2.3.1 Les habitats

Des sites définis comme habitat sont reconnus sur toute la durée du Néolithique, et livrent fréquemment des lames de hache. La question initiale est la signification du terme habitat, dans la mesure où la preuve de la vie quotidienne d’une communauté en un lieu donné est le plus souvent difficile voire impossible à démontrer. La présence de nombreuses structures domestiques (foyers, aménagements de sols, rejets) est souvent un élément mis en avant, mais en fait, seule la reconnaissance de maisons et du rythme d’occupation permet de passer du stade générique d’habitat (lieu où l’on habite) à celui d’habitat pérenne, occupé de manière permanente durant l’année et sur plusieurs année.

Dans notre région d’étude, les sites définis comme habitats sont rares au Néolithique ancien (carte 26)144. Seul Sion/la Planta est explicitement défini ainsi. Il a livré une lame de hache entière et un fragment (n° 821-3, pl. 1 n° 1). En Ardèche, l’occupation de la Baume de Ronze à Orgnac est probablement liée à un habitat, au vu du mobilier récolté et des aménagements de sol (étude en cours). Les fouilles ont mis au jour deux extrémités proximales et une petite lame polie entière (n° 221-1, pl. 1 n° 4 à 6). La possibilité d’un habitat doit également être évoquée pour les sites de plein-air de Soyons/la Brégoule (n° 236-1, pl. 1 n° 3) et Suze-la-Rousse/la Seizillière (n° 165-1, pl. 3).

Au Néolithique moyen I, l’incertitude sur le statut des sites est aussi grande (carte 27). Sur le versant piémontais des Alpes, la nature des implantations V.B.Q. est très mal cernée : les fonctions de sites de vallées comme Borgone di Susa/San Valeriano (n° 908-1), Montalto Dora (n° 915-1) ou Pont Canavese/Santa Maria (n° 920-1) ne sont pas explicitées. Les lames polies sont bien représentées sur tous (pl. 5). Seul le site de Rocca di Cavour semble pouvoir correspondre à un habitat, en position dominante face à la plaine (n° 911-1, pl. 4) ; il s’agit en outre d’un site de production de lames de hache important (cf. p. 214). En Valais, les implantations dans la région de Sion sont définies comme des habitats, mais aucune n’a été fouillée sur une grande surface : Savièse/la Soie (n° 817-1, pl. 6), Sion/Ritz (n° 821-4, pl. 6) et Sion/Sous-le-Scex (n° 821-5) ont livré des lames de hache, toujours en petite quantité (respectivement une, deux et une). En moyenne vallée du Rhône et sur ses marges, les sites de plateau de Saint-Uze/Raverre (n° 155-1, pl. 106) et du Pègue/Saint-Marcel (n° 109-2) sont occupés surtout au Néolithique moyen I et ont livré respectivement neuf et treize pièces polies, dont l’attribution à cette période ne peut pas être certifiée.

Au Néolithique moyen II, des habitats semble-t’il plus stables sont identifiés et fouillés (carte 28). Dans les reliefs alpins, le Valais a fourni les seules références : Bramois (n° 805-1), Rarogne/Heidnischbühl (n° 812-1, pl. 10), Saint-Léonard/Grand Pré (n° 815-2, pl. 11 et 12), Savièse/la Soie (n° 817-1, pl. 9) et Sion/Sous-le-Scex (n° 821-5). Le nombre de lames de hache sur chaque site est fort variable (respectivement 5, 4, 49, 8 et une lames polies achevées), lié en particulier à l’existence ou non de productions sur place comme pour Saint-Léonard/Grand Pré (cf. fig. 65). Les habitats Cortaillod de bord de lac livrent des lames de hache en quantités notables : 15 à Corsier/Port sur le Léman (n° 802-1) et 10 à Saint-Jorioz/les Marais (n° 626-1, pl. 16 à 20).

Néanmoins, les habitats Cortaillod à maisons sur poteaux ne peuvent servir de modèle d’habitat valable pour l’ensemble du Néolithique moyen alpin. Le cas de Chiomonte/la Maddalena dans le haut val de Suse (n° 913-1) démontre le danger des interprétations hâtives. L’implantation principale attribuée au Chasséen couvre 5 ha. Les structures d’habitat sont des plus légères (foyers, petites «cabanes») mais la quantité de mobilier a incité les fouilleurs à parler d’un «grand village permanent et majeur» (Bertone et Fedele 1991, p. 71 et 73). Le progrès de l’étude rend aujourd’hui ceux-ci plus prudents puisqu’ils parlent d’un «lieu de marché» d’occupation temporaire et cyclique, aux fonctions en fait mal comprises (Bertone et Fozzati 1998, p. 212-215). La présence d’une petite nécropole de tombes en ciste ajoute à la complexité du site qui a livré de nombreuses lames de hache.

Une telle perplexité face au statut des sites dits d’habitat est la règle en moyenne vallée du Rhône et dans les Préalpes (Beeching 1989, 1999a ; Beeching, Berger et alii 2000) : la grande majorité des sites documentés pour le Chasséen échappe à toute interprétation fonctionnelle (cf. liste en annexe 3). Un élément de réflexion est la présence des sites de production de lames polies dans la vallée du Buëch et dans le Diois (carte 24), qui livrent généralement des lames polies en nombre mais dont la fonctionnalité ne peut se réduire à cette seule activité. Pour ne prendre que quelques exemples, les grandes implantations de fond de vallée comme Menglon/Terres Blanches (n° 84-2), Sigottier/le Forest et la Plaine (n° 362-2 et -3) ou Orpierre/Tarrin (n° 339-5) montrent une occupation conséquente au moins durant le Néolithique moyen, où le lithique poli n’occupe qu’une place modeste face en particulier au lithique taillé.

En outre, la présence de sites de fonctions sans doute extra-ordinaires mais actuellement incompréhensibles attire l’attention sur de possibles statuts particuliers de l’outil hache. La grotte du Trou Arnaud à Saint-Nazaire-le-Désert dans les Préalpes en fournit un bon exemple. Outre un mobilier surabondant et des structures inhabituelles (nombreux trous de piquet, petits silos en argile crue), la galerie occupée durant le Néolithique moyen a livré dans les niveaux du Chasséen récent deux lames polies entières et une extrémité proximale (n° 149-1, pl. 23). Une quatrième lame polie, la plus grande, était coincée dans une fente de la paroi (pl. 22). Les lames de hache sont aussi attestées sur des sites où la fonction d’habitat est conjecturale : une lame polie entière à l’abri de la Barthalasse à Sahune (n° 139-1, pl. 24), deux pièces entières et deux fragments dans les niveaux Néolithique moyen de l’abri de la Vieille-Eglise à La Balme-de-Thuy (n° 603-1, pl. 14). A Sollières/les Balmes (n° 547-1), un niveau profond fouillé sur une faible surface et daté par C14 du Néolithique moyen II a livré trois lames de hache, dont une recyclée en percutant (pl. 13), quelques éclats de quartz hyalin et un récipient en écorce de bouleau rempli de graines de céréales.

La situation est à peu près identique durant le Néolithique final. Des habitats ayant livré des lames de hache sont connus en Valais (Collombey/Barmaz I : n° 809-1 ; Savièse/la Soie, qui a livré cinq pièces : n° 817-1, pl. 33) et sur les rives des lacs savoyards et dauphinois. Au bord du lac Léman, Corsier/Port a livré 43 lames polies (n° 802-1) et Messery/Crozette deux autres (n° 619-1 ; pl. 34). Au bord du lac d’Aiguebelette, deux pièces proviennent des Roseaux (n° 501-1). Sur le lac d’Annecy, vingt lames polies proviennent d’Annecy/le Port (n° 600-1, pl. 44) et cinq d’Annecy-le-Vieux/Petit-Port (n° 601-1, pl. 44 et 45). A Charavines/les Baigneurs, la fouille intégrale de l’habitat a fourni 19 lames polies (n° 704-1, pl. 45). Le probable site de tourbière de Thuellin peut être ajouté à cette liste, avec deux lames polies conservées (n° 451-1, pl. 46). Dans les mêmes régions, de probables habitats terrestres sont connus dans le Bugey (21 lames polies à Géovreissiat : n° 717-1, pl. 39 à 43), au bord du Rhône à La Balme (sites de Travers et de La Louvaresse, n° 402-2 et -3 ; trois et quatre lames polies, pl. 46 et 47) et à Montalieu/Chamboud (deux pièces ; n° 428-1, pl. 43). En moyenne vallée du Rhône, des sites d’habitat ayant livré des lames de hache sont reconnus à Allan/Jas des Chèvres (n° 3-1 ; trois lames polies), Montboucher-sur-Jabron/le Pâtis 2 (n° 91-1 ; une pièce, pl. 50) et Saint-Julien-de-Peyrolas/les Bruyères (n° 227-1 ; huit pièces, pl. 51). En Ardèche, les lames de hache apparaissent régulièrement sur les habitats : plusieurs à Banne/le Malpas (n° 203-1), une à Berrias-Casteljau/les Côtes et sur l’éperon barré (n° 205-1 et -5), plusieurs à Chauzon/Beaussement (n° 210-1), deux à Grospierres/Serre de Boidon (n° 214-4), et cinq à Orgnac/Baume de Ronze dont le statut d’habitat n’est pas assuré (n° 221-1, pl. 52). Des sites comme l’abri de la Vessignié à Saint-Marcel-d’Ardèche (n° 228-3) peuvent difficilement être qualifiés d’habitat mais présentent une fonction de stockage. Une lame de hache y a été retrouvée.

Notes
144.

La présentation de chaque site et les renvois bibliographiques sont portés en annexe 2.