1.2.5 Les ciseaux

Si l’on en croit les données disponibles pour l’Italie du Nord, abondantes pour le Néolithique ancien et moyen I, les ciseaux sont fabriqués dès les premières phases du Néolithique : ils sont attestés à Alba (Venturino Gambari et Zamagni 1996), San Damiano d’Asti (Ventura 1996), Brignano Frascata (Zamagni 1996), Gaione (Bernabò Brea, D’Amico et alii 1996), sur le Monte Savino (Garibaldi, Isetti et Rossi 1996b), à Sammardenchia (D’Amico, Ferrari et alii 1996), aux Arene Candide (Starnini et Voytek 1997b). Des ciseaux sont signalés en Provence dès le Néolithique ancien en contexte Cardial, et demeurent en usage durant l’ensemble du Néolithique (Lazard 1993 ; Ricq-de Bouard 1996). Il ne s’agit pas d’un type spécifique du Néolithique méditerranéen puisque les ciseaux sont connus également dans les cultures danubiennes (Farruggia 1992, p. 55-61). Un ciseau en forme de bottier typique de ces groupes a été découvert sur le site Néolithique ancien de Sammardenchia dans le Frioul. Sa roche constituante, une silexite, témoigne d’une diffusion directe depuis le bassin du Danube et il côtoie des ciseaux et autres lames polies alpines, surtout en éclogites, en grand nombre (D’Amico, Ferrari et alii 1996). Dans le V.B.Q., de telles influences transalpines par le nord sont démontrées en Carinthie sur le site de Kanzianiberg (une forme de bottier ; Pedrotti 1990b), dans la nécropole de La Vela di Trento et dans une tombe anciennement découverte à Romarzolo près d’Arco (deux ciseaux en forme de bottier de type Hinkelstein, le premier en schiste à actinote, le second en chloromélanite ; Pedrotti 1996). Des ciseaux de type plus ubiquiste en roches de la famille des éclogites et des jadéitites proviennent de sépultures V.B.Q. à Collecchio, Campagnole di Negarine, Quinzano et Pederzano Pal Alt (ibid.). Il est intéressant de noter que dans ce petit corpus de ciseaux en contexte funéraire, les deux plus grands (16 et 15 cm) et aussi les plus réguliers sont les imitations de formes de bottier (ou peut-être une importation directe depuis le nord des Alpes pour celui en schiste), tandis que les autres sont nettement plus courts et en roches alpines (entre 8,2 et 11,7 cm). De ce fait, la question d’une influence danubienne, peut-être dès le Neolitico antico padano, sur les productions en roches alpines peut être posée.

Dans notre zone d’étude, aucun ciseau de type danubien n’a pu être identifié. Les ciseaux n’apparaissent pas avant le Néolithique moyen I (carte 22) : un exemplaire est identifié à Rocca di Cavour (n° 911-1) au pied des reliefs alpins, il s’agit un ciseau irrégulier façonné sur fragment de lame de hache brisée (Zamagni 1996a ; pl. 4 n° 4). Au Néolithique moyen II, des ciseaux en éclogites sont attestés en exemplaires uniques dans la zone de diffusion du Sud-Piémont sur les sites de Die/Chanqueyras (n° 53-1 ; pl. 22), la Faurie/grotte d’Agnielles (n° 321-1 ; pl. 21), La Garde-Adhémar/Surel (n° 64-1 ; pl. 27), auxquels nous pouvons ajouter sans certitude sur la datation les découvertes de surface de Villebois/Pierreousses (n° 185-1) et d’Orpierre/Les Turcs (n° 339-6 ; pl. 21) également en éclogites. Les ciseaux sont connus dans les Alpes internes à Chiomonte/la Maddalena (n° 913-1 ; deux fragments ; Fozzati et Bertone 1996), et sans certitude chronologique, en Val d’Aoste à Saint-Pierre/Châtelet, en roche régionale (n° 905-1 ; pl. 8). Ils existent aussi en Valais sur roches «valaisannes» : deux exemplaires inachevés à Saint-Léonard/Grand Pré (n° 815-2), ainsi qu’un ciseau très allongé provenant de Fully/Beudon (n° 810-0 ; pl. 138).

Les ciseaux sûrement datés du Néolithique final sont également peu nombreux : à Roreto/Balm’Chanto en éclogite (n° 922-1 ; pl. 31), deux à Annecy/le Port dont un en éclogite (n° 600-1), un à Saint-Paul-de-Varces en éclogite (n° 448-1 ; pl. 48), un à Saint-Julien-de-Peyrolas/les Bruyères en éclogite (n° 227-1 ; pl. 51), et un probable fragment à Sion/Petit-Chasseur dans le dolmen MVI (n° 821-1). Cette rareté est néanmoins compensée par la reconnaissance de vingt ciseaux isolés ou non datables qui sont polis transversalement avec des facettes longitudinales, preuve de leur fabrication au Néolithique final (cf. supra). Ils sont bien documentés dans la vallée de la Durance à Fouillouse (n° 323 ; pl. 148), dans le bassin du Buëch à Eourres (n° 316), Orpierre (n° 339), Savournon (2 cas ; n° 360), Sigottier (n° 362-0 ; pl. 149), Trescléoux (n° 365), dans les Préalpes du Sud à Crupies (n° 50), L’Epine (n° 317-0), Laborel (n° 72), Menglon/Terres Blanches (n° 84-2), Sainte-Colombe (n° 349), Vercoiran (n° 181-0), Véronne (n° 182), Vers-sur-Méouge (n° 183), en Valdaine à La Bégude/Châteauneuf-de-Mazenc (n° 16-0), Saint-Gervais-sur-Roubion (n° 145), Savasse (n° 160 ; pl. 149), en Tricastin à Montbrison-sur-Lez (n° 92). Un exemplaire de forme plus ou moins assimilable à un ciseau provient en outre de Saint-Julien-sur-Veyle dans la Dombes (n° 729).

L’absence de ciseaux sur le versant français des Alpes avant le Néolithique moyen II est remarquable. Il pourrait s’agir d’un effet statistique dû au fait que les ciseaux ne sont pas nombreux dans le corpus (5 % environ). Mais nous avons vu plus haut (p. 208-210) que les ciseaux sont pour partie un mode d’économie de la matière, avec le remploi fréquent de lames de hache brisées dans leur longueur, et sont également liés aux sites de production. Leur apparition au Néolithique moyen II dans le bassin du Rhône pourrait donc être le signe d’un changement dans la relation aux roches alpines de la part des populations concernées. Ce changement net dans le secteur de diffusion des éclogites du Sud-Piémont (bassin de la Durance/Préalpes du Sud/moyenne vallée du Rhône) est bien attesté pour le Néolithique final, grâce à la datation directe des objets par le polissage à facettes. Mais si nous considérons par hypothèse que tous les ciseaux non polis à facettes sont antérieurs, leur présence dans ces régions serait bien marquée dès le Néolithique moyen II (carte 22).