1.4.5 La position de la lame : haches et herminettes

La question de la position du fil du tranchant par rapport à l’axe du manche monopolise souvent le débat fonctionnel, dans la mesure où, par référence aux sociétés sub-actuelles européennes, la hache est associée à l’abattage des arbres et l’herminette aux menus travaux (cf. chapitr 1). Or, les données acquises auprès des derniers utilisateurs d’outils à lames de pierre en Nouvelle-Guinée démontrent que ce schéma simpliste établi pour des outils à lame d’acier est faux (Godelier et Garanger 1973 ; Pétrequin et Pétrequin 1993). Il repose sur une confusion entre fonctionnement et fonction qui masque la diversité des fonctions des haches et des herminettes, y compris pour les outils d’acier européens qui ne se réduisent pas à cette opposition (Robert 1991). Du point de vue du fonctionnement, la distinction entre un emmanchement en hache et en herminette repose sur la forme prise par les biseaux du tranchant, vus de profil : «lorsque le tranchant est à deux chanfreins égaux, rien ne permet de distinguer les deux outils [hache et herminette]. Mais un nombre important de lames ont des chanfreins inégaux, souvent un seul biseau ou un évidement, ce sont sans discussion possible des herminettes si les talons ne portent pas de trace des percussions prolongées propres au ciseau à percuteur» (Leroi-Gourhan 1943, p. 190). Nous avons vérifié lors d’une étude réalisée sur une série déposée au Musée de Valence la justesse de ce principe : seule la symétrie des biseaux en vue de profil est déterminante ; la symétrie du tranchant vu de face, du corps de la pièce de face, de profil et de section ne conditionnent pas le mode de fonctionnement (Thirault 1993). En Nouvelle-Guinée, bien qu’il existe dans les Hautes Terres à Langda des productions de lames de herminette au corps nettement dissymétrique à l’image des herminettes danubiennes, «la différence fondamentale entre la hache et l’herminette est davantage à chercher vers le réglage de l’angle d’attaque du tranchant, en général symétrique dans le premier cas, dissymétrique dans le second» (Pétrequin et Pétrequin 1993, p. 41).

Sur cette base, nous rappelons que pour les productions de lames polies alpines, la forme de la section est dans la très grande majorité des cas ovalaire, rectangulaire ou intermédiaire entre les deux. La symétrie de la section n’est pas toujours parfaite, loin s’en faut, et nombre de pièces présentent une face plus aplatie que l’autre, ce qui permet d’orienter les lames (face A, la plus convexe, B la plus plane ; cf. annexe 11). Cette dissymétrie, difficile à quantifier, nous semble produite par le mode d’obtention du support et constitue un argument dans la reconnaissance de l’emploi de supports débités (cf. p. 171). Néanmoins, 21 lames polies à section plano-convexe sont à relever (soit 1 % du total), qui peuvent être interprétés comme des cas extrêmes d’asymétrie pour des sections tendant à l’ovale ou au rectangle.

Les décomptes de la symétrie du profil des tranchants sont établis en distinguant les profils plus ou moins symétriques de ceux qui présentent une nette asymétrie (fig. 62). Il faut en effet tenir compte du fait que la lame polie est utilisée dans un assemblage qui permet de corriger le cas échéant une légère dissymétrie du profil des biseaux liée par exemple à leur réaffûtage successif (cf. supra). C’est donc bien le caractère asymétrique intentionnel des biseaux qui est retenu, c’est-à-dire une divergence de profil trop forte pour que la lame polie puisse être fonctionnelle dans une position du fil parallèle au manche (type hache). Le tableau de décompte ne met donc en lumière que les cas de lames polies ne pouvant fonctionner qu’en herminette. Quand les biseaux sont symétriques ou légèrement dissymétriques de profil, l’emmanchement peut se faire en herminette ou en hache. Pour la totalité des lames polies à tranchant conservé et à symétrie restituable (955 pièces), la proportion de pièces asymétriques est de l’ordre d’un tiers pour deux tiers de lames polies à biseaux symétriques. Le fait indique donc la faiblesse des lames de herminettes vraies. L’examen chronologique permet de percevoir une évolution. Les lames de herminettes vraies sont très faiblement représentées au Néolithique ancien et au Néolithique moyen I, respectivement 26,5 et 14,3 %. Il est probable que le corpus très faible pour ces périodes induise un biais statistique. Néanmoins, au Néolithique moyen II et au Néolithique final se manifeste une nette tendance à l’augmentation de la proportion des lames de herminette, présentes à hauteur de 38,1 % puis de 47,7 %.

Une tendance évolutive à la hausse progressive de la part des lames polies utilisées en herminette peut donc être proposée, tendance certaine à partir de la coupure Néolithique moyen I et II et qui conduit, au Néolithique final, à la constitution d’une situation d’équilibre entre l’emmanchement en hache et celui en herminette, pour autant que les tranchants de profil symétrique correspondent tous à des haches. Si les critères de distinction sont réellement pertinents, il y a donc bien une évolution dans le fonctionnement de l’outil avec la prise d’importance croissante de l’herminette au fil du Néolithique.