Les six grandes lames polies et pièce inachevée présentées ci-dessus, auxquelles nous pouvons rattacher la découverte de Fossano, partagent deux points communs avec le «type Bégude» : la recherche d’un grand allongement et un façonnage par bouchardage important. Les roches mises en oeuvre sont des éclogites, comme pour le «type Bégude», ou plus rarement des curiosités courantes dans les Alpes mais inusitées habituellement (zoïsite, prasinite).
Les différences avec le «type Bégude» sont les suivantes :
moins grande symétrie générale,
moins grande régularité de la forme obtenue par bouchardage,
tranchant moins convexe et relié aux côtés par un angle net, parfois avec un léger évasement,
pas d’anneau bouchardé.
Ces critères nous semblent suffisamment discriminants pour proposer une appellation commune, «type Zermatt», pour les pièces de Zermatt/Garten, Rarogne/Rarnerkumme et Vaie. Dans l’attente, les pièces de Bonneval/Vallonnet et Fossano peuvent être rapprochées de ce type, avec réserves. Les parentés techniques entre le «type Bégude» au «type Zermatt» permettent de les réunir en une même famille (fig. 73). En dehors de notre zone d’étude, dans la vallée du Tanaro en Piémont, des lames polies semblables proviennent des sites d’Alba et d’Alessandria/Il Cristo (Zamagni 1996b). Elles partagent la forme allongée, le corps longuement bouchardé (type A) et l’absence de polissage développé sur le corps et ne présentent pas les critères esthétiques du «type Bégude». L’une des pièces d’Alba est brisée en cours de fabrication, ce qui indique une réalisation sur place. Une grande ébauche taillée découverte en fouille à Quart/Vollein dans le val d’Aoste, dans un contexte mal daté, peut également être rapprochée des productions de grandes lames polies de «type Zermatt» (n° 904-2 ; pl. 56). Il semble donc que ce type de grandes lames polies ne soit pas circonscrit à une seule région mais soit produit et utilisé dans l’ensemble du Piémont et du val d’Aoste. Les lames polies de «type Zermatt» sont le témoin de l’existence de centres de production échelonnés du Sud Piémont au val d’Aoste.
De grandes lames polies pouvant être rattachées au «type Zermatt» sont bien attestées dans les dépôts funéraires des tertres carnacéens du golfe du Morbihan en Bretagne152, datés du Vème millénaire av. J.-C. (Boujot et Cassen 1992 ; Herbaut 1996). Ce sont de grands à très grands objets (jusqu’à près de 40 cm de long) de section ovalaire, très allongés, façonnés par un long bouchardage qui a formé un aspect relativement irrégulier où les traces de taille sont présentes (observations personnelles). Les lames polies proches du «type Zermatt» côtoient dans ces ensembles clos d’autres grandes pièces en roches tenaces (lames polies triangulaires plates à bords tranchants) et de petites lames polies en fibrolite selon des proportions variables d’un monument à l’autre. Il est possible que les lames polies déposées dans ces monuments proviennent de thésaurisations sur plusieurs générations avant leur enfouissement dans la tombe. Dans cette hypothèse, certaines peuvent être plus anciennes que d’autres et en particulier celle de «type Zermatt» qui peuvent ainsi être datées vers le haut de la fourchette proposée pour ces tertres (Boujot et Cassen 1992). Les ressemblances de roche et de forme entre ces pièces morbihannaises et celles alpines de «Zermatt» sont telles qu’une origine commune et bretonne a été proposée un temps (Sauter 1978 ; Gallay 1986b). L’état actuel de nos connaissances sur les roches mise en oeuvre dans les Alpes permet d’accorder sans problème une origine alpine (au sens géologique) à toutes les lames polies en éclogites de notre région d’étude (cf. chapitre 2), ce qui n’implique pas obligatoirement une origine alpine pour les longues lames polies à section ovalaire des tertres morbihanais153.
Une telle comparaison à longue distance fournit une datation dans le cours du Vème millénaire av. J.-C., sans doute dans une phase ancienne si on retient l’idée d’objets conservés durant plusieurs générations avant leur enfouissement. Les données disponibles dans les Alpes permettent de proposer une datation plus précise. Les occupations humaines du site de Vaie/Rumiano peuvent être rapportées à une phase récente du Néolithique ancien (Impressa ou Neolitico antico padano ; Bagolini et Biagi 1977a). Dans ce cas, les trois longues lames polies du site seraient à rapprocher de cette phase chrono-culturelle, ce qui placerait le «type Zermatt» dans une position chronologique légèrement antérieure au «type Bégude», ou, peut-être, pour partie synchrone. Les données d’Alba ne contredisent pas cette idée, puisque l’occupation humaine durant le Néolithique ancien y est bien avérée (Venturino-Gambari 1998).
Tumulus du Mané-er-Hroëck à Locmariaquer, de Tumiac à Arzon et de Saint-Michel à Carnac
Celles-ci sont en effet réalisées sur des roches tenaces vertes proches des éclogites ; or, il est impossible à l’oeil nu d’établir sans équivoque la provenance d’une éclogite (Alpes, Massif Central, Bretagne, Scandinavie, etc. Le fait important est la mise en évidence d’un phénomène qui s’étend des Alpes à l’Atlantique. Nous ne disons pas pour autant que toutes les grandes lames polies de ce type ont une origine alpine.