1.4.4 Les dimensions et les formes des lames polies : approche fonctionnelle

Dans notre région d’étude, nous avons mis en évidence le fait que la prise d’importance des formes à section plus quadrangulaire au cours du Néolithique est liée à une transformation générale du façonnage (chapitre 5) : importance croissante du polissage face au bouchardage, traduite par la hausse des types morpho-techniques A3, A4, B et C (fig. 28 et 40) ainsi que par la dominance de formes de face trapézoïdales à rectangulaires. Cependant, l’idée d’une relation entre l’évolution vers des côtés moins divergents et la hausse de l’emploi des gaines a été émise dans le cas jurassien (Jeudy, Maitre et alii 1997). Cette évolution a été quantifiée sur les sites d’Auvernier où une diminution générale des angles de divergences des côtés est établie entre le Cortaillod et le Lüscherz : les valeurs d’angle les plus représentées sont respectivement de 15-20 degrés et de 10-15 degrés (Buret 1983, p. 71-72). Cette évolution n’étant pas spectaculaire, nous avons cherché à la mettre en évidence dans notre corpus par une quantification précise des angles de divergence des côtés, en tenant compte de la longueur des lames polies puisque le mode d’emmanchement ne peut être identique pour les grandes et les petites lames. Nous avons établi trois classes de longueur pour pouvoir travailler sur des effectifs fiables, en décomposant les valeurs d’angle de 5 en 5 degré (par exemple, la classe des 10° correspond à une valeur comprise entre 7,5 et 12,5°), ce qui permet de réduire l’imprécision de la mesure inévitable sur ce critère (cf. annexe 11). Les données obtenues montrent des variations nettes selon les longueurs et les périodes (fig. 60 et 61).

Figure 60. Lames polies. Rapports entre la longueur de la lame et l’angle de divergence des côtés.
Néolithique ancien Néolithique moyen I
longueur (mm) longueur (mm)
angle (d°) 0-50 51-100 101-150 > 151 total angle (d°) 0-50 51-100 101-150 > 151 total
0 0 1 1
5 5
10 10
15 15 1 1
20 3 3 20 1 1
25 1 1 2 25 2 1 3
30 4 1 5 30 1 1
35 35
40 1 1 40
45 1 1 45 1 1
total 7 5 12 total 5 3 8
Néolithique moyen II Néolithique final
longueur (mm) longueur (mm)
angle (d°) 0-50 51-100 101-150 > 151 total angle (d°) 0-50 51-100 101-150 > 151 total
0 3 5 1 9 0 3 3 6
5 1 2 3 5
10 1 4 5 10 3 7 4 14
15 6 2 1 9 15 2 9 6 17
20 2 9 4 15 20 6 7 4 17
25 2 9 2 1 14 25 4 13 1 18
30 2 8 10 30 3 10 5 18
35 6 6 35 3 4 7
40 3 1 1 5 40 2 2
45 2 2 45 1 1
50 total 27 53 20 100
55 2 2
total 24 44 2 80

Deux modes de répartition des angles de divergence des côtés apparaissent sur les lames polies datées et mesurables (200 pièces). Au Néolithique ancien et au Néolithique moyen I, la répartition est bimodale avec deux pics assez bien superposés : l’un entre les valeurs de 20 à 30° (Néolithique ancien) et de 15 à 30° (Néolithique moyen I), l’autre autour des valeurs de 40 à 45° (Néolithique ancien) et 40° (Néolithique moyen I). Au Néolithique moyen II et au Néolithique final, la distribution des valeurs d’angle est également bimodale mais selon une répartition différente : les angles très ouverts sont inconnus, les pièces à côtés parallèles qui correspondent aux type «ciseau» apparaissent (ici représentées par la valeur 0), et la majeure partie des lames polies ont des côtés dont la divergence varie entre 10 et 40°, les classes les plus peuplées étant comprises entre 20 et 25° au Néolithique moyen II et 10 et 30° au Néolithique final. Il y a donc bien une tendance à la diminution de la divergence des côtés au cours du Néolithique, avec une rupture sensible entre le Néolithique moyen I et II et une évolution entre cette période et le Néolithique final.

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Figure 61. Lames polies. Evolution chronologique du rapport entre la longueur de la lame et l’angle de divergence des côtés. Données en figure 60.
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La distinction des classes de longueur permet de mettre en évidence la complexité de cette évolution qui ne suit pas cette tendance de manière univoque. Les effectifs de chaque classe étant presque toujours inférieurs aux seuil statistique de fiabilité, les courbes obtenues présentent des irrégularités (fig. 61). Néanmoins, les deux types de distribution des valeurs de l’angle de divergence se retrouvent très bien pour les longueurs faibles (moins de 5 cm) et moyennes (entre 5 et 10 cm), et la tendance à la diminution de la divergence au Néolithique moyen II et final est très nette. Au contraire, la variation des angles de divergence des côtés des lames polies de longueur supérieure à 10 cm est différente. Bien que les effectifs soient faibles, le caractère unimodal de la distribution semble toujours respecté, avec des valeurs comprises entre 15 et 30° qui tendent à se décaler légèrement vers les angles très fermés au cours du Néolithique.

Il apparaît donc nettement que seules les lames polies de moins de 10 cm de long connaissent une évolution marquée vers des bords moins divergents à partir du Néolithique moyen II. La relation avec l’emploi croissant des gaines comme intermédiaire pour l’emmanchement peut être proposée avec quelque vraisemblance, dans la mesure où la gaine est surtout utile pour les lames polies de petit format : en plus de son rôle d’amortisseur des chocs, elle permet d’utiliser une lame polie de plus petite longueur de manière aussi efficace qu’une lame polie de longueur équivalente à celle de la lame et de la gaine.

Néo. ancien Néo. moyen I Néo. moyen II Néo. final total daté total corpus
asymétrique 4 1 24 42 71 340
symétrique 11 6 39 46 102 615
total 15 7 63 88 173 955
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Figure 62. lames polies. Symétrie des biseaux du tranchant en vue de profil.