Dans notre région d’étude, trois sites chasséens ont livré des lames de hache associées à des sépultures. A La Rochette-du-Buis dans les Baronnies, une sépulture sous une énorme pierre a été fouillée vers 1880 (n° 135-1). Le mobilier abondant récolté alentours est aujourd’hui attribué au Chasséen (Beeching, Brochier et alii 1987). Une petite lame de hache aurait été placée près des os de la main du squelette, mais le fouilleur mentionne également «onze fragments de haches polies en jadéite, deux fragments de hache polie en silex» dont la position de découverte (dans ou autour de la sépulture ?) ne peut être établie (cité in Jully 1959). Il convient donc de ne retenir cette mention qu’avec prudence.
En moyenne vallée du Rhône, deux sites funéraires du Chasséen récent ont livré des lames de hache, non pas déposées auprès des inhumés mais à proximité. A Saint-Paul-Trois-Châteaux, la fouille réalisée sur le site des Moulins (n° 151-1) a mis au jour une lame polie dans le remplissage de la fosse 79 (pl. 25). Il ne s’agit pas d’une structure funéraire, mais six fosses du secteur fouillé ont livré des inhumations. Le point intriguant est que cette lame de hache présente un tranchant repoli à son extrémité pour le rendre non tranchant (cf. supra). Si l’intentionnalité du geste ne fait aucun doute, sa motivation nous échappe, mais la proximité des inhumations nous incite à y voir une relation.
Le cas du Gournier à Montélimar (n° 95-1) laisse également perplexe. Les sépultures et les dépôts humains sont présents dans 26 structures de l’occupation du Chasséen récent (Beeching dir. 1994a). Les lames de hache sont absentes du mobilier funéraire, mais quatre d’entre elles proviennent des zones de fouilles E-F. Elles ont été retrouvées dans les niveaux de circulation correspondant au fonctionnement du monument funéraire de 50 m de diamètre composé de cercles concentriques de sépultures, de dépôts de bovidés et de fosses remplies de meules. Il est donc fort probable que ces lames de hache aient été abandonnées pendant ou après la mise en place des structures et des dépôts. Ces quatre objets, de dimensions faibles à moyennes, sont dans des états variés (pl. 26) : une lame polie est entière et en parfait état ; une deuxième, ébréchée, est façonnée sur un éclat de plus grande lame polie ; une autre est brisée net à partir du tranchant ; la quatrième est probablement un fragment de lame polie cassée et en cours de refaçonnage par bouchardage147. L’assemblage ainsi réuni est des plus hétéroclites et résiste à l’interprétation. Une hypothèse recevable est qu’il puisse s’agir d’objets abandonnés après avoir servi dans l’aménagement des structures, mais l’analyse de l’ensemble du monument et des mobiliers associés est nécessaire.
En l’absence de publications monographiques sur les nombreuses sépultures chasséennes du sud de la France, les comparaisons sont difficiles à établir. Quelques données existent cependant qui confirment la grande discrétion des lames de hache dans les dépôts funéraires chasséens. En Provence, nous en avons trouvé mention pour la sépulture n° 3 de l’abri du Fraischamp à la Roque-sur-Perne, dans le Vaucluse : une lame de hache «grossière» provient d’un caisson de dalles à incinération daté du Chasséen (Paccard 1957). A Trets dans les Bouches-du-Rhône, le mobilier de l’un des «silos funéraires» fouillés par M. Escalon de Fonton comprenait, à côté de l’incinération, une lame polie (Courtin 1974, p. 140). Dans le vallon de Gaude à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), une fosse elliptique chasséenne contenait un adulte incinéré, trois pointes de flèche et trois lames de hache (fouille Ph. Boissinot, citée in Vaquer 1998).
Les découvertes anciennes du tumulus du Mourre du Diable au Thor doivent être considérées avec prudence. Une chambre funéraire accessible par un couloir occupait le centre d’un tumulus de 30 m de diamètre. Selon G. Sauzade qui reprend les publications anciennes, «l’unique squelette découvert se trouvait sur une dalle reposant sur le sol. Deux autres dalles, plus petites, avaient été placées à la tête et aux pieds du squelette. Dix haches en pierre polie, en jadéite (serpentine ?) avaient été déposées sur une des dalles» (Sauzade 1983, p. 226-228). L’auteur penche en faveur d’une attribution au Chasséen pour ce dispositif unique en Provence, mais la quantité de lames de hache est sans équivalent dans le Sud de la France, ce qui jette le doute sur la description d’époque. Le mobilier déposé au British Museum a probablement disparu.
En Languedoc, les mentions sont également rares. La tombe individuelle chasséenne n° 3 de Pouzols/Le Perreiras dans le Minervois contenait, entre autre mobilier, un fragment de lame de hache placé dans un «foyer» installé au-dessus du corps (Ambert, Genna et Taffanel 1988). A Berriac/les Plots dans la vallée de l’Aude, une sépulture chasséenne contenait une petite lame polie (Vaquer 1994, p. 41).
Face aux quelques 200 sépultures dénombrées dans le Sud de la France (couloir rhodanien exclu ; Vaquer 1998), ces quelques cas de lames polies en contexte funéraire, même si l’inventaire n’en est pas exhaustif, ne représentent que peu de choses. Le Chasséen méridional semble donc d’une manière générale ne pas accorder une place particulière aux haches dans les rituels funéraires. Dans tous les cas, les lames polies sont de faibles dimensions et façonnées sans soin particulier. Sauf à Manosque, elle sont seules de leur espèce dans la sépulture. Les lames de hache ne rentrent donc pas dans une norme de présence systématique ou régulière auprès des défunts. Ce fait va bien dans le sens du polymorphisme des rituels funéraires qui caractérise le Chasséen méridional (Crubézy 1991 ; Vaquer 1998 ; Beeching et Crubézy 1998).
Une cinquième lame polie provient d’une fosse située dans un autre secteur du site (pl. 26), qui n’a pas encore été étudié.