1.1.3 Les cassures distales

Dans ce paragraphe, nous n’envisageons que les dommages occasionnés aux biseaux de la lame polie qui sont trop importants pour pouvoir être réparés par un simple réaffûtage (cf. infra). L’extrémité distale doit subir un refaçonnage partiel ou total et il s’agit donc bien d’un accident de travail et non pas d’une usure normale.

Ce type d’accident, de loin le plus fréquent (présent sur 26,7 % des lames polies) peut provoquer cinq types de cassures, qui doivent avoir des causes différentes mais encore impossible à identifier (fig. 53). L’accident le plus fréquent (un cas sur deux) est le détachement d’un éclat à partir de l’un des angles entre le fil du tranchant et le côté, éclat dont la largeur et surtout la longueur relative par rapport à la longueur de la pièce peut être fort variable. Dans les cas extrêmes, il peut conduire à tronquer une bonne partie de la lame polie en un grand triangle (ex. : pl. 17 n° 2) qui nécessite alors un refaçonnage important et donne à la face de l’objet une forme dissymétrique caractéristique (ex : pl. 61 n° 1, pl. 100 n° 3). L’éclat ainsi détaché peut lui-même servir de support pour une petite lame polie (ex : pl. 40 n° 3). Dans les cas moins graves, un bouchardage ou plus souvent un polissage de la cassure permet de redonner à l’extrémité sa fonction tranchante, mais entraîne fréquemment un rétrécissement de la largeur du fil et donne à la lame polie une forme caractéristique (ex : pl. 17 n° 3, pl. 77 n° 3). Les reprises sont extrêmement fréquentes (416 cas, soit 79 %), la plupart du temps par polissage (353 cas, soit 85 % des reprises) ce qui indique bien qu’il s’agit d’un accident fréquent mais peu dommageable pour l’usage de la pièce. Les autres types de cassures sont plus rares (fig. 53). Il peut s’agir de petits éclats répartis sur le fil du tranchant (22,2 % des cas ; ex : pl. 79 n° 3), d’un ou de plusieurs éclats de longueur conséquente placés près de l’axe central (6,7 %), ou plus rarement d’un grand éclat qui emporte l’un ou les deux biseaux et souvent une partie du corps de la lame polie (1,3 % des cas). Un dernier type de cassure, transversal à l’axe de la pièce (4,2 % des cas), dénote une rupture en flexion (pl. 36 n° 1). Il peut s’agir d’un accident ou peut-être, à l’image du «coup de tranchet» sur les tranchets en silex taillé, d’un enlèvement intentionnel destiné à supprimer l’extrémité du tranchant trop éclaté pour préparer un front de repolissage régulier.

Néo. ancien Néo. moyen I Néo. moyen II Néo. final total daté total corpus
petit sur le fil 1 2 9 12 117
central 1 2 10 13 35
latéral 6 1 30 29 66 266
transversal 2 5 7 22
éclatement total 4 2 6 7
indéterminé 79
total cassés 7 2 40 55 104 526
total corpus 19 25 132 179 355 1969
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Figure 53. Lames polies. Modes de cassure du tranchant.

La récurrence des accidents qui peuvent être mis en évidence sur certaines pièces permet de penser qu’ils sont un facteur important de l’évolution de la forme de l’extrémité distale, car le cycle des cassures et des refaçonnages provoque le rétrécissement de la largeur du fil et sa dissymétrie faciale. L’abondance des reprises démontre en outre que les néolithiques ont tenu compte de ces accidents et les ont intégrés dans la gestion des biseaux de la lame polie : le refaçonnage vise toujours à l’économie et conduit le plus souvent à des déformations dans les symétries qui n’handicapent pas le fonctionnement de l’outil.

Leur répartition chronologique n’accuse pas d’évolution nette. Une tendance peut être perceptible entre le Néolithique moyen II et le Néolithique final avec une diminution de la proportion des éclats latéraux qui passent de 75 % à 50 % environ, baisse liée à une plus grande diversité des types de cassure, avec surtout une augmentation des éclats détachés à partir du fil (fig. 53). Il existe en outre une légère différence entre l’ensemble des pièces issues de sites datés, découvertes en fouille, et la totalité des pièces au tranchant brisé : les petits éclats sont plus nombreux pour ces derniers, ce qui pourrait indiquer en bonne logique qu’ils sont pour partie plus récents et produits par leur séjour dans le sol (cf. note supra).