2.5 Phase 5 : le Néolithique moyen II, étape terminale

Nous avons opté pour la distinction d’une phase terminale au sein du Néolithique moyen II afin de mettre en lumière les transformations profondes qui affectent le Valais. En effet, cette région est le lieu d’une rupture importante avec le système de production et de diffusion Chasséen et Cortaillod, rupture qui semble avoir une valeur chronologique autant que géographique. Nous avons en conséquence isolé ce fait dans une phase spécifique, bien qu’aucune modification ne soit perceptible dans l’ensemble du système alpin, en l’état actuel des connaissances. Ces transformations peuvent être situées dans les deuxième et troisième quarts du IVème millénaire av. J.-C. (carte 41).

En Valais, les phases anciennes du Néolithique moyen II sont mal connues. Un faciès Cortaillod dit type Petit-Chasseur est mis en évidence, mais aucune lame de hache n’y est documentée à notre connaissance. D’après la stratigraphie de Sion/Petit-Chasseur, le Cortaillod type Saint-Léonard lui est postérieur (Baudais, Brunier et alii 1989-90). Ce dernier faciès montre une disjonction nette dans le style céramique avec le Cortaillod tardif du Plateau suisse, et des influences de La Lagozza transalpine (ibid.). C’est dans ce contexte d’individualisation et d’insertion dans le monde alpin que les productions en roches tenaces, bien documentées dans le Cortaillod type Saint-Léonard se distinguent à la fois du Néolithique moyen I du Valais, où les éclogites sont présentes, et du Néolithique moyen II contemporain de l’ensemble des Alpes occidentales où ces mêmes éclogites constituent le fondement du système lithique poli.

Du point de vue des roches tenaces, trois faits distinguent le Cortaillod de type Saint-Léonard. En premier, la très faible présence des éclogites : elles sont attestées sur le site éponyme (10 % des lames polies achevées), mais il est possible que ces éclogites soient en fait plus anciennes, car des phases d’occupations du Néolithique moyen I sont pressenties sur la base de quelques tessons céramiques (David 1986). Les roches employées en majorité sont indéterminées en l’état actuel des recherches, mais se distinguent fortement des roches tenaces habituellement mises en oeuvre pour les productions alpines par leur dureté moindre et leur délit schisteux à fibreux. Ces caractéristiques mécaniques ont pour conséquence, second critère distinctif, le recours à des techniques de travail spécifiques. Le sciage est la technique prioritaire pour le débitage et le façonnage, le bouchardage est quasiment inconnu et le polissage est mis en oeuvre directement, réalisé par mouvement transversal donnant naissance à des facettes longitudinales. L’emploi du sciage est un trait commun du Cortaillod suisse, mais il est ici partie prenante de chaînes opératoires qui paraissent peu investies techniquement et qui produisent des lames de hache assez peu standardisées, bien que parfois de dimensions respectables (cf. l’exemplaire de Saint-Léonard, pl. 12, et celui non daté de Chamoson, pl. 145).

L’individualisation régionale s’exprime en outre par l’apparition d’une nouvelle production, les pointes de flèches en roches polies. En l’état actuel des connaissances, le Valais est la première région à avoir inventé ce type spécifique des Alpes occidentales, et leur valeur de marqueur identitaire s’exprime par leur présence -sous une forme taillée et probablement non fonctionnelle- en contexte funéraire dans les tombes en ciste de type Chamblandes de Saint-Léonard/les Bâtiments.

Le cas valaisan démontre la complexité des faits sociaux en cause dans l’évolution du système de production et de diffusion des lames de hache alpines. Aux composantes externes aux Alpes (rattachement culturel au Cortaillod du Plateau suisse par l’ambiance céramique et la typologie de l’industrie lithique taillée, le recours au sciage) et internes aux reliefs (affinités céramiques avec La Lagozza) se surimposent des choix proprement régionaux (roches valaisannes pour le quartz hyalin taillé et les roches tenaces, apparition des flèches en roches polies) qui modèlent un particularisme indéniable. Le point important pour notre propos est que cette distinction intra-alpine s’exprime de manière très forte dans l’économie de production des mobiliers polis qui par conséquence peuvent être crédités d’une signification sociale non négligeable. Il est difficile d’expliquer les raisons de cette disjonction avec le puissant système de production et de diffusion des éclogites en place durant la même période dans l’ensemble des Alpes occidentales. Dans l’optique de contrôles forts des sources de matériaux, l’impossibilité d’accès aux éclogites piémontaises pourrait être une explication, mais il est étrange de constater que les éclogites valaisannes n’ont pas été exploitées, en l’état actuel des connaissances. Pourtant, le site d’altitude de l’Alp Hermettji au-dessus de Zermatt démontre une fréquentation de leur secteur d’affleurement durant tout le Néolithique, sans qu’aucun fragment d’éclogite n’ait été retrouvé lors de la fouille (Curdy, Leuzinger-Piccand et Leuzinger 1998 et comm. personnelle).

Le Val d’Aoste pourrait présenter une configuration semblable au Valais. Dans les collections que nous avons étudiées, les rares pièces pouvant appartenir au Néolithique moyen II ne sont pas des éclogites mais des roches assez proches d’aspect des «roches valaisannes». Il est donc possible, mais cela demeure une simple hypothèse dans l’attente de nouvelles données, que le Valais et le Val d’Aoste aient constitué dans une phase terminale du Néolithique moyen une entité homogène du point de vue de la gestion des roches polies. Nous serions dans ce cas face à un pôle nord-alpin autonome, opposé à la structure de production sur éclogites implantée dans le reste des Alpes et Préalpes occidentales, et en particulier sans relations avec la Savoie proche parfaitement intégrée aux réseaux alpins.