3.1.1 Présentation

Les hachettes-pendeloques sont de petites lames de hache, dépassant très rarement 5 à 6 cm de long, dont les formes et les matériaux constituants sont similaires à ceux des lames polies communes. Elles se distinguent par une perforation proche du sommet qui permet de les porter comme une pendeloque et peuvent donc être considérées comme des éléments de parure façonnés à partir de petites lames polies utilitaires.

Les hachettes-pendeloques européennes présentent quatre caractéristiques remarquables. D’une part, leur répartition géographique n’est pas uniforme : elles apparaissent dans certaines régions où elles peuvent être fréquentes et semblent au contraire inconnues dans d’autres. Ainsi, elles sont particulièrement abondantes en Méditerranée centrale (Skeates 1995) : plusieurs centaines de pièces sont recensées sur les archipels de Malte et de Lipari, en Sicile, à Capri, en Sardaigne et dans le Sud de l’Italie péninsulaire (Calabre, Campanie, Basilicate, Pouilles), ainsi que de manière plus sporadique en Italie centrale (Marche, Sud Toscane). Des hachettes-pendeloques sont signalées en Méditerranée orientale dans le Néolithique de Knossos et le Bronze ancien de Troie (cf. bibliographie in Skeates 1995). Cet auteur souligne leur absence au Maghreb, en Dalmatie, dans le nord de l’Italie et en Corse. Des objets comparables sont attestés dans la péninsule ibérique (ibid.), sur la façade atlantique de l’Europe avec des concentrations remarquables en Vendée (une cinquantaine recensées in Le Quellec 1990), dans l’ouest du Bassin parisien, en Normandie et en Picardie (plusieurs dizaines ; Bailloud 1979, p. 205-206 et 225-226), et des découvertes plus rares en Grande-Bretagne (cinq pièces ; Bradley et Edmonds 1993, p. 186-189). Un petit groupe de seize pièces est identifié en Languedoc occidental (Barge 1982, p. 130-132). Ailleurs en France, quelques découvertes sporadiques ne remettent pas en cause l’existence des concentrations géographiques précitées. Malgré une répartition géographique discontinue et très large, il est possible qu’un lien existe entre les régions d’emploi des hachettes-pendeloques : en Méditerranée centrale, les découvertes sont concentrées dans les régions côtières et dans les îles (Skeates 1995) ; dans l’ouest français, la circulation d’objets le long des fleuves à partir des côtes a été remarquée (Bailloud ibid.). Ces observations permettent de suggérer un lien possible entre ces régions fort éloignées et pourraient ainsi matérialiser l’existence de circulations maritimes à longues distances (ibid.).

Une telle éventualité est renforcée par le fait que les hachettes-pendeloques apparaissent dans une tranche de temps comparable d’une région à l’autre, qui peut être placée dans le Néolithique final au sens large tel que nous l’employons dans ce travail, de la fin du IVème à la fin du IIIème millénaire av. J.-C. En Méditerranée centrale, près de 250 objets sont recensés dans le plein Chalcolithique et le début de l’Age du Bronze régional, entre 3250 et 1900 av. J.C. environ (Skeates 1995). En Vendée, les hachettes-pendeloques sont présentes dans l’Artenacien, durant le IIIème millénaire av. J.-C. (Burnez 1976, p. 296 ; Roussot-Larroque 1986). Dans le Bassin parisien, les hachettes-pendeloques sont contemporaines de la culture de Seine-Oise-Marne, qui débute vers 3400 av. J.-C. environ (Bailloud 1979 ; Chambon et Salanova 1996). En Languedoc occidental, les exemplaires les mieux datés sont rapportés au Fontbouïsse, soit entre 2900 et 2300 av. J.-C. environ (Barge ibid.).

Néanmoins, la genèse du phénomène semble antérieure, puisque des hachettes-pendeloques ont été mises au jour à Passo di Corvo dans le Sud de l’Italie (Néolithique moyen régional, vers 5400-4800 av. J.-C.) et à Piano Conte à Lipari (fin du style de Diana, début du style Piano Conte, vers 4250-3250 av. J.-C. ; Skeates 1995). Ces rares exemplaires (deux dans chaque site) annoncent les nombreuses hachettes-pendeloques du Chalcolithique de Méditerranée centrale et pourraient indiquer le foyer d’invention de l’objet dont l’idée aurait ensuite diffusé par voie maritime vers le Languedoc et l’Atlantique155.

Autre point commun a toutes les hachettes-pendeloques, l’emploi de matériaux exogènes aux régions concernées. En Méditerranée centrale, les roches dures forment la quasi-totalité du corpus, et spécifiquement les «roches vertes» (les deux tiers du total) qui sont pour partie des pyroxénites alpines, c’est-à-dire des matériaux provenant de 600 à 800 km environ des sources les plus proches en Ligurie (Leighton et Dixon 1992). Le caractère exotique des matériaux est aussi net en Grande-Bretagne, où trois exemplaires sur cinq sont en «jadéite», sans doute des pyroxénites, dont l’origine doit être recherchée sur le continent, peut-être les Alpes (Bradley et Edmonds ibid.). Dans l’Artenacien, les roches sont variées («roches vertes», fibrolite, cristal de roche) et l’origine bretonne de certaines est évoquée (Roussot-Larroque 1984, 1986). Dans la culture de S.O.M., G. Bailloud a souligné le fait que les hachettes-pendeloques sont toujours en roches dures et jamais en silex, contrairement aux lames de hache utilitaires de cette culture (Bailloud 1979, p. 205-206). En Languedoc occidental, les hachettes-pendeloques sont dans onze cas sur seize façonnées en «roches vertes», les autres étant en calcaire (Barge ibid.). L’existence de pièces façonnées en roches tendres inusitées pour les lames de hache utilitaires est soulignée également en Méditerranée centrale (Skeates 1995). En simplifiant, il est donc possible de dire que les hachettes-pendeloques sont fabriquées préférentiellement soit en roches dures exotiques aux régions de concentration mais conformes aux matériaux des lames polies utilitaires, soit en roches tendres inutilisables pour des outils, qui pourraient correspondre à des imitations.

Le quatrième point commun est le statut même des hachettes-pendeloques. Dans toutes les régions documentées, elles apparaissent en contexte funéraire comme élément de parure individuelle, porté en collier ou peut-être parfois au bras ou à l’oreille. A Malte, elles sont en outre présentes comme offrandes dans les temples mégalithiques de Ggantija, Hagar Qim, Korodin et Tarxien (seize pièces au total). Les hachettes-pendeloques sont donc investies d’une fonction de représentation et semblent exprimer une valeur individuelle de l’objet lui-même et/ou de l’individu qui le porte (Skeates 1995). Avant d’envisager les interprétations possibles de ce fait, il convient d’examiner les cas en présence dans notre région d’étude.

Notes
155.

Une des tombes anciennement fouillée à Pully/Chamblandes près du lac Léman, datée du Néolithique moyen II, a livré un collier composé de pendeloques trapézoïdales percées que A. Gallay a dénommé «pendeloques en forme de hache» (Gallay 1977, p. 170). Les dessins publiés permettent d’écarter tout lien direct avec des hachettes-pendeloques dont il est question ici.