3.4 La fonction de signe

Ce point qui est développé dans le chapitre suivant trouve déjà ici de solides arguments par le biais du statut des haches dans les dépôts funéraires.

Au Néolithique moyen I, les haches en roches alpines sont relativement courantes dans les sépultures masculines de la culture des Vasi a Bocca Quadratta, dont les communautés contrôlent la production des haches alpines et ligures. Tout semble indiquer que l’objet déposé a un statut d’outil, de bien personnel, sans qu’une compétition très forte apparaisse entre les tombes. La seule exception pourrait être le Trentin où la mode est au ciseau imité des modèles danubiens transalpins. Sur les rives du Léman au contraire, le mobilier des tombes Chamblandes est très rare et les rares haches sont investies d’une fonction de signe fort : les trois cas documentés sont une grande lame polie alpine et deux hache-marteau triangulaires perforées de tradition danubienne.

Au Néolithique moyen II, la hache ne semble plus avoir cette fonction de signe de distinction : dans le Chasséen, elle est rare en contexte funéraire et sans caractère exceptionnel. Seul le Valais et le Haut-Rhône français se distinguent par des haches en tombe, réalisées en éclogites (pour le Valais) dans un contexte de régionalisation nette et de séparation vis à vis des réseaux alpins de roches tenaces. Cet éloignement est peut-être aussi la cause de l’apparition des haches de type Glis-Weisweil, qui sont probablement des imitations de grandes lames polies en roches alpines (Pétrequin et Jeunesse dir. 1995). Leur diffusion limitée dans le temps, à la charnière des V/IVème millénaires av. J.-C. (Speck 1988), à partir de centres de production dans le nord du Jura suisse, s’exprime par des dépôts funéraires loin des sources, sur les rives du Léman et en Valais. L’objet joue ici le rôle d’un symbole dont la relation avec l’outil hache est difficile à expliciter, puisque en Valais, tous deux se retrouvent en contexte funéraire (à Brig-Glis). Il y a peut-être là une dichotomie chronologique qui nous échappe (cf. chapitre 7).

La désaffection des haches comme signe de distinction funéraire n’est pas définitive puisqu’au Néolithique final, elles apparaissent nettement en plein coeur des Alpes à Fontaine-le-Puits et dans les nécropoles de la culture de Remedello, indice de leur fonction de représentation au même titre que les haches en cuivre, les poignards et les hallebardes. Au contraire, les haches ne semblent jouer aucun rôle particulier dans les sépultures collectives qui fournissent cependant un abondant mobilier funéraire (grandes lames de silex brutes ou retouchées, pointes de flèches, parures, céramiques).

Cette évolution du statut de la hache dans les rites funéraires démontre l’absence de relation directe entre la place de l’outil au sein de la société et sa mobilisation dans l’idéologie funéraire, qui ne s’exprime que pour elle-même. Tantôt la hache ne rentre pas dans la sémantique funéraire, tantôt elle apparaît comme un outil commun qui accompagne le défunt, tantôt elle est un objet exceptionnel sans rapport direct avec les outils utilitaires. Pour mieux comprendre ce polymorphisme de la fonction de signe attribuée à la hache, il faut maintenant nous attacher aux lames polies non utilitaires ainsi qu’aux dépôts non funéraires, qui documentent la question de manière complémentaire.