2.4.3.1 Evolution chrono-culturelle

Durant les phases anciennes du Néolithique moyen, les lames polies apparaissent de manière constante dans les sépultures individuelles masculines de la culture de V.B.Q., et il s’agit d’outils qui permettent d’afficher une certaine distinction des individus. Les données manquent pour les Alpes elles-mêmes et la vallée du Rhône, mais nous retrouvons de tels objets exceptionnels dans trois tombes Chamblandes proches du Léman, avec la présence d’une longue lame de hache et de deux hache-marteau (cf. supra). Le dépôt d’objets exceptionnels peut être mis en filiation avec les traditions funéraires du Néolithique ancien danubien, où les étapes récentes du Rubané sont le lieu d’apparition de sépultures à mobilier abondant et de facture exceptionnelle, comprenant entre autre des herminettes perforées à double tranchant (Jeunesse 1997). Ce fait inscrit le Plateau suisse dans des réseaux de relation ancrés dans les terres septentrionales, comme l’a mis en évidence P. Moinat sur l’ensemble du rituel de cette phase (Moinat 1998). Dans ce sens, il est logique que les dépôts de lames polies dans les tombes du V.B.Q. soient bien représentés, en particulier par des formes de bottier, dans le Trentin où les relations avec le nord des Alpes sont attestées dès les origines de la néolithisation.

Dans la seconde partie du Néolithique moyen, après 4400 av. J.-C. environ, la place des lames de hache dans les rituels funéraires est affectée de profonds changements. Dans le Chasséen du Sud de la France, les lames polies sont très rares et de petites dimensions. Les données manquent pour l’Italie du Nord, mais les nombreuses tombes Chamblandes montrent un désintérêt pour les lames de hache. Deux exceptions d’importance sont toutefois à relever : d’une part, trois cas de dépôts de pièces en silex taillé de type Glis-Weisweil ; d’autre part, la présence de lames de hache en roches tenaces alpines dans des tombes sur le Haut Rhône français (Montagnieu/grotte de Souhait) et du Valais (Brig-Glis et surtout Saint-Léonard/les Bâtiments). Le dernier site offre l’intérêt d’être probablement contemporain de l’habitat de Sur le Grand Pré qui a fourni les preuves de la fabrication de lames de hache en roches d’origine régionale. Or, les lames polies des sépultures sont en éclogites, roches fort différentes qui ont de bonnes chances d’avoir circulé en provenance du Val d’Aoste ou du Nord-Piémont. Il y a donc dans ce cas une volonté de distinction : bien que les lames de hache des Bâtiments ne soient pas de facture exceptionnelle, leur matière constituante les démarquent des productions d’usage courant dans le Valais à cette période. A contrario, relevons que les nécropoles en cistes fouillées dans les autres vallées internes des Alpes occidentales, et placées beaucoup plus près des affleurements d’éclogites, n’ont pas livré de lames de hache (en particulier, Quart/Vollein, n° 904-1 et Villeneuve/Champ Rotard, n° 906-1 en Val d’Aoste, Aime/le Replat en Haute-Tarentaise).

Au Néolithique final, deux comportements opposés sont à relever. En Italie du Nord, dans les sépultures individuelles qui sont celles de cultures maîtrisant le cuivre, les lames de hache de dimensions moyennes occupent une place non négligeable dans les mobiliers funéraires, et participent à la distinction des individus qui s’exprime fortement dans l’ensemble du mobilier et en particulier par les poignards (Barfield 1986). A Fontaine-le-Puits, en plein coeur des vallées internes françaises, les lames de hache ont un statut de marqueur tout aussi important. Au contraire, les lames de hache sont très rares dans les sépultures collectives, très souvent petites et présentes à l’unité ou en faible nombre. Le fait semble avoir une portée générale selon un axe ouest-est, du Languedoc à la Vénétie, et apparaît dans les Alpes occidentales sans aucune différence notable. Au contraire, dans les régions plus septentrionales, au nord des Alpes, du Bassin parisien à la Suisse orientale, les sépultures collectives font une place plus importante aux haches qui semblent, au moins dans le S.O.M., être des simulacres de hache-marteau et être investies d’une valeur de signe (cf. chapitre 7).