Vives (n° 803-1 ; avec ébauches, pl. 74, 76), Chens/Tougues (n° 607-2 ; deux cas, pl. 69) ; en Savoie à Saint-Saturnin (n° 531-1 ; huit cas, pl. 83) ; dans le bassin de Grenoble à La Buisse/Trou Noir (n° 406-3), Vif/Saint-Loup (n° 457-1 ; deux cas, pl. 84) ; dans la vallée du Buëch à Chabestan/Chaumiane (n° 311-1 ; deux cas), Orpierre/Tarrin (n° 339-5 ; quatre dont une en éclogite qui est une ébauche en cours de bouchardage et de polissage), Savournon/Saint-Eys (n° 360-3 ; pl. 89 n° 1), Sigottier/Plaine (n° 362-3 ; 10 cas, pl. 92), dont une lame polie en éclogite en cours de refaçonnage, Sigottier/Forest (n° 362-2 ; huit cas, pl. 89) ; dans le Diois à Menglon/Terres Blanches (n° 84-2 ; deux cas), à Montmaur-en-Diois/Antonnaire (n° 102-1 ; pl. 100), Recoubeau/Clapiers A et Vallieu 1 (n° 126-1 et -2 ; pl. 101 et 103) ; dans les Baronnies à Vercoiran/Sainte-Luce (n° 181-1 ; pl. 96) ; en moyenne vallée du Rhône à Chabrillan/la Prairie (n° 29-1 ; pl. 25), Saint-Uze/Plateau Raverre (n° 155-1 ; pl. 106) ; en basse Ardèche au Pontiar (n° 228-1 ; pl. 107).

Le polissage à facettes comme le sciage est caractéristique de l’ensemble de notre région d’étude au Néolithique final, et l’association des deux techniques est soulignée par la reconnaissance de lames polies qui en portent les traces conjointes : un cas à Genève/Eaux Vives, Sollières/Balmes (pl. 35 n° 2), Charavines/Baigneurs (pl. 45 n° 5), Vif/Saint-Loup (pl. 84 n° 4), Sigottier/Plaine (pl. 92 n° 1), Montboucher/Pâtis 2 (pl. 50 n° 4), Le Pouzin/Payre III (pl. 49 n° 3), ainsi que dans le Néolithique moyen II, deux cas en roches «valaisannes» à Saint-Léonard/Grand Pré (pl. 12).

Comme pour le sciage, la technique apparaît dans le Néolithique moyen II mais est cantonnée alors au Valais et aux roches régionales. Or, au Néolithique final, le Valais ne connaît plus le polissage à facettes (sous réserve de découvertes futures, l’effectif étant très faible) alors que cette technique devient prépondérante dans l’ensemble de notre zone d’étude. Le lien entre l’un et l’autre peut donc sembler faible et conduit à rechercher ailleurs l’origine de cette technique. Si nous regardons les lames polies du Néolithique moyen II de Savoie, dans la zone d’influence du Cortaillod, nous nous apercevons que si les facettes longitudinales sont absentes, le principe du polissage transversal est acquis : le site de Saint-Jorioz/les Marais est exemplaire puisque sur onze lames de hache, sept présentent une ou deux faces à poli transversal (pl. 17 à 20). Sur le site proche de la Balme-de-Thuy/Vieille Eglise, deux des quatre lames de hache datées ont également un poli transversal sur une face (pl. 14 n° 1 et 3). L’ancrage savoyard du polissage transversal est souligné par le site de Thonon/Corzent sur la rive sud du Léman qui présentent ce type de façonnage : les six lames de hache possédant un poli sont à poli transversal (pl. 77 à 79). Un tel mode de polissage est également connu dans le Cortaillod du Valais, en parallèle au facettage bien attesté à Saint-Léonard/Grand Pré : à Savièse/la Soie couche 5, une lame polie est polie transversalement (pl. 9) ; de même à Sion/Sous-le-Scex et pour au moins une des lames de hache des tombes de Saint-Léonard/les Bâtiments (pl.10 ).

L’origine du polissage à facettes peut donc être placée dans le Cortaillod de Savoie et du Valais avec comme première étape l’innovation constituant à polir transversalement les surfaces. Faute de données publiées en ce sens, il est difficile de dire si cette technique est employée dans le Cortaillod du Plateau suisse. Mais alors que dans le Valais l’innovation ne semble pas avoir de descendance dans le Néolithique final, le polissage transversal cette fois avec facettage, se développe largement au Néolithique final sur les productions en éclogites retrouvées en Savoie, en Dauphiné, dans le bassin du Buëch, les Préalpes du Sud et la moyenne vallée du Rhône et atteint l’Ardèche. Plus au sud en Provence, ce type de polissage est très rare et lié aux éclogites (Lazard, comm. orale). Il ne semble pas avoir été adopté pour les glaucophanites duranciennes (ibid.). Par contre, au nord du Léman, il semble que le polissage à facettes soit inconnu au Néolithique final, sous réserve de vérification (Corboud et Pugin 1992 et P. Corboud, comm. orale). Nous avons pu vérifier de visu sur les séries de Delley/Portalban II la quasi-absence de ce type de façonnage (quelques cas sur plusieurs centaines de pièces). Le polissage à facettes semble donc être une innovation propre aux Alpes occidentales, née en Savoie et en Valais durant le Cortaillod puis plus spécifiquement liée aux diffusions d’éclogites durant le Néolithique final. Il révèle, comme le sciage, l’existence de changements techniques intervenus durant le Néolithique moyen II au sein du Cortaillod et qui s’étendent au Néolithique final à l’ensemble des Alpes occidentales et du bassin du Rhône.

En outre, avec le façonnage par facettes, nous disposons du premier élément de datation intrinsèque des lames de hache alpines qui ne corresponde pas à une tendance mais qui est exclusif (sauf en Valais) du Néolithique final. Au vu des données exposées ci-dessus, il n’est pas trop osé d’admettre que toutes les lames de hache présentant des facettes polies, surtout transversalement, appartiennent au Néolithique final. Ce fait nous permet de préciser la datation des lames de hache sur des sites à occupations multiples mélangées. Nous constatons ainsi que des lames polies à facettes sont présentes à Orpierre/Tarrin, Vif/Saint-Loup, Saint-Uze/Plateau Raverre, sites dont les occupations majeures voire exclusives (sur la foi du mobilier lithique taillé et céramique) sont rapportées au Néolithique moyen. Cela signifie que le mobilier poli de tels sites ne peut (hélas) être attribué en bloc au Néolithique moyen et nous conforte donc dans notre méfiance vis-à-vis des sites de ramassages de surface ou de fouilles non contrôlables. Un tel constat est négatif mais il permet à l’inverse d’affirmer la présence d’occupations au Néolithique final sur les sites lémaniques de Bellevue, des Eaux Vives et de Tougues, et par exclusion de rapporter le site d’Anthy/Séchex à un Néolithique moyen antérieur à l’innovation du polissage transversal démontrée à Saint-Jorioz/les Marais (daté du 38ème siècle av. J.-C.), à moins que le Léman ne connaisse une évolution distincte du lac d’Annecy. L’hypothèse d’une datation haute d’Anthy/Séchex n’est pas incompatible avec les données actuelles puisque le site riverain de Corsier/Port attribué à une phase ancienne du Cortaillod classique est daté du 39ème siècle av. J.-C. (Corboud et Seppey 1991). Le polissage transversal sur le site de Thonon/Corzent peut indiquer la présence d’occupations Néolithique moyen plus récentes, en parallèle à celle de Saint-Jorioz/les Marais. L’état de surface des lames de hache de Chens/Beauregard 3 ne permet pas d’observer les polis et de positionner le site dans cette sériation où il devrait, sur la base des matières premières, occuper une place tardive (cf. supra).